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Divinité, sur les Profondeurs divines, etc., etc., pour sè faire une idée justè et complète du mérite qu'ils renferment.

Il n'est guère possible de donner en quelques mots là preuve de ce que nous avançons. Nous essayerons cependant, dans les exemples suivants, de montrer la précision et la vigueur de sa dialectique, serrée, pressante, étouffante, pour ainsi dire; tandis qu'elle est revêtue d'une richesse et d'un éclat singuliers.

« Non-seulement vous allez bientôt être étendus dans le tombeau et perdre l'usage de 'ces maisons, 'de ces campagnes, de ces palais que vous habitez; mais ces maisons, ces palais, ces campagnes vont être consumés, et la mémoire de tout ce qui est attaché au monde va s'évanouir avec le monde. Puis donc que c'est la condition des choses sensibles, puisque toutes les choses sensibles doivent périr, . homme immortel, esprit infini, âme éternelle, t'attacheraistu à la vanité et à l'inconstance? Ne rechercherais-tu pas des biens plus sortables à ta nature et à ta durée ? »

C'est dans la force de l'argument lui-même que Saurin trouve l'éloquence de son discours'; ses conséquences sont tellement évidentes qu'elles saisissent l'imagination plus que ne pourraient faire tous les 'artifices d'un style plus travaillé. Ainsi, dans la péroraison du sermon sur l'Immensité de Dieu :

«Mes frères, ne remporterons-nous de ce discours que dés spéculations? Ne ferons-nous 'que croire, qu'admirer, que nous récrier? Ah! je voudrais sortir de cette idée de Dieu toutes les vertus que la religion nous prescrit.

» Si telle est la grandeur du 'Dieu que j'adore, misérable!

quelle doit être ma pénitence! Vermisseau que je suis et que Dieu foule sous ses pieds, qu'il peut écraser et réduire en poudre par un seul acte de sa volonté, je me suis rebellé contre le grand Dieu; j'ai voulu l'émouvoir à jalousie, comme si j'étais plus fort que lui; j'ai outragé cette majesté que les anges adorent; je l'ai attaquée avec audace et avec fureur sur son trône et dans son empire. Y a-t-il de trop cuisants remords pour réparer des péchés que la grandeur de l'offensé et la petitesse de l'offenseur doivent faire paraître si atroces?

› Si telle est la grandeur de Dieu, quelle doit être notre humilité! Grands du monde, divinités mortelles, qui vous enorgueillissez devant Dieu, opposez-vous au Dieu immense. Voyez ces idées éternelles, cette science infinie, cette influence générale, cette direction universelle; entrez dans cette mer immense de vertus et de perfections : qu'êtesvous ? un grain de poudre, un point, un atome, un rien !

» Si telle est la grandeur de Dieu, quelle doit être notre confiance! Qui est-ce qui sera contre rus, si Dieu est pour nous? Pauvre créature battue dans le monde, comme par autant de vents, par la faim, par la maladie, par le mépris, par la misère, par la nudité, par l'exil, ne crains point dans un vaisseau dont Dieu lui-même est le pilote.

» Mais surtout si telle est la grandeur de Dieu, si Dieu est partout, quelle doit être notre vigilance! Et, pour ramener ce discours à l'idée que nous avions en le commençant, quelle impression doit faire sur des âmes raisonnables cette pensée Dieu me voit!

» Hypocrite! lorsque, revêtu d'un voile de religion, paré d'un extérieur pieux, tu cachais un cœur impie et tu pré

tendais imposer à Dieu et aux hommes, je te voyais! je développais tous ces replis, j'éclairais toutes ces profondeurs !

>> Enfant du siècle! qui parais ne pas haïr ton prochain parce que tu ne l'attaques pas à main levée, ne pas fausser ton serment parce que tu as l'art de l'éluder, ne pas fouler le pupille parce que tu sais lui imposer silence, je te voyais! quand tu portais ces coups déguisés, quand tu recevais ces présents, quand tu accumulais ces richesses iniques qui crient contre toi!

