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ner de la joie dans cette vie. Mon père et ma mère seront sans doute très-sensibles à cette triste nouvelle, et je ne connais personne plus propre que vous à la leur faire recevoir avec patience et résignation. Donnez-vous la peine, monsieur et très-honoré père, de leur apprendre ce coup dont la Providence me frappe; apprenez-leur en même temps à voir sans impatience cette nouvelle plaie qu'il plaît à Dieu de faire à notre famille... La parfaite soumission que j'ai pour la volonté de Dieu ne m'empêche point de sentir la pesanteur de son bras, mais je reconnais dans cette mort que je pleure sa bonté envers une âme innocente qu'il retire à soi, et sa justice à l'égard d'un père qu'il châtie en le privant d'un bien si précieux. Londres, 16 janvier 1704. »

C'est bien le même homme qui plus tard s'écriait dans un élan de foi enthousiaste :

« Non, non, révolutions des siècles, bouleversements des États, séditions intestines, complots extérieurs, maladies contagieuses, morts inopinées, vous n'êtes que les ministres de ce Dieu dont je suis la créature favorite. Si vous exécutez de sa part quelque ordre qui m'épouvante, c'est pourtant un ordre qui me console, parce qu'il n'est donné que pour mon bonheur. Troublez cette paix que je goûte; peut-être qu'elle allait m'être fatale. Enlevez-moi ces prospérités qui semblaient faire ma gloire peut-être qu'elles m'allaient devenir funestes. Rompez ces douces liaisons qui avaient tant d'influence sur le bonheur de ma vie : peut-être qu'elles allaient devenir mes idoles. Arrachez-moi ces yeux, coupezmoi ces bras: peut-être qu'ils allaient me faire broncher et m'ouvrir les précipices de l'enfer. Attachez-moi à la croix, pourvu que ce soit à la croix de mon Sauveur. Tranchez le

fil de ma vie, pourvu que ce soit pour m'ouvrir les portes de l'Éternité ! » (Sermon sur le véritable objet de la crainte.)

Est-il besoin de parler de sa piété? Ce qui précède suffirait à en donner une preuve éclatante; ses sermons en sont remplis. « Il sentait ce qu'il prêchait, dit Chauffepié; on le voyait pénétré de la religion qu'il annonçait. » Quelle belle épitaphe dans ces simples mots!

La mort de Saurin fut le couronnement d'une si belle vie. Abreuvée d'amertumes, elle n'en fut pas moins sereine.

L'infatigable pasteur avait pendant longtemps donné des soins religieux à une personne qui était poitrinaire; comme il était lui-même d'une complexion très-délicate, il subit aisément l'influence de la maladie. Il ne s'en inquiéta pas. « J'ai eu, dit-il, pendant trois mois une amie malade du poumon; à force d'assiduités, j'avais pris quelque impression de son mal; il a fallu faire des remèdes dans les formes et m'abstenir de prêcher pendant deux mois... Mon amie est morte, et Dieu m'a rendu la santé. » Ceci se passait en 1726. Saurin se faisait illusion sur son état; deux ans après, il fut repris d'une violente attaque; il dut passer plusieurs mois sans prêcher, et, malgré son dévouement, il fut obligé, jusqu'à la fin de sa vie, de suspendre souvent ses fonctions pastorales; ses études même devinrent intolérables par suite de bourdonnements perpétuels dans la tête. Enfin, le 30 décembre 1730, une crise dangereuse se déclara; la poitrine s'embarrassa. « O Dieu, dit-il, et ce furent ses dernières paroles, fais-moi voir ta gloire! Que je contemple ta face! »

DEUXIÈME PARTIE

CONDITIONS

DE LA

PRÉDICATION PROTESTANTE

A L'ÉPOQUE DE SAURIN

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