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fuperftitions des bonzes. Ils reçurent la fecte de . Laokium, & celle de Fo & plufieurs autres. Les magistrats fentirent que le peuple pouvait avoir des religions différentes de celle de l'Etat, comme il a une nourriture plus groffière; ils fouffrirent les bonzes & les continrent. Prefque par-tout ailleurs, ceux qui faifaient le métier de bonzes avaient l'autorité principale.

Il eft vrai que les lois de la Chine ne parlent point de peines & de récompenfes après la mort : ils n'ont point voulu affirmer ce qu'ils ne favaient pas. Cette différence entr'eux & tous les grands peuples policés eft très-étonnante. La doctrine de l'enfer était utile, & le gouvernement des Chinois ne l'a jamais admife. Ils fe contentèrent d'exhorter les hommes à révérer le ciel, & à être juftes. Ils crurent qu'une police exacte, toujours exercée, ferait plus d'effet que des opinions qui peuvent être combattues, & qu'on craindrait plus la loi toujours préLente, qu'une loi à venir. Nous parlerons en fon temps d'un autre peuple, infiniment moins confidérable, qui eut à peu près la même idée, ou plutôt qui n'eut aucune idée; mais qui fut conduit par des voies inconnues aux autres hommes.

Réfumons ici feulement, que l'Empire Chinois fubfiftait avec splendeur, quand les Chaldéens commençaient le cours de ces dix-neuf cents années d'observations astronomiques, envoyées en Grèce par Callifthène. Les Brames régnaient alors dans une partie de l'Inde; les Perfes avaient leurs lois; les Arabes au midi, les Scythes au feptentrion, habitaient fous des tentes; l'Egypte, dont nous allons parler, était un puiffant royaume.

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DE L'EGYPT E.

IL me paraît fenfible que les Egyptiens, tout antiques qu'ils font, ne purent être raffemblés en corps, civilifés, policés, induftrieux, puissans, que très-long-temps après tous les peuples que je viens de paffer en revue. La raison en eft évidente. L'Egypte, jufqu'au Delta, eft refferrée par deux chaînes de rochers, entre lefquels le Nil fe précipite, en defcendant l'Ethiopie du midi au feptentrion. Il n'y a, des cataractes du Nil à fes embouchures, en ligne droite, que cent foixante lieues de trois mille pas géométriques; & la largeur n'eft que de dix à quinze & vingt lieues jufqu'au Delta, partie basse de l'Egypte, qui embrasse une étendue de cinquante lieues d'orient en occident. A la droite du Nil, font les déferts de la Thébaïde; & à la gauche les fables inhabitables de la Lybie, jufqu'au petit pays où fut bâti le temple d'Ammon.

Les inondations du Nil durent, pendant des fiècles, écarter tous les colons d'une terre submergée quatre mois de l'année; ces eaux croupiffantes s'accumulant continuellement, durent long-temps faire un marais de toute l'Egypte. Il n'en eft pas ainfi des bords de l'Euphrate, du Tigre, de l'Inde, du Gange & d'autres rivières qui fe débordent auffi prefque chaque année, en été, à la fonte des neiges. Leurs débordemens ne font pas fi grands, & les vaftes plaines qui les environnent, donnent aux cultivateurs toute la liberté de profiter de la fertilité de la terre.

Obfervons furtout que la pefte, ce fléau attaché au genre animal, règne une fois en dix ans au moins en Egypte ; elle devait être beaucoup plus deftructive quand les eaux du Nil, en croupiffant fur la terre, ajoutaient leur infection à cette contagion horrible; & ainfi la population de l'Egypte dut être très-faible pendant bien des fiècles.

L'ordre naturel des chofes femble donc démontrer invinciblement que l'Egypte fut une des dernières terres habitées. Les Troglodytes, nés dans ces rochers dont le Nil eft bordé, furent obligés à des travaux auffi longs que pénibles, pour creufer des canaux qui reçuffent le fleuve, pour élever des cabanes & les rchauffer de vingt-cinq pieds au-dessus du terrein. C'est-là pourtant ce qu'il fallut faire avant de bâtir Thèbes, aux prétendues cent portes; avant d'élever Memphis & de fonger à conftruire des pyramides. Il eft bien étrange qu'aucun ancien hiftorien n'ait fait une réflexion fi naturelle.

