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de chaque vers. C'eft dans ces poëfies qu'on trouve cette prédiction:

Avec cinq pains & deux poiffons,

Il nourrira cinq mille hommes au défert,
Et en ramassant les morceaux qui refteront,
Il en remplira douze paniers.

On ne s'en tint pas là; on imagina qu'on pouvait détourner en faveur du chriftianifme le fens des vers de la quatrième églogue de Virgile: .

Ultima Cumai venit jam carminis ætas :
Jam nova progenies cælo demittitur alto.
Les temps de la fibylle enfin font arrivés:

Un nouveau rejeton defcend du haut des cieux.

Cette opinion eut un fi grand cours dans les premiers fiècles de l'églife, que l'empereur Conftantin la foutint hautement. Quand un empereur parlait, il avait furement raifon. Virgile paffa long-temps pour un prophète. Enfin, on était fi perfuadé des oracles des fibylles; que nous avons dans une de nos hymnes, qui n'eft pas fort ancienne, ces deux vers remarquables:

Solvet fæclum in favilla,

Tefte David cum fibylla.

Il mettra l'univers en cendres,
Témoin la fibylle & David.

Parmi les prédictions attribuées aux fibylles, on faifait furtout valoir le règne de mille ans, que les pères de l'églife adoptèrent jufqu'au temps de Théodofe II.

Ce règne de JESUS-CHRIST pendant mille ans fur la terre, était fondé d'abord fur la prophétie de St Luc, chap. XXI; prophétie mal entendue, que JESUS-CHRIST viendrait dans les nuées, dans une grande puiffance & dans une grande majeflé, avant que la génération préfente fût paffee. La génération avait paffé; mais St Paul avait dit auffi dans fa première épître aux Theffaloniciens, chap. IV:

Nous vous déclarons, comme l'ayant appris du Seigneur, que nous qui vivons, & qui fommes refervés pour fon avénement, nous ne préviendrons point ceux qui font déjà dans le fommeil.

Car auffitôt que le fignal aura été donné par la voix de l'archange, & par le fon de la trompette de DIEU; le Seigneur lui-même defcendra du ciel, & ceux qui feront morts en JESUS-CHRIST reffufciteront les premiers.

Puis nous autres qui fommes vivans, & qui ferons demeurés jufqu'alors; nous ferons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air, & ainfi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur.

Il est bien étrange que Paul dife que c'est le Seigneur lui-même qui lui avait parlé; car Paul, loin d'avoir été un des difciples de CHRIST, avait été long-temps un de fes perfécuteurs. Quoi qu'il en puiffe être, l'Apocalypfe avait dit auffi, chap. XX, que les juftes régneraient fur la terre pendant mille ans avec JESUS-CHRIST.

On s'attendait donc à tout moment que JESU SCHRIST defcendrait du ciel pour établir fon règne, & rebâtir Jérufalem dans laquelle les chrétiens devaient fe réjouir avec les patriarches..

Cette nouvelle Jérufalem était annoncée dans l'Apocalypfe Moi, Jean, je vis lanouvelle Jérusalem qui defcendait du ciel parée comme une épousée.... Elle avait une grande & haute muraille, douze portes, & un ange à chaque porte.... douze fondemens or font les noms des apôtres de l'agneau.... Celui qui me parlait avait une toife d'or pour mesurer la ville, les portes & la muraille. La ville eft bâtie en carré, elle eft de douze mille ftades ; Ja longueur, fa largueur & fa hauteur font égales.... İl en mefura auffi la muraille qui eft de cent quarante-quatre coudées.... cette muraille était de jafpe, & la ville était d'or, &c.

On pouvait fe contenter de cette prédiction, mais on voulut encore avoir pour garant une fibylle à qui l'on fait dire à peu près les mêmes chofes. Cette perfuafion s'imprima fi fortement dans les efprits, que St Justin, dans fon dialogue contre Triphon, dit qu'il en eft convenu; & que JESUS doit venir dans cette Férufalem boire & manger avec fes difciples.

