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des prédications; milord Galloway lui en témoigna sa satisfaction, et plus tard, en Angleterre, Saurin trouva en lui un ami plein de bonté.

Les adversaires catholiques de Saurin lui ont eux-mêmes rendu justice. Voici ce qu'on peut lire dans une Réponse aux réflexions critiques de M. Saurin sur l'état du christianisme en France: « Vous avez esté homme de guerre comme moy; je vous ay veu en Piedmont; vous estiez un grand grivois; vous aviez du cœur comme un lyon, etc. » Le Dictionnaire de l'Académie (édition de 1778) éclaire ce que ces mots pourraient avoir d'obscur : « Grivois, substantif masculin, se dit d'un drille, d'un soldat qui est éveillé et alerte. Exemple: C'est un grivois, un bon grivois. Grivoise, substantif féminin, se dit d'une cantinière. » Il ne faut donc pas se tromper sur l'ancien sens de ce substántif, dont nous avons fait un adjectif compromettant.

Les biographes protestants de Saurin n'ont parlé d'aucun désordre dans sa conduite. En admettant leur partialité, ils auraient au moins essayé de combattre des bruits fâcheux.

Au bout de trois ans, en 1697, lorsque le duc de Savoie eut quitté la coalition, la paix de Ryswick fut signée; mais les princes protestants ne purent obtenir aucune faveur pour leurs malheureux coreligionnaires.

Toute espérance était perdue; il ne fallait plus songer å revenir en France par la force ou l'amnistie. Saurin retourna à Genève et y reprit ses études sous Tronchin, Pictet, Léger et Turretin.

CHAPITRE IV

ÉTUDES THÉOLOGIQUES

Mais, au sortir d'une vie si agitée, Saurin fut un peu dérouté. Sans tomber dans la dissipation ou dans le scepticisme, il est certain qu'une lutte s'engagea dans cette âme ardente et naïve; d'un côté, les souvenirs de batailles, les aventures de la guerre; de l'autre, les rigoureux devoirs du ministère, les graves méditations, les austères pensées. Aussi, tout en étudiant avec succès et de tout son cœur, le jeune homme avait-il de la peine à quitter l'habit militaire.

Un jour, il se présentait à la sainte cène. La coutume, chez les protestants, est que le pasteur officiant, en offrant le pain et le vin de la communion, prononce un passage des Écritures qui sert d'exhortation générale aux fidèles ou qui se rapporte, s'il est possible, à leur position particulière. Saurin, revêtu de l'uniforme de son ancien régiment, s'approchait à son tour; le pasteur Bénédict Pictet, qui connaissait le fond de son âme (aussi bien ne le cacha-t-il jamais), le regarda avec douceur et lui dit : « Jeune homme, réjouis-toi suis le regard de tes yeux!... mais sache que, pour ces choses, Dieu t'appellera en jugement! »

Saurin, frappé au cœur, sentit, à partir de ce jour, quelle était sa véritable vocation.

La lumière et la paix se firent peu à peu en lui, et, au lieu de maudire personne, il bénit dès lors la Providence de sa sévérité comme de ses bienfaits.

<< Chemins de Sion, » disait-il plus tard, en mars 1714, dans un langage ému mais pacifié, avec douleur mais avec espoir, «< chemins de Sion couverts de deuil depuis près de trente années, vierges dolentes, sacrificateurs sanglotants, corps jetés à la voirie comme de l'eau, confesseurs, forçats, qui gémissez ou dans la puanteur des cachots ou sous le poids insupportable de la rame; et vous, qui êtes dignes de larmes plus amères encore, faibles chrétiens apostats; et vous, enfants enlevés à vos pères, vous excitez des idées plus tristes encore; mais ne nous donnez-vous pas aussi des consolations? La vengeance de Dieu ne sera-t-elle pas satisfaite? Tant de douleurs, tant de souffrances, tant de périls n'émouvraient-ils pas ses compassions?

» O portion de Joseph, que Dieu a frappée d'un fléau si formidable, nous ne cesserons jamais d'être malades de ta tribulation. O masures de nos sanctuaires, pierres, cendres, poussières, si chères à notre souvenir, nous faisons des vœux continuels au ciel pour vous ranimer!...

