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de morale, c'est le tombeau. Allez sur le tombeau de l'avare, allez apprendre à connaître l'avarice voyez cet homme qui entassait monceau sur monceau et richesses sur richesses; allez le voir renfermé dans quelques planches et dans quelques pouces de terre ! Allez sur le tombeau de l'ambitieux, allez apprendre à connaître l'ambition: allez voir ces nobles desseins, ces vastes projets, ces espérances sans bornes avortées et comme brisées à cet écueil fatal des choses humaines! Allez sur le tombeau de l'homme superbe, allez apprendre à connaître l'orgueil: allez voir cette bouche qui prononçait des choses magnifiques, condamnée à un éternel silence, ces yeux étincelants dont les formidables regards étaient la terreur de l'univers, couverts d'une sombre nuit, et ce bras redoutable qui faisait la destinée des peuples, sans mouvement et sans vie. Allez sur le tombeau de l'homme noble, allez apprendre à connaître la noblesse: allez voir ces titres magnifiques, ces ancêtres majestueux, ces inscriptions pompeuses, ces généalogies recherchées; allez les voir confondues dans la même tombe. Allez sur le tombeau du voluptueux, allez apprendre à connaître la volupté : allez voir ces sens détruits, ces organes dissipés, ces os épars sur la gueule du sépulcre, et ce temple de la volupté sapé jusqu'aux fondements! »

« Ce retour des mêmes formules, dit Maury, serre de plus près la conscience dont elle force les remords, et cette figure est très-propre à généraliser les résultats d'un sermon pour les appliquer avec plus d'intérêt aux différentes classes des auditeurs. >>

Il est singulier que M. Vinet ait été plus sévère que

Maury pour Saurin; il lui adresse le reproche très-injuste d'avoir fait souvent des répétitions puériles.

Un passage du sermon Sur les malheurs de l'Europe offre un si grand nombre de répétitions, mais en même si heureuses, que nous y verrions volontiers le texte des compliments de Maury et des reproches de Vinet:

<< Comme les Juifs, nous avons vu des exemples de la justice divine. L'Europe est aujourd'hui un théâtre funeste que des scènes tragiques ont ensanglanté; l'ange exterminateur, armé du glaive formidable de la colère céleste, se promène à droite et à gauche, remplit tout de carnage et d'horreur. L'épée de l'Éternel, enivrée de sang, refuse de rentrer en son fourreau et semble vouloir faire du monde universel un vaste sépulcre. Bien des fois notre Europe fut frappée de rudes coups; mais je ne sais si l'histoire nous en raconte qui soient en même temps et si accablants et si généraux. Dieu proposa autrefois à David un terrible choix: la mortalité, la guerre ou la famine. Le meilleur était très-funeste. Aujourd'hui il ne les propose pas aux hommes, il les leur envoie. Il ne leur en envoie pas un en particulier, il les leur envoie tous trois ensemble. De quel côté porterez-vous vos regards où vous ne voyiez de pareils objets? A quelle voix serez-vous attentifs, qui ne vous dise Si vous ne vous amendez, vous périrez tous semblablement. Écoutez ces peuples dont les malheureuses contrées servent depuis tant d'années de théâtre à cette guerre, qui n'entendent à leurs oreilles que guerres et que bruit de guerres, qui voient leurs moissons fauchées avant la maturité, et dissipée dans un moment l'espérance de toute une année; ce sont ces exemples funestes, ce sont

ces voix pathétiques qui vous crient : Si vous ne vous amendez, vous périrez tous semblablement. Écoutez ces peuples qui ont sur leurs têtes des cieux d'airain et sous leurs pieds une terre de fer, qui sont consumés par la cherté et par la disette; ce sont ces funestes exemples, ce sont ces voix pathétiques qui vous crient : Si vous ne vous amendez, vous périrez tous semblablement. Écoutez ces peuples chez qui la mort entre avec l'air qu'ils respirent, qui voient tomber à leurs yeux ici un enfant, là un époux, et qui attendent à chaque moment de les suivre; ce sont ces exemples funestes, ce sont ces voix pathétiques qui vous crient: Si vous ne vous amendez, vous périrez tous semblablement! »

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Ces avertissements répétés, ce terrible refrain de menaces ne sont-ils pas bien propres à bouleverser les âmes et à y faire pénétrer la crainte salutaire que l'orateur veut inspirer?

