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de l'Euphrate & du Tigre, étaient très - peuplés, quand les autres régions étaient prefque défertes. Dans nos climats feptentrionaux au contraire, il était beaucoup plus aifé de rencontrer une compagnie de loups qu'une fociété d'hommes.

DE LA CONNAISSANCE DE L'AM E.

QUELLE notion tous les premiers peuples aurontils eue de l'ame? Celle qu'ont tous nos gens de campagne avant qu'ils aient entendu le catéchifme, ou même après qu'ils l'ont entendu. Ils n'acquièrent qu'une idée confuse, fur laquelle même ils ne réfléchiffent jamais. La nature a eu trop de pitié d'eux pour en faire des métaphyficiens; cette nature eft toujours & par- tout la même. Elle fit fentir aux premières fociétés qu'il y avait quelqu'être fupérieur à l'homme, quand elles éprouvaient des fléaux extraordinaires. Elle leur fit fentir de même qu'il eft dans l'homme quelque chofe qui agit & qui penfe. Elles ne diftinguaient point cette faculté de celle de la vie; & le mot d'Ame fignifia toujours la vie chez les anciens, foit Syriens, foit Chaldéens, soit Egyptiens, foit Grecs, foit ceux qui vinrent enfin s'établir dans une partie de la Phénicie.

Par quels degrés put-on parvenir à imaginer dans notre être physique un autre être métaphyfique? Certainement des hommes uniquement occupés de leurs befoins, n'en favaient pas affez pour le tromper en philofophes.

Il fe forma, dans la fuite des temps, des fociétés un peu policées, dans lefquelles un petit nombre

d'hommes put avoir le loifir de réfléchir. Il doit être arrivé qu'un homme fenfiblement frappé de la mort de fon père, ou de fon frère, ou de fa femme, ait vu dans un fonge la perfonne qu'il regrettait. Deux ou trois fonges de cette nature auront inquiété toute une peuplade. Voilà un mort qui apparaît à des vivans, & cependant ce mort rongé des vers eft toujours en la même place. C'est donc quelque chofe qui était en lui, qui fe promène dans l'air. C'eft fon ame, son ombre, fes mânes; c'eft une légère figure de lui-même. Tel eft le raisonnement naturel de l'ignorance qui commence à raisonner. Cette opinion eft celle de tous les premiers temps connus, & doit avoir été par conféquent celle des temps ignorės. L'idée d'un être purement immatériel n'a pu fe préfenter à des efprits qui ne connaiffaient que la matière. Il a fallu des forgerons, des charpentiers, des maçons, des laboureurs, avant qu'il fe trouvât un homme qui eût affez de loifir pour méditer. Tous les arts de la main ont fans doute précédé la métaphyfique, de plufieurs fiècles.

Remarquons en paffant, que dans l'âge moyen de la Grèce, du temps d'Homère, l'ame n'était autre chofe qu'une image aérienne du corps. Ulyffe voit dans les enfers des ombres, des mânes; pouvait-il voir des efprits purs?

Nous examinerons dans la fuite, comment les Grecs empruntèrent des Egyptiens l'idée des enfers & de l'apothéose des morts; comment ils crurent, ainfi que d'autres peuples, une seconde vie, fans foupçonner la fpiritualité de l'ame. Au contraire ils ne pouvaient imaginer qu'un être fans corps pût

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éprouver du bien & du mal. Et je ne fais fi Platon n'eft pas le premier qui ait parlé d'un être purement fpirituel. C'est-là, peut-être, un des plus grands efforts de l'intelligence humaine. Encore la fpiritualité de Platon eft très - contestée, & la plupart des Pères de l'Eglife admirent une ame corporelle, tout Platoniciens qu'ils étaient. Mais nous n'en fommes pas à ces temps fi nouveaux, & nous ne confidérons le monde que comme encore informe & à peine dégroffi,

DE LA RELIGION DES PREMIERS HOMMES.

LORSQU'APRÈS un grand nombre de fiècles, quelques fociétés fe furent établies, il eft à croire qu'il y eut quelque religion, quelque espèce de culte groffier. Les hommes alors uniquement occupés du foin de foutenir leur vie, ne pouvaient remonter à l'auteur de la vie ; ils ne pouvaient connaître ces rapports de toutes les parties de l'univers, ces moyens, & ces fins innombrables qui annoncent aux fages un éternel architecte.

