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thèse. Faut-il rappeler les noms de La Rochefoucauld, de Retz, de Montausier, de Grammont, de Bussy-Rabutin, de tant d'autres grands seigneurs plus remarquables par leurs connaissances que par leur noblesse? Faut-il citer les noms des Précieuses? ceux de mesdames de Motteville, de Longueville, de Lafayette, de Montpensier, de Montespan, de Sévigné, de Maintenon? C'était le temps où les plus nobles dames savaient le latin, où elles discutaient les doctrines de la Grâce, où madame de Grignan oubliait dans la lecture de Descartes les lettres de sa mère; où le prince de Condé, au sortir d'une bataille, se sentait la tentation d'argumenter sur les thèses théologiques de Bossuet, et pleurait aux vers du grand Corneille. Il faudrait citer trop d'exemples et il est plus court de s'en référer à une histoire que tout le monde connaît, ou que tout le monde peut facilement connaître.

Dans l'histoire en effet, le xvIIe siècle nous apparaît avec un caractère qui lui est propre : c'est l'âge de la raison. Toute la doctrine de Boileau pourrait se résumer dans cet hémistiche de l'Art poétique : « Aimez donc la raison! » Et cette doctrine qui régna sur la littérature régna aussi sur la science, la philosophie et la théologie; il suffit, pour s'en convaincre, de joindre au nom de Boileau ceux de Pascal, de Descartes et d'Arnauld. Ces grands hommes régnèrent alors sur les esprits aussi despotiquement que Louis XIV sur les peuples; leur gravité se reflète sur leur époque tout entière et lui imprime un caractère inaltérable de grandeur et de solidité.

Répandues au dehors, leurs idées s'imposèrent aussi aux nations étrangères. Combien plus devaient-elles exercer

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d'influence sur les Français que l'exil avait dispersés en Europe!

C'est à ce point de vue qu'il était nécessaire, avant d'étudier les œuvres de Saurin, d'exprimer le caractère général de la prédication, des mœurs et du goût public au XVIIe siècle. Nous n'avons pu que rapidement parler d'un si vaste sujet; mais il est facile de compléter ces données par les renseignements si nombreux qui abondent sur cette grande époque.

Pour achever de faire connaître les conditions de la prédication protestante à l'époque de Saurin, il reste à exposer les exigences et les besoins de son public.

CHAPITRE III

LE PUBLIC DE LA HAYE

Quels éléments composaient le public de la Haye? quelles étaient les traditions qu'il subissait? Quel langage parlait-il? voilà les trois questions que nous allons traiter.

TITRE PREMIER

DE QUELS ÉLÉMENTS SE COMPOSAIT LE PUBLIC DE LA HAYE

Deux éléments composaient l'auditoire de Saurin : les réfugiés Français et les calvinistes Hollandais. Malgré la différence de l'origine, il y avait entre les uns et les autres de grandes ressemblances de caractère.

Les Hollandais étaient méthodiques par l'effet de leur nature; les Français, par l'effet de leurs habitudes religieuses; les uns étaient graves, sérieux, raisonneurs, par une sorte de sang-froid national; les autres, par leur éducation et leur manière de vivre; les uns avaient été habitués par le commerce à une exactitude méticuleuse et la conservaient dans les affaires de la foi; les autres, habitant un pays catholique, depuis longtemps persécutés, privés

souvent de livres et de pasteurs, avaient dû étudier euxmêmes la théologie et la logique pour soutenir les controverses ou pour instruire leurs enfants.

Du reste, la connaissance raisonnée de la religion a toujours été une des marques auxquelles on peut reconnaître un protestant. Encore aujourd'hui, dès que les enfants sont en état de comprendre les questions, on s'empresse de les formuler devant eux et de les résoudre avec eux. La première communion n'a pas généralement lieu avant la seizième année, afin qu'à ce moment solennel l'instruction puisse être complète (1).

A plus forte raison, chez les Français du xvre et du xvir siècle, l'instruction devait être poussée fort loin, et les jeunes gens, destinés à une lutte de tous les instants, devaient être armés de toutes pièces. A quels dangers n'était pas exposée leur foi! La prison, la mort n'étaient pas les plus grands: un effort de courage peut les faire braver. Mais que dire des séductions du plaisir, de l'intérêt, de l'ambition, de la réputation? Comment résister, lorsqu'à tout moment la sécurité personnelle, l'héritage paternel et l'avenir de la famille étaient menacés?

1. Voici ce que disait Saurin à ce propos : « Suivre une religion par entêtement et par préjugé, c'est renoncer également et à la qualité d'homme, et à celle de chrétien, et à celle de réformé. A la qualité d'homme, qui doué d'intelligence ne doit jamais prendre parti sur des matières importantes sans consulter cette intelligence qui lui a été donnée pour le guider et pour le conduire. A celle de chrétien: car l'Évangile nous propose un Dieu que nous connaissons; il veut que nous examinions avec soin toutes choses, que nous retenions ce qui est bon. A la qualité de réformé : car c'est ici le fondement et le point capital de la réformation, que notre soumission à des docteurs humains est un esclavage indigne d'un chrétien que le Fils a affranchi. L'examen, la connaissance, la lumière, c'est la première partie de la religion et la première voie par laquelle on doit chercher l'Éternel. »

Chez les Hollandais, la paix et la liberté n'avaient pas nui aux études théologiques; le goût de la nation la portait aux travaux patients de la critique et de l'érudition. La liste serait longue de tous les ouvrages qui parurent alors en ce genre. Citons seulement, par curiosité, les principaux livres que publièrent les réfugiés français en Hollande; par ceux-là, il sera facile de juger des autres.

Ce sont Apologie pour la morale des réformés; Préservatif contre le changement de religion; Politique du clergé de France; Lettres pastorales, par Jurieu. — Pensées sur les comètes; Critique générale de l'histoire du Calvinisme; Nouvelles de la République des Lettres; La France toute catholique; Compelle intrare; Commentaire philosophique; Avis aux réfugiés; Dictionnaire historique; Questions d'un provincial, par Bayle. Histoire de la religion des églises réformées; Entretiens sur la religion; Traité de la conscience; Histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament; Histoire de l'Église; Histoire des Juifs; Antiquités judaïques; Annales des ProvincesUnies, par Jacques Basnage. Histoire des ouvrages des savants par Henri Basnage. ·Henri Basnage. — Histoire de l'édit de Nantes, par Élie Benoît. Traduction de la Bible, par Martin. -Les Bibliothèques; la Genesis; Histoire ecclésiastique des deux premiers siècles; Entretiens sur des matières de théologie; Art critique; Vie de Richelieu; Pensées diverses sur des matières de critique, d'histoire, de morale et de politique, par Jean Le Clerc, l'ami de Locke, qui le connut pendant son séjour en Hollande. — Nouvelles solides et choisies, par Aubert de Versé et Flournois, auteur des Entretiens sur la mer. Lettres historiques; Mer

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