» Que les voix de notre douleur atteignent jusqu'aux entrailles de ce Dieu qui nous a frappés d'une si grande plaie! Toi qui es le pasteur d'Israël, prête l'oreille! toi qui mènes Joseph comme un troupeau et qui es assis entre les chérubins, fais reluire ta splendeur, réveille ta puissance! O Éternel, Dieu des armées, jusques à quand ta colère fumera-t-elle contre la requête de ton peuple? Tu les as abreuvés de pleurs à pleine mesure! O Dieu des armées, reviens, je te prie! »

C'est ainsi qu'on trouve souvent dans plusieurs discours de Saurin un souvenir tendre, ou une douleur inguérissable, sans y trouver jamais de plainte ni d'imprécation; et, s'il forme des vœux pour la Hollande, il ne blasphème jamais le nom de la France; ce nom même, il ne le prononce pas; c'était un souvenir à la fois trop amer et trop doux.

Peut-être que, de cette nuit ténébreuse qui enveloppe aujourd'hui une partie de l'Église, va s'élever la lumière. Peut-être que ceux qui parleront après nous sur la Providence auront lieu de mettre dans le catalogue de ses profondeurs la manière dont Dieu aura délivré la vérité opprimée dans un royaume où elle fleurissait avec tant d'éclat, et que ces coups redoublés qu'on porte contre les réformés ne serviront qu'à affermir la réformation. »

Le sermon sur l'amour de la patrie déborde pour ainsi dire d'une émotion que l'orateur s'efforce en vain de contenir.

« La ville qui est le lieu du sépulcre de nos pères demeure encore désolée, ses portes sont encore en feu!... Malheureux comme les anciens Juifs, beaucoup plus malheureux encore, il n'y a pour nous aucune espérance de retour. Point de consolateur qui fasse revenir le courage! Point de voix qui crie dans le désert: Réparez les chemins, dressez les sentiers! Toutes les vallées seront comblées, tous les coteaux seront abaissés, tous les lieux tortus seront aplanis! Point de Cyrus auquel Dieu prenne la main droite afin de terrasser les nations par son bras, afin que devant lui les portes ne soient point fermées! Point d'Artaxerxès qui prête son autorité, et, ce qu'il y a de plus déplorable,

point de Néhémie qui puisse la demander avec succès! Quand nous serions les patriotes les plus zélés et les plus fidèles, quand nous aurions pour notre patrie tout l'amour que Néhémie eut pour la sienne, nous ne pourrions le pro

duire au dehors comme lui...

» Ah! souffrez, heureux habitants de ces provinces, souffrez que, pouvant si peu pour les villes où sont les sépulcres de nos pères, nous fassions ce qui est en notre pouvoir! souffrez que de tristes objets fassent quelque diversion à la part que nous prenons à votre prospérité! souffrez que notre visage pâlisse pendant que la ville qui est le lieu du sépulcre de nos pères demeure désolée et que ses portes sont en feu! souffrez que nous vous conjurions de prier pour la paix de Jérusalem! souffrez qu'au milieu d'un peuple comblé des faveurs du ciel et d'un peuple que nous aimons comme nous-mêmes, nous fassions éclater ce cri, interprète de nos douleurs : « Jérusalem, si je t'oublie, que ma dextre s'oublie elle-même! Que ma langue s'attache à mon palais, si je ne me souviens de toi et si je ne te mets pour le premier chef de ma réjouissance! >>

Hélas! l'exilé partout est seul! et, au milieu de la Hollande si calme, si prospère, les protestants pleuraient souvent en silence. Les yeux tournés vers la patrie absente, ils aimaient encore à dire qu'ils en étaient les enfants :

« Le troisième ministre du Dieu des vengeances qui nous prêche la sensibilité, c'est la peste qui ravage un royaume voisin (1). Vos provinces ne se soutiennent point par elles-mêmes, elles ont une relation intime avec tous les

(1) La peste de Marseille,

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