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le protestantisme. Mais, en même temps, elles témoignaient une sympathie croissante aux fugitifs dont elles partageaient la croyance. Aux trois prédicateurs français qu'elles avaient entretenus jusqu'alors il fallut en ajouter cinq autres en 1685, pour suffire aux besoins toujours croissants du culte.

Quand eut paru l'édit de Louis XIV, le 22 octobre 1685, les représentants des Sept Provinces, réunis en assemblée générale, ordonnèrent un jeûne public pour le mercredi 21 novembre 1685, et tous les citoyens furent invités à des prières solennelles. Leur zèle ne se borna pas à cette grande démonstration; des pensions furent allouées aux pasteurs réfugiés (elles étaient de 400 florins pour ceux qui étaient mariés, de 300 pour les célibataires). Sur la proposition du prince d'Orange, les officiers furent incorporés dans les régiments nationaux avec des soldes avantageuses qui montaient à une dépense de 180 000 florins par an. Les femmes trouvèrent une protectrice généreuse dans la princesse d'Orange; elle en attacha plusieurs à sa personne, plaça les autres dans des maisons de refuge à Harlem, à Delft, à la Haye, à Harderwick, et pourvut à l'éducation des jeunes filles.

On évalue à 75000 âmes le nombre des protestants qui se retirèrent alors dans les Provinces-Unies. La province de Hollande en reçut encore plus que les autres, et Bayle l'appelait avec raison la grande arche des fugitifs. Après que la reine Anne eut donné aux réfugiés des lettres de naturalisation, en 1709, les États de Hollande et de WestFrise suivirent la même année cet exemple, et les États Généraux adoptèrent cette mesure en 1715, lorsque

Louis XIV se fut de nouveau refusé à toute concession religieuse.

Les réfugiés exercèrent en Hollande une puissante influence sur la politique, la guerre, l'industrie, le commerce, la littérature profane ou religieuse. Les églises nationales admettaient les pasteurs français, comme l'armée admettait leurs officiers, comme les villes admettaient leurs citoyens. Beaucoup d'églises nouvelles furent fondées par eux; on en compte jusqu'à soixante-deux. Ces églises contribuèrent puissamment au maintien de la langue française; elles devinrent une sorte d'académie où se pressait l'élite de la société. La pureté du style des nouveaux ministres, leur éloquence vive et hardie, leur débit animé captivaient les Hollandais habitués jusqu'alors à une prédication lourdement dogmatique. Les magistrats, les nobles, les riches, tous ceux à qui la langue française était connue ou qui avaient le loisir de l'apprendre, écoutaient assidûment les pasteurs réfugiés.

CHAPITRE VII

LA PRÉDICATION DE SAURIN

Devant cet auditoire brillant et difficile, la prédication de Saurin eut un succès prodigieux. Les premiers personnages de l'État, Heinsius, Van-Haren, Wassenaer, la noblesse, la bourgeoisie, le peuple, furent unanimes dans leur admiration, et, comme il n'y avait aucune vacance à l'Église wallonne, le Grand Pensionnaire créa pour le jeune orateur, une nouvelle charge ecclésiastique avec le titre de ministre des nobles. Saurin devait l'exercer jusqu'à sa mort, pendant vingt-cinq ans, et allait révéler pendant cette période un des plus beaux génies oratoires dont on doive garder le souvenir.

La foule qui se pressait à ses discours était telle que quinze jours à l'avance les places étaient retenues. On dressait des échelles le long des murs pour y grimper quand l'église était pleine. Le célèbre Abbadie (1) se demandait : « Est-ce un homme, est-ce un ange qui parle? » Le savant le Clerc, auteur d'un grand nombre d'écrits con

(1) Abbadie, moraliste et pasteur, réfugié en Prusse; il a composé un Traité sur la Vérité de la Religion chrétienne dont madame de Sévigné disait : « C'est le plus divin de tous les livres. » Il a composé aussi un Traité sur la divinité de Jésus-Christ, et un ouvrage d'une grande valeur et d'une grande réputation, l'Art de se connaire soi-même.

sidérables, avait refusé longtemps de venir aux sermons de Saurin; plein des idées sévères de son temps, il ne trouvait pas bon qu'un prédicateur chrétien eût égard à l'art oratoire, et il se défiait des effets produits plutôt, disait-il, par une vaine éloquence que par la force des arguments. Un jour, ses amis l'entraînèrent; mais, pour ne pas céder à la séduction de cette voix harmonieuse, de ce geste rapide et puissant, il eut soin de se placer derrière la chaire, de manière à ne pas voir Saurin. A la fin du discours, il fut surpris de s'apercevoir qu'il avait changé de place, 'qu'il était saisi d'admiration et qu'il avait les larmes aux yeux. Il raconte lui-même cette anecdote dans sa Bibliothèque choisie, t. XXV, p. 179. Il y compare Saurin à Démosthènes pour l'action.

A la fin du sermon sur l'aumône, les assistants versèrent dans les troncs tout l'argent qu'ils portaient sur eux; les dames se dépouillèrent de leurs bijoux! On raconte qu'un officier, jouant le soir une partie de cartes et voulant mettre l'enjeu, ne trouvait plus sa bourse; il se frappa le front « Ah! dit-il, c'est ce voleur de Saurin qui me l'a prise! » Ce succès rappelle celui de Bossuet faisant pleurer des courtisans.

Tous les témoignages du temps sont unanimes à constater la puissance persuasive de Saurin. La sérénité de son noble visage, la clarté de sa voix sonore et vibrante, ce mélange de ferveur religieuse et d'ardeur méridionale, contribuaient également à transporter les auditeurs qui affluaient à ses sermons.

« A un extérieur tel qu'il le fallait pour prévenir son auditoire en sa faveur, M. Saurin joignait une voix forte et

sonore. Ceux qui se souviennent de la magnifique prière (1) qu'il récitait avant le sermon n'auront pas oublié non plus que leur oreille était remplie des sons les plus harmonieux. Il aurait été à souhaiter que sa voix eût conservé le même éclat jusqu'à la fin de l'action; mais nous avouerons que souvent il ne la ménageait pas assez (2). »

Il aurait été plus exact de dire qu'il ne pouvait pas la soutenir, et qu'une maladie la lui avait gâtée; c'était une maladie de poitrine. Il souffrait déjà en Angleterre; en 1715, sur les instances d'amis justement inquiets, il avait dû se rendre aux eaux d'Aix-la-Chapelle, dont il se trouva ou crut se trouver mieux. Il se proposait d'y retourner, mais ses devoirs de pasteur l'en empêchèrent, et c'est cette maladie qui l'emporta.

La réputation de Saurin s'étendit rapidement dans toute l'Europe. Les prélats catholiques des Flandres et du nord de la France l'admiraient, quoique protestant, et parlaient beaucoup de lui. On raconte que l'un d'eux, l'évêque de Lille, lui demanda, pendant un voyage qu'il fit sur la frontière du royaume, de vouloir bien s'arrêter dans son palais; pour le fêter, il donna un grand repas, mais, en même temps, le pria de garder un strict incognito. Les dignitaires présents furent frappés de l'esprit, de la voix et de l'éloquence de l'inconnu. Lorsqu'il se fut retiré, l'évêque, prié de satisfaire la curiosité générale, déclara son nom. Làdessus, chacun de s'écrier; quelques-uns regrettaient qu'on eût perdu une si belle occasion de controverse. « Allons,

(1) Cette prière se trouve dans les notes à la fin du volume. (2) Bibliothèque française, t. XXII, part. II, p. 288.

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