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Nous allons maintenant, d'aussi près qu'il nous sera possible, étudier l'éloquence de Saurin et montrer la puissante originalité de ce rare génie.

Disons d'abord que nous prendrons comme sujet de cette étude, non pas toutes ses œuvres, mais ses discours seuls; encore parmi ses discours ferons-nous un choix. En effet, ses sermons qui s'élèvent au nombre de cent cinquante et qui forment douze volumes n'ont pas tous été publiés par lui. Il n'en fit paraître que cinq volumes, de 1708 à 1725; sans doute il prépara le sixième qui parut peu de temps après sa mort, en 1732. La publication de ceux qu'il avait écartés a plutôt nui à sa réputation, quoiqu'ils marquent encore un esprit supérieur. Imitons la sévérité qu'il apportait dans le choix de ses œuvres et ne parlons pas de celles qu'il n'a pas voulu présenter au public.

Il ne faut pas lire beaucoup de sermons de Saurin pour s'apercevoir qu'il a fait une double révolution dans la prédication, au point de vue littéraire et au point de vue philosophique.

La révocation de l'édit de Nantes et la persécution qui en fut la suite créaient pour la prédication protestante des conditions nouvelles. Tandis qu'en France, la voix de quelques proscrits réveillait à peine l'écho des déserts, à l'étranger elle pouvait résonner librement dans les temples qui s'élevaient en paix. La tranquillité, qui donnait aux pasteurs le loisir de préparer leurs discours, donnait aux fidèles le temps de vaquer à leurs affaires et de rétablir leur fortune. Leur foi, qui s'était affermie dans l'épreuve, n'avait plus besoin pour la lutte des armes de la théologie; au lieu de leur apprendre exclusivement le dogme, il importait au contraire de leur prêcher la morale pour les tenir en garde contre les dangers d'une vie facile et contre l'amollissement de la prospérité.

Saurin comprit ce besoin nouveau de la prédication. Il sentit que, s'il faut guider par la force et la sûreté de la doctrine, il faut attirer par le charme de la parole; que, pour être utile, il faut être agréable, et que, tout en prouvant, il faut plaire et toucher. Il ne sacrifie pas le fond, mais il soigne la forme; il sera éloquent.

Ainsi, l'exemple donné par le protestantisme aux prédicateurs catholiques lui fut ensuite, d'une autre manière, donné par eux. Il leur avait appris le respect de l'Écriture sainte et les sérieuses méditations; il en apprit la manière de bien parler et de mettre l'art au service de la vérité.

D'autre part, Descartes, en renouvelant avec éclat la philosophie, avait fait connaître une puissance qui allait tantôt combattre la religion, tantôt s'y unir, mais qui, dans les deux cas, méritait que l'on comptât avec elle.

Bossuet et Fénelon avaient compris l'importance de la phi

losophie; ils l'étudièrent, et, dans des livres spéciaux, montrèrent qu'elle pouvait être associée à la religion. Mais ni l'un ni l'autre ne pensa à la transporter dans la chaire, ou du moins ne lui fit des emprunts sérieux.

Saurin, au contraire, et, en cela, il ne faisait pas tort à la grande idée qui inspira la Réforme, fonda son enseignement religieux sur la raison, sur le libre examen, sur la philosophie. Non pas que le protestantisme soit et veuille être simplement une doctrine philosophique: il n'a jamais prétendu s'affranchir du joug sacré des Écritures, et il demeure à ce point de vue une religion; mais il prétend les examiner librement, et, à ce point de vue, il peut être regardé comme le libérateur de l'esprit humain au xvI° siècle. C'est lui qui, avant Descartes, avait trouvé les véritables principes de la Méthode rationnelle.

Saurin donc discute sa foi, il la prouve, il la défend contre les objections, de quelque part qu'elles viennent. L'autorité des hommes n'est rien pour lui; soumis seulement à l'autorité divine, il cherche quel est le sens des oracles, choisit parmi les doctrines des interprètes les plus considérables, et ne conclut qu'après avoir raisonné.

En apportant l'éloquence dans la chaire calviniste, il fut donc un novateur par rapport aux protestants; en y apportant la philosophie, il fut un novateur par rapport aux catholiques.

Ce sont ces deux vérités que démontrera l'étude de ses discours.

CHAPITRE PREMIER

LE STYLE DE SAURIN

Ce qui frappe tout d'abord dans la lecture de Saurin, c'est son style.

Il avait beaucoup étudié la littérature ancienne et la littérature moderne; il connaissait à fond Bossuet, Bourdaloue, Massillon, Fléchier, et, sans vouloir les imiter, sans les imiter en effet, il a su profiter de l'admirable exemple qu'ils avaient donné.

Il a travaillé son style. Il a donné du tour à ses pensées, de l'harmonie à sa phrase, de l'éclat, de la grâce, de la force, du charme à ses expressions: voilà ce qui le distingue de tous les orateurs protestants qui l'ont précédé.

Cependant, et avant tout, il est naturel; la nature parle par sa bouche. Pascal se plaignait de trouver toujours un auteur là où il cherchait un homme : il eût trouvé cet homme dans Saurin. On reconnaît en lui par instants le calviniste des temps passés dont la voix mâle est quelquefois rude, qui ne connaît point la noblesse, dédaigne les périphrases, et ne craint pas d'offenser les oreilles délicates.

« Il faudrait, dit-il par exemple, que le mort demeurât sans sépulture et qu'il infectât par sa puanteur ceux qui l'assistèrent pendant sa vie. »

Il se complaît dans ces images terribles qui, mieux que certaines périphrases de Bossuet, mettent à néant notre orgueil et font frissonner notre chair; il aime à envisager sans voile la mort, ses approches, ses épouvantements; il aime à soulever la pierre d'un tombeau et à contempler les restes hideux de notre humanité.

<< Heureux qui, au lieu de ces titres superbes que la vanité des vivants grave sur la tombe, sous prétexte d'honorer le mort, et, au lieu de ces inscriptions fastueuses où l'on donne cours à son propre orgueil, au milieu de ces ossements, de ces vers, de cette pourriture, heureux qui aura l'épitaphe d'Atholus : Il a transporté ses biens dans le ciel par sa charité : il est allé en prendre possession! »

Il y a loin de ces images repoussantes aux délicates circonlocutions par lesquelles Bossuet devant la cour exprimait « ces sombres lieux, ces demeures souterraines, ce je ne sais quoi qui n'a de nom dans aucune langue. »

Hélas! ces choses-lå ont un nom, mais Saurin seul a osé les nommer. Les hardiesses de Bossuet sont timides auprès de celles que Saurin prodigue sans trembler.

« Où vas-tu, riche qui te félicites de ce que tes champs ont foisonné, et qui dis à ton âme : Mon âme, tu as des biens amassés pour beaucoup d'années; repose-toi, mange et bois et fais bonne chère? A la mort! Où vas-tu, pauvre, qui traînes une vie languissante, qui mendies ton pain de maison en maison, qui es dans de continuelles alarmes sur les moyens d'avoir des aliments pour te sustenter et des habits pour te couvrir, toujours l'objet de la charité des uns et de la dureté des autres? A la mort! Où vas-tu, noble, qui te pares d'une gloire empruntée, qui comptes comme

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