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n'habite point les temples faits de nos mains; de tous vos cœurs faites-lui une maison sainte qui s'élève pour être un tabernacle de Dieu en esprit; de vos maisons, faites des temples, consacrez-les à Dieu!...

» Sainte famille de mon Père, cher héritage de mon Dieu, sacré troupeau de mon divin maître, si je ne vous prêche dans ce lieu, je vous rassemblerai dans mon cœur; si je ne vous bénis de cette chaire, je vous bénirai dans mon cœur; et vous ferez le principal sujet de ma joie ou de ma tristesse, l'unique sujet de mes prières et la continuelle matière de mes vœux ardents. Les heures qui étaient destinées à vous prêcher le seront à prier et à conjurer le ciel pour attirer ses grâces sur vous. Et toi, Seigneur, je ne te laisserai point aller que tu ne les aies bénis! »

CHAPITRE II

LE GOUT AU XVII SIÈCLE

Dans l'ardeur de la lutte qu'elle soutenait contre le protestantisme, l'Église romaine avait plus songé à se défendre qu'à se réformer; « elle avait plus travaillé à refouler l'hérésie qu'à combattre dans son propre sein les relâchements et les abus qui avaient été le premier sujet de plainte et le grief le moins contesté des novateurs. »

C'est ce que nous avons prouvé précédemment en disant quelques mots de la prédication catholique au xvr siècle.

La réforme de la prédication comme celle des abus ne se produisit que plus tard, et l'une fut la suite nécessaire de l'autre. Mais quelle en fut la commune origine?

Ce fut l'exemple donné par le protestantisme.

Au protestantisme revient l'honneur d'avoir réformé malgré elle l'Église romaine dans sa discipline et dans son éloquence.

Cette grande vérité n'a jamais été mise dans son jour, parce que les études en France ont un caractère tristement exclusif. On ignore que de grands écrivains, de grands penseurs, de grands philosophes, de grands orateurs se

trouvent parmi les protestants français. Il nous a fallu chercher dans le livre de M. Vinet, un Suisse ! les renseignements dont nous avions besoin pour le chapitre précédent. Quel cours de littérature avait jamais parlé de tous ces grands prédicateurs? Quel érudit avait jamais percé les ténèbres qui les couvraient?

Malgré les préjugés, les habitudes et les oublis, ne craignons pas de proclamer que, sans l'exemple de la prédication calviniste, la prédication catholique n'aurait pas rompu avec les traditions de son passé; au lieu de puiser ses plus hautes inspirations dans cette Bible que le protestantisme avait déterrée, elle aurait cherché dans l'inspiration de l'antiquité païenne l'éclat futile dont s'étaient parés les orateurs de l'âge précédent; elle aurait peut-être, par le progrès du temps, produit un Massillon ou un Fléchier, mais, sans Calvin, la France n'aurait jamais eu un Bourdaloue et un Bossuet.

La lutte armée n'avait donné à l'orthodoxie qu'un triomphe incomplet, même en France. Il fallait chercher d'autres armes contre la supériorité morale et littéraire que les calvinistes avaient conquise.

Nous n'entrerons pas dans le détail des sages réformes que le catholicisme accomplit dans sa discipline et dans son enseignement: nous ne parlerons que des progrès de sa prédication.

M. de Bérulle mérite d'attacher son nom à cette grande œuvre. Il voulut le premier former une école de prêtres où la science fût jointe à la piété, les travaux de l'esprit aux œuvres de la charité. Tandis qu'une exacte discipline y était

établie par ses soins, les principes d'une prédication sérieuse et utile y étaient enseignés. Comme les orateurs de la chaire protestante, élèves de Saumur et de Sedan, les orateurs catholiques, élèves de l'Oratoire, apprirent alors et pratiquèrent une éloquence saine, appuyée sur une doctrine solide, ornée mais avec mesure, familière mais sans bassesse, simple et naïve, mais toujours grave et décente. Le père Bourgoing, le père Le Jeune, le père Sénault, acquirent bien vite ainsi une réputation honorable, et leur exemple ne devait pas être perdu.

Les jésuites n'entrèrent pas dans ce mouvement, au moins alors. Mais les jansénistes, ces puritains du catholicisme, adoptèrent et professèrent la nouvelle éloquence qui se révélait au XVIIe siècle.

L'abbé de Saint-Cyran disait donc après le vieux Dumoulin : « Si j'avais quelque occasion, de prêcher, je me présenterais devant Dieu pour lui demander les pensées sur le sujet que j'aurais pris, et, après les avoir d'heure en heure arrosées par de fréquentes oraisons, je m'en irais prêcher sans aucune réflexion ni sur moi ni sur les autres. >

Priez, disait-il encore, et dites ensuite ce que Dieu vous aura donné, et le dites simplement, plus par manière d'exposition que de haute prédication. Dans le style du prêtre, il suffit qu'il n'y ait rien de choquant. »

« Un discours simple, dit M. Jacquinet, grave, uni, d'une diction saine, non châtiée, sans grand mouvement, sans beauté éclatante de langage, mais pénétré de l'esprit de Dieu et tout vivant de grâce en quelque sorte sous sa réserve modeste, c'était là pour le saint abbé la meilleure

éloquence du prêtre. Les grands dons naturels, les grands talents qu'on souhaite ordinairement à l'orateur, vive sensibilité, richesse d'imagination, force et impétuosité de génie, lui semblaient autant à craindre qu'à envier. L'art lui est suspect; il s'en défie comme d'une préoccupation et d'un effort difficilement compatibles avec la parfaite obéissance et docilité de l'âme à tous les mouvements de la grâce, avec cette vive et continuelle oraison que Dieu demande å ses serviteurs. >>

Les idées de M. de Saint-Cyran touchaient à un excès où tombèrent les solitaires de Port-Royal. Selon eux, la tâche de l'orateur sacré consiste surtout à énoncer, à exposer en toute fidélité la vérité chrétienne; le prêtre s'efface pour la laisser agir par sa vertu propre. « Ils auraient craint, en se livrant aux saillies et aux élans de l'orateur, en s'appliquant au savant labeur, à.l'artifice délicat de l'écrivain, de céder à un amour-propre déguisé sous l'apparence du zèle, et de troubler, par l'accent trop marqué d'une voix mortelle, le travail secret de Dieu au fond des âmes. Leur langage porte partout la trace de ce sévère scrupule. Pour être bien écoutés et suivis, de tels orateurs veulent qu'on les aborde avec une disposition d'âme particulière. Cette médiocrité, fille de l'humilité, risquerait fort, aujourd'hui surtout, de lasser quiconque ne chercherait pas avant tout dans leurs écrits l'instruction et l'édification morales, une nourriture pour l'âme, une lumière pour la conduite de la vie. A cette condition seulement, on sentira tout ce qui se cache, sous ces pâles dehors et sous cette apparente froideur, de science chrétienne profonde, de connaissance intime et délicate de notre nature, d'affectueuse et brûlante charité. »

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