La connaiffance d'un DIEU formateur, rémunérateur & vengeur, eft le fruit de la raifon cultivée.

Tous les peuples furent donc, pendant des fiècles, ce que font aujourd'hui les habitans de plufieurs côtes méridionales de l'Afrique, ceux de plufieurs îles, & la moitié des Américains. Ces peuples n'ont nulle idée d'un DIEU unique, ayant tout fait, préfent en tous lieux, existant par lui-même dans l'éternité. On ne doit pas pourtant les nommer Athées dans le fens ordinaire, car ils ne nient point l'Etre fuprême; ils ne le connaiffent pas; ils n'en ont nulle idée,

Les Cafres prennent pour protecteur un infecte, les Nègres un ferpent. Chez les Américains, les uns adorent la lune, les autres un arbre. Plufieurs n'ont abfolument aucun culte.

Les Péruviens étant policés adoraient le foleil. Ou Manco Capac leur avait fait accroire qu'il était le fils de cet aftre, ou leur raifon commencée leur avait dit qu'ils devaient quelque reconnaiffance à l'aftre qui anime la nature.

Pour favoir comment tous ces cultes ou ces fuperftitions s'établirent, il me femble qu'il faut fuivre la marche de l'efprit humain abandonné à lui-même. Une bourgade d'hommes prefque fauvages, voit périr les fruits qui la nourriffent ; une inondation détruit quelques cabanes; le tonnerre en brûle quelques autres. Qui leur a fait ce mal? Ce ne peut être un de leurs concitoyens; car tous ont également fouffert. C'est donc quelque puiffance fecrète; elle les a maltraités, il faut donc l'appaiser. Comment en venir à bout? en la fervant comme on fert ceux à qui on veut plaire, en lui faisant de petits préfens. Il y a un ferpent dans le voifinage, ce pourrait bien être ce ferpent; on lui offrira du lait près de la caverne où il fe retire; il devient facré dès-lors; on l'invoque quand on a la guerre contre la bourgade voifine, qui de fon côté a choifi un autre protecteur.

D'autres petites peuplades fe trouvent dans le même cas. Mais n'ayant chez elles aucun objet qui fixe leur crainte & leur adoration, elles appelleront en général l'être qu'elles foupçonnent leur avoir fait du mal, le Maître, le Seigneur, le Chef, le Dominant.

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Cette idée étant plus conforme que les autres à la raison commencée, qui s'accroît & fe fortifie avec le temps, demeure dans toutes les têtes quand la nation eft devenue plus nombreuse. Auffi voyonsnous que beaucoup de nations n'ont eu d'autre DIEU que le Maître, le Seigneur. C'était Adonai chez les Phéniciens; Baal, Melkom, Adad, Sadaï chezles peuples de Syrie. Tous ces noms ne fignifient que le Seigneur, le Puiffant.

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Chaque état eut donc avec le temps fa divinité tutélaire, fans favoir feulement ce que c'eft qu'un Dieu & fans pouvoir imaginer que l'Etat voifin n'eût pas comme lui un protecteur véritable. Car comment penser, lorsqu'on avait un Seigneur, que les autres n'en euffent pas auffi? Il s'agisfait feulement de favoir lequel de tant de Maîtres, de Seigneurs, de Dieux, l'emporterait quand les nations combattraient les unes contre les autres.

Ce fut-là, fans doute, l'origine de cette opinion fi généralement & fi long-temps répandue, que chaque peuple était réellement protégé par la divinité qu'il avait choifie. Cette idée fut tellement enracinée chez les hommes, que, dans des temps très-poftérieurs, vous voyez Homère faire combattre les dieux de Troye contre les dieux des Grecs, fans laiffer foupçonner en aucun endroit que ce foit une chofe extraordinaire & nouvelle. Vous voyez Jephté chez les Juifs, qui dit aux Ammonites: Ne poffedezvous pas de droit ce que votre Seigneur Chamos vous à donné? Souffrez donc que nous poffedions la terre que notre feigneur Adonai nous a promife.

Il y a un autre paffage non moins fort; c'eft
Effai fur les mœurs, &c. Tome I.

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