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naire, d'une voix semblable à celle des grosses eaux, d'une voix qui brise les cèdres du Liban. Salomon fut roi et prêcheur durant sa vie; il fit de son trône une chaire, mais tous les rois et tous les princes le deviennent dès qu'ils sont morts; ils prêchent à toute la terre: Vanité des vanités! tout est vanité!...

» Hélas! pourquoi fallait-il que ce jeune héros nous fût ravi? Il n'était jeune qu'à compter les années, il était mûr et c'est pourquoi Dieu l'a cueilli...

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>> O Dieu! étant tel en sa première aurore, quelles lumières, quels rayons devions-nous attendre de son plein midi? Son printemps ayant été si beau et si prospère, quels fruits, quelles richesses eussions-nous recueillis de son automne? Mais alors sa voix n'eût pas crié comme elle le fait La gloire n'est que la fleur d'un champ! Qui vous peut garantir que vous serez encore demain sur pied? Ma jeunesse, direz-vous? ma santé, ma vigueur. — Mais qu'y avait-il de plus gai, de plus vif, de plus florissant qu'il était? Plein d'un beau sang et d'un beau feu, il était tout action et toute vie; il était comme Jonathas, vite comme un aigle, fort comme un lion. Mais ni sa vitesse, ni sa force ne l'a su délivrer. Allez maintenant, et sacrifiez à vos muscles, encensez votre agilité, comme si les athlètes ne pouvaient pas mourir ou comme si le verre nouvellement fait n'était pas aussi fragile que celui qui a duré longtemps ? »

TITRE VIII

LES PRÉDICATEURS DU REFUGE

Claude (1619-1687) est surtout connu par la lutte qu'il soutint contre Bossuet; on sait qu'il n'était pas indigne de

cet honneur. « Il me faisait trembler, dit Bossuet, pour ceux qui l'écoutaient. » C'était l'homm; do.ité dans l'Église Réformée; il y tenait le même rang que son adversaire dans l'Église Gallicane. « Comme Bossuet, il avait le grand ordre et la majesté; dans les assemblées des églises, son intelligence claire et prompte débrouillait les difficultés, et sa parole apaisait ou guidait. »

Tant de qualités lui valurent un honneur particulier lors de la proscription des ministres protestants en 1685: ses collègues eurent quinze jours pour sortir du royaume, il n'eut que vingt-quatre heures.

Il avait en chaire les qualités du théologien plutôt que celles de l'orateur, et il se rattache à la tradition calviniste que Morus avait interrompue. Logicien habile, doué d'un jugement sûr et d'une présence d'esprit qui ne lui faisait jamais défaut, armé d'un style précis, net et prompt, il ne prétendait pas à l'éloquence et il y a atteint souvent.

Il a laissé peu de sermons, tandis que la liste de ses ouvrages de controverse est fort longue. Ce sont une réponse au livre d'Arnauld intitulé Perpétuité de la Foi sur l'Eucharistie, une Défense de la Réforme contre Nicolle, auteur des Préjugés légitimes contre les calvinistes, une Réponse à un Traité de l'Eucharistie composé par Le Camus pour la conversion d'un protestant, la relation d'une controverse qu'il soutint contre Bossuet, sur l'invitation de mademoiselle de Duras, nièce de Turenne, etc., etc. (1).

1. Ces controverses étaient devenues une mode; elles servaient aussi de prétexte aux conversions. Ce n'est pas qu'on doive attribuer à la faiblesse ou à l'intérêt tous les changements de religion qui précédèrent, accompagnèrent ou suivirent la révocation de l'édit de Nantes; cette accusation dans

Pierre du Bosc (1623-1692) était moins savant que Claude, mais plus brillant. Bon philosophe d'ailleurs, solide théologien, critique judicieux, il était regardé par les églises de France comme leur plus grand prédicateur; son intelligence était belle, lumineuse, ornée, rapide; son langage avait de l'ampleur et de l'élévation. A ces qualités, il joignait des dons non moins essentiels à l'orateur; il était grand, bien fait, avec un geste heureux et une voix tour à tour agréable ou forte.