On pourrait comparer à ce passage le fameux passage où Bossuet, parlant de la nécessité fatale où sont tous les hommes de mourir, leur crie, malgré leurs regrets, malgré leurs espérances, malgré leurs craintes : Marche! marche!

Il y a dans les deux orateurs beaucoup de ressemblance, sinon pour le fond même de l'idée, du moins pour la forme dont ils l'ont revêtue.

Que d'autres ressemblances on pourrait signaler entre eux; quel sujet d'études intéressant et instructif!

On trouve peu la Description chez Saurin. Cette figure en effet demande toujours plus ou moins du travail et de l'apprêt. Du moins il en fait de véritables arguments.

« C'est ici où je voudrais que ma`plume eût été trempée dans le fiel de la colère céleste pour vous peindre l'état d'un homme qui expire dans ces cruelles incertitudes et qui envisage malgré lui, malgré lui! ees vérités de la Religion qu'il a travaillé inutilement à déraciner de son cœur. Tout contribue à troubler son âme : Me voici dans un lit de mort; me voici destitué de toute espérance de retourner au monde; les médecins m'abandonnent; mes amis n'ont plus à m'offrir que des soupirs inutiles et des larmes impuissantes; les remèdes sont sans fruit; les consultations sont sans succès et, non-seulement cette portion des biens de la terre que je possède, mais tout l'univers entier ne saurait 'me tirer de cet état. Il faut mourir! Ce n'est plus un livre qui parle; ce n'est plus un déclamateur qui se joue; c'est la Mort elle-même. Déjà je sens je ne sais quelle glace dans mon sang; déjà une sueur mortelle se répand sur la superficie de mon corps. Mes pieds, mes mains, tous mes membres décharnés tiennent déjà plus du cadavre que du corps animé et du mort que du vivant. Il faut mourir! Où vais-je? Que dois-je devenir? Si j'envisage mon corps, quel spectacle affreux, mon Dieu! Déjà je me représente ces flambeaux lugubres, ces voiles sinistres, ces sons funèbres, une demeure souterraine, un cadavre, des vers, la pourriture. Si j'envisage mon âme, j'ignore sa destinée, je me jette tête baissée dans une nuit éternelle. Mon incrédulité me dit que l'âme n'est qu'une portion de la plus subtile partie de la matière; que l'autre monde est une vision; qu'une vie à venir est une chimère. Mais encore je sens je ne sais quoi qui trouble mon incrédulité. La pensée du néant, toute terrible qu'elle est, me paraîtrait supportable,

si l'idée d'un paradis et d'un enfer ne se présentait malgré moi-même à mon esprit. Mais je le vois, ce paradis, ce séjour immortel de gloire, je le vois au-dessus de ma tête; je le vois comme un lieu dont mes crimes me ferment l'entrée. Je le vois, cet enfer, dont je faisais mes railleries, je le vois ouvert sous mes pieds. J'entends ces hurlements horribles que poussent les esprits malheureux; et la fumée qui monte du puits de l'abîme trouble déjà mon imagination et offusque ma pensée.

» Tel est l'incrédule dans un lit de mort. Ce ne sont pas là des traits d'imagination; ce ne sont pas des images faites à plaisir; ce sont des tableaux pris d'après nature; c'est ce que nous voyons tous les jours dans ces visites fatales où notre ministère nous engage, où il semble que Dieu nous appelle pour nous rendre les tristes témoins de sa fureur et de sa vengeance...

» Sans doute qu'il s'élèverait bien des murmures dans cet auditoire, sans doute nous serions taxés d'outrer étrangement la matière, si nous osions avancer cette proposition, que plusieurs de ceux qui nous écoutent sont capables de porter la corruption au degré que je viens de dépeindre. Nous ne l'avancerons point; aussi bien votre délicatesse nous est trop connue. »>

La Comparaison et l'Exemple sont souvent nécessaires dans le discours, et sont toujours heureux chez Saurin. Ainsi propos d'une fête de Noël :

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<< Pensez-vous que cette fête ne demande de vous aucun préparatif? Croiriez-vous la célébrer dignement si, contents d'assister, peut-être moins d'esprit que de corps, à quelques

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