St Irénée fe livra fi pleinement à cette opinion, qu'il attribue à St Jean l'évangélifte ces paroles : Dans la nouvelle Jerufalem chaque cep de vigne produira dix mille branches, & chaque branche dix mille bourgeons, chaque bourgeon dix mille grappes, chaque grappe dix mille grains, chaque raifin vingt-cinq amphores de vin; & quand un des faints vendangeurs cueillera un raifin, le raisin voifin lui dira: prends-moi, je fuis meilleur que lui (q).

Ce n'était pas affez que la fibylle eût prédit ces merveilles, on avait été témoin de l'accompliffement. On vit, au rapport de Tertullien, la Jérufalem

(1) Irénée, chap. XXXV, liv. V.

nouvelle defcendre du ciel pendant quarante nuits confécutives.

Tertullien s'exprime ainfi : (r) Nous confeffons que le royaume nous eft promis pour mille ans en terre, après la réfurrection dans la cité de Jérufalem apportée du ciel ici-bas.

C'est ainsi que l'amour du merveilleux & l'envie d'entendre & de dire des chofes extraordinaires, a perverti le fens commun dans tous les temps. C'eft ainfi qu'on s'eft fervi de la fraude, quand on n'a pas eu la force. La religion chrétienne fut d'ailleurs foutenue par des raifons fi folides, que tout cet amas d'erreurs ne put l'ébranler. On dégagea l'or pur de tout cet alliage, & l'église parvint par degrés à l'état où nous la voyons aujourd'hui.

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REVENONS toujours à la nature de l'homme; il n'aime que l'extraordinaire ; & cela eft fi vrai, que fitôt que le beau, le fublime eft commun; il ne paraît plus ni beau ni fublime. On veut de l'extraordinaire en tout genre ; & on va jusqu'à l'impoffible. L'hiftoire ancienne reffemble à celle de - ce chou plus grand qu'une maison, & à ce pot plus grand qu'une églife, fait pour cuire ce chou.

Quelle idée avons-nous attachée au mot miracle qui d'abord fignifiait chofe admirable? Nous avons dit, c'eft ce que la nature ne peut opérer; c'est ce qui eft contraire à toutes fes lois. Ainfi l'Anglais qui promit au peuple de Londres de fe mettre tout () Tert. coutre Marcion, liv. III.

entier dans une bouteille de deux pintes, annonçait un miracle. Et autrefois on n'aurait pas manqué de légendaires qui auraient affirmé l'accompliffement de ce prodige, s'il en était revenu quelque chofe au

Couvent.

Nous croyons fans difficulté aux vrais miracles opérés dans notre fainte religion, & chez les Juifs dont la religion prépara la nôtre. Nous ne parlons ici que des autres nations, & nous ne raisonnons que fuivant les règles du bon fens, toujours foumises à la révélation.

Quiconque n'eft pas illuminé par la foi, ne peut regarder un miracle que comme une contravention aux lois éternelles de la nature. Il ne lui paraît pas poffible que DIEU dérange fon propre ouvrage; il fait que tout cft lié dans l'univers par des chaînes que rien ne peut rompre. Il fait que DIEU étant immuable, fes lois le font auffi; & qu'une roue de la grande machine ne peut s'arrêter, fans que la nature entière foit dérangée.

Si Jupiter en couchant avec Alcmène, fait une nuit de vingt-quatre heures, lorfqu'elle devait être de douze; il eft néceffaire que la terre s'arrête dans fon cours, & refte immobile douze heures entières. Mais comme les mêmes phénomènes du ciel reparaiffent la nuit fuivante, il eft néceffaire auffi que la lune & toutes les planètes fe foient arrêtées. Voilà une grande révolution dans tous les orbes céleftes, en faveur d'une femme de Thèbes en Béotic.

Un mort reffufcite au bout de quelques jours: il faut que toutes les parties imperceptibles de fon corps, qui s'étaient exhalées dans l'air, & les

que

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