« L'éloquence de sa parole facile et naturelle, sa pure et belle physionomie, avaient un si grand charme, que Louis XIV lui-même, assurément mal disposé, fut séduit. Lorsqu'en 1668 les Églises firent une démarche solennelle auprès du roi pour solliciter la maintenue des Chambres de l'Édit, du Bosc, admis seul à l'audience du monarque avec le député général, M. de Ruvigny, prit la parole et força le roi d'abord distrait à l'écouter. « Madame, dit Louis XIV å la reine après l'audience, je viens d'entendre l'homme de mon royaume qui parle le mieux; et se tournant vers les autres assistants, il ajouta: Il est certain gue je n'avais jamais oui si bien parler. »

Le chancelier Michel le Tellier dit plus tard à du Bosc: « Le roi a été fort content de vous. Il trouve que vous lui avez parlé de bon sens, en beaux termes et en honnête homme; et Sa Majesté m'a commandé de conférer avec vous de vos affaires. »

tous les cas ne pourrait pas être prouvée. Cependant la mise en scène dont on les entourait souvent donne le droit d'élever quelques doutes sur la sincérité de bien des gens. Une conversion sérieuse est le fruit de remords, d'aspirations, de doutes personnels; elle n'est guère le prix d'un tournoi de théologiens.

On redouta pour Louis XIV l'influence d'un homme qui parlait si bien, et lorsque, deux ans après cette entrevue, l'église de Charenton, appuyée par d'illustres personnages, appela avec instances Pierre du Bosc, on dit que l'archevêque de Paris alla jusqu'à trois fois dans la même semaine supplier le roi d'empêcher la nomination de ce dangereux

orateur.

Et cependant sa polémique est pleine de modération et de décence. Il était rempli de douceur et d'humilité; il sacrifiait volontiers ses intérêts particuliers à la paix et à la charité. Mais son talent, redouté des catholiques, lui attira les plus cruelles persécutions.

En 1684, on lui intenta un procès en même temps qu'à son Église; on alléguait qu'il avait reçu des relaps à la communion: il était en effet permis de changer de religion pour être catholique, mais non pour être protestant. Il fut emprisonné, condamné à 400 livres d'amende, interdit du ministère avec défense de séjourner dans aucune ville de la province où l'exercice du culte eût été défendu. On avait même voulu d'abord lui faire faire amende honorable, le bannir à perpétuité et confisquer ses biens. Mais ses juges, qu'il toucha jusqu'aux larmes, n'osèrent pas prononcer une pareille sentence; ils se bornèrent, pour ne pas désobéir aux ordres venus d'en haut, à l'arracher à son troupeau et à ses fonctions. Le temple de Caen, théâtre de son crime, fut démoli « aux fanfares des trompettes et des tambours, avec tant de fureur que l'on déterra les morts qui étaient dans le cimetière joignant le temple, pour jouer à la boule avec les crânes ».

A la nouvelle de cette disgrâce, l'Angleterre, la Hollande

et le Danemark se disputèrent l'honneur de posséder le condamné. Il accepta la charge de pasteur de l'Église française de Rotterdam, où il arriva à la fin du mois d'août 1685, quelques semaines avant la révocation de l'Édit.

Le contre-coup le fit périr en 1692.

Ainsi qu'il arrive souvent aux réputations oratoires, l'éloquence de Pierre du Bosc ne réalise pas à la lecture la haute idée qu'on doit s'en faire d'après le témoignage des contemporains.

Ce n'est pas en effet un orateur de premier ordre; il n'a pas les qualités, plus spécialement littéraires, qui plaisent à la lecture et qui garantissent la durée de l'éloquence. Comme ses devanciers, il a écrit sans vouloir être un écrivain.

<< Il avait une imagination féconde, une vaste lecture, une mémoire heureuse, un esprit sage, un cœur plein de foi et de charité qui lui inspira les plus nobles accents et l'éloquence la plus chaude. Ce n'est pas encore l'orateur; c'est le prédicateur le plus intéressant, même le plus sympathique. »

Dans l'ensemble de la composition, il est remarquable par la proportion, la liaison, la flexibilité, le cours uni et facile de son développement, qui, borné souvent à éclaircir les différentes parties d'un texte, en tire habilement tout ce qu'il contient; sans abuser de l'érudition, sans disproportion, sans digression, le prédicateur sait trouver dans les grandes idées du sujet tant de richesses qu'on en est toujours étonné.

Il a le sentiment de la phrase oratoire, de l'harmonie et de l'ampleur; son style n'est pas exempt d'une certaine

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