» Voluptueux ! qui avais honte de produire tes excès à la lumière du soleil, je te voyais! lorsque avec le secours de ces barres, de ces verrous, de cette obscurité, de ces ténèbres et de ces précautions compliquées, tu te dérobais à la vue des hommes, tu violais le temple du Saint-Esprit !

» Mes frères, les discours que l'on vous adresse pour l'ordinaire vous absorbent peut-être par leur nombre ; cet amas d'idées morales vous confond peut-être au lieu de vous éclairer, et, pour être engagés à trop de réflexions, vous n'entrez véritablement dans aucune. Voici une religion abrégée; voici une morale en trois mots : allez dans vos maisons, portez partout cette réflexion: Dieu me voit! »

Cette véhémente, cette implacable logique poursuit le pécheur jusque dans le fond de sa conscience et de sa raison. Où trouver un abri contre ces arguments qui tombent comme une grêle de traits aigus, lancés sans cesse d'une main infatigable? Comment résister à ces attaques toujours répétées, et qui se suivent d'instant en instant avec une invincible vivacité?

CHAPITRE VI

RÉFUTATION

Nous allons maintenant étudier dans Saurin les carac tères moraux et logiques de sa Réfutation.

Les caractères moraux sont la modération et la loyauté ; les caractères logiques sont l'exactitude, la vigueur et la rapidité.

Saurin avait affaire à trois sortes d'adversaires : l'Église catholique, les sectes protestantes qui différaient du calvinisme, et les philosophes.

A l'égard de l'Église catholique, quelle fut sa conduite? Il en condamne les doctrines, mais il n'en calomnie jamais les membres; il en discute l'autorité, il n'accuse jamais le clergé; et, s'il s'élève contre le principe de la papauté, iln'a jamais attaqué ceux qui en furent les représentants.

De la papauté même, il n'a parlé qu'une fois, dans le sermon sur la Foi obscure:

« La vraie foi doit être distinguée de la foi extorquée par les tyrans. Nous n'entendons pas ici celle que l'on veut faire naître par la crainte des supplices; jamais les bûchers, les tortures, n'ont produit dans une âme aucune sorte de conviction... Mais il y a une autre sorte de tyrannie qui a fait des croyants et même en très-grand nombre. A force d'at

tester des fables, on les fait recevoir; à force de dire qu'on est infaillible, on parvient quelquefois à le persuader aux simples, et les simples sont ordinairement la multitude. Nous appelons donc foi extorquée par les tyrans celle que l'on accorde aux insolentes décisions d'un docteur qui se dit infaillible sans le prouver, ou à des récits fabuleux qui ne sont appuyés sur aucun témoignage respectable... Si vous voulez que je croie les faits que vous me proposez, alléguezmoi des preuves en leur faveur; et, si vous voulez que je vous tienne pour infaillible, donnez-moi des preuves de votre infaillibilité. »

Il y a dans ce passage beaucoup de vivacité contre le principe de la souveraineté des papes, mais rien contre la personne de ceux qui ont occupé la chaire du Vatican. L'occasion eût été belle pourtant de rappeler le nom des Borgia et de retracer tant de pages qu'il est impossible d'arracher à l'histoire.

On peut même dire que, si quelquefois Saurin a combattu les principes du catholicisme, c'est moins par le désir de se livrer à la polémique que pour obéir aux nécessités des sujets où il s'était engagé. Nulle part on ne trouve le parti pris de la controverse; il semble au contraire l'avoir évitée, et, plutôt que de traiter à fond les questions en litige, il se borne à des allusions.

Voici un passage sur la confession où le ton est plus spirituel qu'il n'est méchant :

« Ce qui doit le plus nous étonner, c'est qu'on fait ce ridicule raisonnement non-seulement sur son sujet propre, on le fait même à l'égard d'autrui. Un directeur relâché demande à son pénitent: Vous repentez-vous de vos pé

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