Nous avons déjà obfervé que dans le temps où l'on place les voyages d'Abraham, l'Egypte était un puissant royaume. Ses rois avaient déjà bâti quelques-unes de ces pyramides qui étonnent encore les yeux & l'imagination. Les Arabes ont écrit que la plus grande fut élevée par Saurid, plufieurs fiècles avant Abraham. On ne fait en quel temps fut conftruite la fameufe Thèbes aux cent portes, la ville de Dieu, Diofpolis. Il paraît que dans ces temps reculés, les grandes villes portaient le nom de villes de Dieu, comme Babylone. Mais, qui pourra croire que par chacune des cent portes de cette ville, il fortait deux cents chariots armés en guerre, & dix

mille combattans? (11) Cela ferait vingt mille chariots & un million de foldats; & à un foldat pour cinq perfonnes, ce nombre fuppofe au moins cinq millions de têtes pour une feule ville, dans un pays qui n'est pas fi grand que l'Espagne ou que la France, & qui n'avait pas, felon Diodore de Sicile, plus de trois millions d'habitans, & plus de cent foixante mille foldats pour fa défense. Diodore, au livre premier, dit que l'Egypte était fi peuplée, qu'autrefois elle avait eu jufqu'à fept millions d'habitans; & que de fon temps, elle en avait encore trois millions.

Vous ne croyez pas plus aux conquêtes de Séfoftris, qu'aux dix millions de foldats qui fortent par les cent portes de Thèbes. Ne penfez-vous pas lire l'hiftoire de Picrocole, quand ceux qui copient Diodore, vous difent que le père de Séfoftris, fondant fes espérances fur un fonge & fur un oracle, deftina fon fils à fubjuguer le monde; qu'il fit élever à fa cour dans le métier des armes tous les enfans nés le même jour que ce fils; qu'on ne leur donnait à manger qu'après qu'ils avaient couru huit de nos grandes lieues; (k) enfin, que Séfoftris partit avec fix cents mille hommes, & vingt-fept mille chars de guerre, pour aller conquérir toute la terre, depuis l'Inde jufqu'aux extrémités du Pont-Euxin, &

(11) M. de Voltaire n'a en vue ici que les compilateurs modernes. Homere parle de cent chars qui fortaient de chaque porte de Thèbes; Diodore en compte deux cents; & c'est Pomponius Mela qui parle des dix mille combattans. Voyez la défenfe de mon oncle, chap. 9.

(4) Quand on réduirait ces huit licues à fix, on ne retrancherait qu'un quart du ridicule.

avec

qu'il fubjugua la Mingrélie & la Géorgie, appelées alors la Colchide. (12) Hérodote ne doute pas que Séfoftris n'ait laiffé des colonies en Colchide, parce qu'il a vu à Colchos des hommes bafanés, des cheveux crépus, reffemblans aux Egyptiens. Je croirais bien plutôt que ces efpèces de Scythes, des bords de la mer Noire & de la mer Cafpienne, vinrent rançonner les Egyptiens quand ils ravagèrent fi long-temps l'Afie, avant le règne de Cyrus. Je croirais qu'ils emmenèrent avec eux des efclaves de l'Egypte, ce vrai pays d'efclaves, & qu'Hérodote put voir ou crut voir les defcendans en Colchide. Si les Colchidiens avaient en effet la fuperftition de fe faire circoncire, ils avaient probablement retenu cette coutume d'Egypte ; comme il arriva prefque toujours aux peuples du Nord, de prendre les rites des nations civilifées qu'ils avaient vaincues. (13)

Jamais les Egyptiens dans les temps connus ne furent redoutables; jamais ennemi n'entra chez eux qu'il ne les fubjuguât. Les Scythes commencèrent. Après les Scythes, vint Nabuchodonofor qui conquit l'Egypte fans réfiftance; Cyrus n'eut qu'à y envoyer un de fes lieutenans: révoltée fous Cambyfe, il ne

(12) Nous avons entendu expliquer cette hiftoire de Séfoftris d'une manière très-ingénieufe, en la regardant comme une allégorie. Séfoftris eft le foleil, qui part à la tête de l'armée célefte pour conquérir la terre ; les dix-fept cents enfans, nés le même jour que lui, font les étoiles : les Egyptiens en devaient connaître à peu près ce nombre. Mais que cette fable soit une allegorie aftronomique, ou un conte qui ne fignifie rien ; il est toujours également ridicule de la regarder comme une hiftoire.

(13) Il peut y avoir eu une Colonie Egyptienne fur les bords du Pont-Euxin, fans que Séfoftris foit parti de l'Egypte avec 600,000 combattans pour conquérir la terre. Herodote pouvait être à la fois un historien fabuleux & un mauvais logicien.

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