Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE II

INVENTION

Il y a peu d'orateurs, s'il y en a, qui aient eu plus de puissance et de fécondité que Saurin. On remarque en lui une verve étonnante dans la conception première ou, si l'on veut, dans l'invention; c'est avec une vigueur singulière qu'il embrasse son sujet ; et il le traite avec une abondance qui ne semble jamais épuisée.

La diversité de ses sujets n'est pas un moindre mérite: le dogme, la morale, la philosophie lui ont fourni tour à tour les développements les plus curieux et les plus instructifs. Quand il parle de la nature ou de la peine du péché irrémissible, il n'y a pas de théologien plus savant et plus habile; quand il parle du renvoi de la conversion, il n'y a pas de moraliste plus émouvant; quand il parle des profondeurs divines, Descartes et Leibniz n'atteignent pas sa vigueur et sa clarté. Tantôt il nous émeut en nous retraçant les malheurs de l'Europe; tantôt il nous terrifie par le spectacle des tourments de l'enfer; ici, il s'élève jusqu'aux plus sublimes hauteurs en nous parlant de la vision béatifique de la divinité; là, il s'abaisse jusqu'à la portée des esprits les plus simples, et son sermon sur la manière

d'étudier la religion est le catéchisme le plus minutieux, le plus simple et le plus tendre qu'une mère puisse désirer pour son enfant.

Si maintenant nous examinons ses discours en euxmêmes, notre admiration n'est pas moins vive. Le titre seul de quelques-uns nous confond. Que pourrions-nous dire sur ce sujet? quel parti en tirer? avec le secours des Écritures ou des auteurs profanes, nous resterions muets. Saurin, au contraire, dès les premières lignes, nous ouvre de vastes horizons; et, nous entraînant avec lui dans son essor audacieux, nous fait parcourir l'infini.

Ce qui lui permet de s'élever ainsi, c'est un procédé nouveau que M. Vinet indique fort bien : « Les sermons analytiques des anciens prédicateurs protestants, les explications dogmatiques d'un texte suivi pas à pas, ne sont chez lui que des exceptions; il emploie à l'ordinaire la méthode synthétique, qu'il a le premier mise en honneur et qui consiste à concentrer tous les éléments du texte dans une idée commune, à traiter l'idée et non le texte.»

Ce fut là, dans la chaire protestante une importante révolution; Saurin en a pris sans doute l'idée chez les prédicateurs catholiques, mais l'intelligence de ce choix et le courage de pratiquer ce système ne sont pas moins à son hon

neur.

Nous allons analyser quelques sermons de Saurin et il sera facile par ce procédé seul d'en connaître toute la richesse.

Prenons pour exemple le Renvoi de la conversion, qui a fourni la matière de trois discours, si vastes, que chacun d'eux ferait perdre haleine à plus d'un orateur.

Nous en reproduisons ici le plan, en conservant les expressions mêmes de l'auteur.

Proposition.

[ocr errors]

PREMIER SERMON

Notre propre constitution, la nature de l'homme, va nous fournir aujourd'hui des réflexions sur le renvoi de la conversion. Il est constant que nous portons en nous-mêmes des qualités qui rendent la conversion difficile et j'ose dire impossible, à mesure qu'elle est plus différée.

Première partie. Pour le comprendre, formez-vous une juste idée de la conversion, et reconnaissez que, pour être en état de grâce, votre âme doit avoir deux dispositions: 1° elle doit être éclairée; 2o elle doit être sanctifiée. Deuxième partie. Ces choses étant ainsi établies, on peut démontrer par notre propre constitution qu'une conversion différée doit être toujours suspecte, et que, quand on diffère de se convertir, on risque de ne se convertir jamais.

[ocr errors]

I. Cela est vrai, premièrement à l'égard des lumières qui sont essentielles à la conversion.

Pourquoi?

1° Parce que les âges de la vie ne sont pas également propres à mettre notre corps dans cette heureuse situation qui laisse à l'esprit la facilité de penser et de réfléchir.

2° Allons encore plus loin; remarquons que, lorsque l'esprit, pendant un certain temps, s'est formé l'habitude de ne se tourner que vers des objets sensibles, il est presque impossible qu'il s'attache à d'autres.

3o Enfin le dernier inconvénient qui se trouve à différer

l'étude de la religion, c'est une distraction, une dissipation qui naît des objets qui ont pris possession de nos esprits.

II. Mais la vérité que nous voulons prouver est susceptible d'une plus claire démonstration encore, lorsque l'on considère la religion par rapport au côté pratique.

Il ne suffit pas de faire quelque acte d'amour de Dieu; il faut en avoir un fonds et un principe constant. On ne peut être converti sans avoir l'habitude de l'amour divin.

Cela posé, nous établissons sur deux principes tout ce que nous avons à vous proposer sur cette matière :

1° On ne peut acquérir une habitude sans former les actes qui y ont rapport. Pour former les habitudes de la religion, il faut faire des actes de charité, de patience, d'humilité. On n'acquiert pas ces vertus dès qu'on s'y dévoue. Il y a plus: elles sont directement opposées à notre constitution; car nous apportons, en venant au monde, un germe de corruption.

2o Quand une habitude s'est enracinée, elle devient, ou très-difficile ou impossible à corriger; par conséquent, quand nous avons persisté dans un vice, quand nous y avons vieilli, le vice s'empare de nos cœurs et nous n'en sommes plus les maîtres.

On nous dira que nos principes sont détruits par l'expérience; que nous voyons tous les jours des personnes qui ont vécu une longue suite d'années dans une habitude, qui y renoncent incontinent. Le fait est possible; il est même incontestable. Il se produit dans cinq cas; ce sont un effort de réflexion; une catastrophe extraordinaire; la révélation de vérités ignorées; l'affaiblissement des facultés; une maladie mortelle.

Ces cinq cas bien examinés sont reconnus ne porter aucune atteinte à ce que nous venons d'établir.

Pour le dernier particulièrement : 1° Comment se fonder sur ce qui doit arriver à l'heure de la mort? Je mourrai dans un lit, calme, tranquille; j'aurai de la conception, de la présence d'esprit, je me servirai de ces dispositions pour déraciner le vice de mon cœur... Qui est-ce qui vous est garant que vous mourrez de cette manière? 2° Ces douleurs cuisantes et insupportables mettent l'âme hors de son assiette naturelle; où est le génie assez fort pour se rappeler à soi-même dans ces tristes circonstances et pour exécuter des projets chimériques de conversion? 3° Nous voulons bien supposer que vous ayez une de ces maladies qui conduisent insensiblement à la mort sans en faire res-. sortir les horreurs; mais, comme vous ne croyez pas que ce soit encore le moment de votre mort, vous ne croyez pas aussi que ce doive être celui de votre conversion. 4° La seule pensée de la mort n'est-elle pas capable de troubler votre raison et de vous ôter cette liberté qui est si nécessaire pour travailler au grand ouvrage de votre salut. » Application (ou péroraison).

DEUXIÈME SERMON

Proposition. - «Les déclarations de l'Écriture Sainte seront aujourd'hui nos arguments. (Citations de l'Écriture et commentaire).

Il y a deux objections tirées de deux dogmes. Le premier de ces dogmes est le secours surnaturel de l'Esprit de Dieu qui peut surmonter dans un instant tous les ob

« PreviousContinue »