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par les plis formés dans la paume de la main, par des cercles tracés fur la terre, par l'eau, par le feu, des petits cailloux, par des baguettes, par tout ce qu'on imagina; & fouvent même par un pur enthousiasme qui tenait lieu de toutes les règles. Mais qui fut celui qui inventa cet art? ce futde premier fripon qui rencontra un imbécille.

La plupart des prédictions étaient comme celles de l'almanach de Liége. Un grand mourra, il y aura des naufrages. Un juge de village mourait-il dans l'année? c'était, pour ce village, le grand dont la mort était prédite une barque de pêcheurs était-elle fubmergée ? voilà les grands naufrages annoncés. L'auteur de l'almanach de Liége eft un forcier, foit que fes prédictions foient accomplies, foit qu'elles ne le foient pas ; car fi quelque événement les favorife, fa magie eft démontrée : fi les événemens font contraires, on applique la prédiction à toute autre chofe & l'allégorie le tire d'affaire.

L'almanach de Liége a dit qu'il viendrait un peuple du Nord qui détruirait tout; ce peuple ne vient point; mais un vent du nord fait geler quelques vignes, c'est ce qui a été prédit par Mathieu Lansberge. Quelqu'un ofe-t-il douter de fon favoir? Auffi tôt les colporteurs le dénoncent comme un mauvais citoyen, & les aftrologues le traitent même de petit efprit & de méchant raisonneur.

Les Sunnites mahométans ont beaucoup employé cette méthode dans l'explication du Koran de Mahomet. L'étoile Aldebaran avait été en grande vénération chez les Arabes, elle fignifie l'œil du

taureau; cela voulait dire que l'œil de Mahomet éclairerait les Arabes, & que, comme un taureau, il frapperait fes ennemis de fes cornes.

L'arbre acacia était en vénération dans l'Arabie : on en faisait de grandes haies qui préservaient les moiffons de l'ardeur du foleil; Mahomet eft l'acacia qui doit couvrir la terre de fon ombre falutaire. Les Turcs fenfés rient de ces bêtifes fubtiles; les jeunes femmes n'y pensent pas ; les vieilles dévotes y croient; & celui qui dirait publiquement à un Derviche qu'il enfeigne des fottifes, courrait risque d'être empalé. Il y a eu des favans qui ont trouvé l'hiftoire de leur temps dans l'Iliade & dans l'Ody ffée; mais ces favans n'ont pas fait la même fortune que les commentateurs de l'Alcoran.

La plus brillante fonction des oracles fut d'affurer la victoire dans la guerre. Chaque armée, chaque nation avait fes oracles qui lui promettaient des triomphes. L'un des deux partis avait reçu infailliblement un oracle véritable. Le vaincu qui avait été trompé attribuait fa défaite à quelque faute commife envers les dieux, après l'oracle rendu; il efpérait qu'une autre fois l'oracle s'accomplirait. Ainfi prefque toute la terre s'eft nourrie d'illufion. Il n'y eut prefque point de peuple qui ne confervât dans fes archives, ou qui n'eût par la tradition orale, quelque prédiction qui l'affurait de la conquête du monde ; c'est-à-dire, des nations voisines: point de conquérant qui n'ait été prédit formellement, auffitôt après fa conquête, Les Juifs mêmes, enfermés dans un coin de terre prefque inconnu, entre l'Anti-Liban, l'Arabie déferte & la pétrée,

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efpérèrent, comme les autres peuples, d'être les maîtres de l'univers; fondés fur mille oracles que nous expliquons dans un fens mystique, & qu'ils entendaient dans le fens littéral.

DES SIBYLLES CHEZ LES GRECS, ET DE LEUR

INFLUENCE SUR LES AUTRES NATIONS.

LORSQUE prefque toute la terre était remplie d'oracles, il y eut de vieilles filles qui, fans être attachées à aucun temple, s'avifèrent de prophétifer pour leur compte. On les appella Sibylles, mot grec du dialecte de Laconie, qui fignific confeil de Dieu. L'antiquité en compte dix principales, en divers pays. On fait affez le conte de la bonne femme qui vint apporter 'dans Rome, à l'ancien Tarquin, les neuf livres de l'ancienne Sibylle de Cumes. Comme Tarquin marchandait trop, la vieille jeta au feu les fix premiers livres, & exigea autant d'argent des trois restans, qu'elle en avait demandé des neuf entiers. Tarquin les paya. Ils furent, dit-on, confervés à Rome, jufqu'au temps de Sylla, & furent confumés dans un incendie du capitole.

Mais comment fe paffer des prophéties des Sibylles? On envoya trois fénateurs à Erytre, ville de Grèce où l'on gardait précieusement un millier de mauvais vers grecs, qui paffaient pour être de la façon de la fibylle Erytrée. Chacun en voulait avoir des copies. La fibylle Erytrée avait tout prédit; il en était de fes prophéties comme de celles de Noftradamus parini nous : & l'on ne manquait pas

à

chaque événement de forger quelques vers grecs qu'on attribuait à la fibylle.

Augufte qui craignait avec raifon qu'on ne trouvât dans cette rapfodie quelques vers qui autoriferaient des confpirations, défendit, fous peine de mort, qu'aucun Romain eût chez lui des vers fibyllins : défense digne d'un tyran foupçonneux qui confervait avec adresse un pouvoir ufurpé par le crime.

Les vers fibyllins furent respectés plus que jamais quand il fut défendu de les lire. Il fallait bien qu'ils continffent la vérité, puisqu'on les cachait aux citoyens.

Virgile, dans fon églogue fur la naiffance de Pollion, ou de Marcellus, ou de Drufus, ne manqua pas de citer l'autorité de la Sibylle de Cumes, qui avait prédit nettement que cet enfant qui mourut bientôt après, ramènerait le fiécle d'or. La fibylle Erytrée avait, difait-on alors, prophétifé auffi à Cumes. L'enfant nouveau né appartenant à Augufte, ou à son favori, ne pouvait manquer d'être prédit par la fibylle. Les prédictions, d'ailleurs, ne font jamais que pour les grands, les petits n'en valent pas la peine.

Ces oracles des Sibylles étant donc toujours en très-grande réputation, les premiers chrétiens trop emportés par un faux zèle, crurent qu'ils pouvaient forger de pareils oracles, pour battre les Gentils par leurs propres armes. Hermas & St Justin paffent pour être les premiers qui eurent le malheur de foutenir cette impofture. St Juslin cite des oracles de la fibylle de Cumes, débités par un chrétien qui avait pris le nom d'Iftape, & prétendait que fa

fibylle avait vécu du temps du déluge. St Clément d'Alexandrie, (dans fes Stromates, liv. VI,) affure que l'apôtre St Paul recommande dans fes épîtres la lecture des fibylles qui ont manifeftement prédit la naiffance du fils de DIEU.

Il faut que cette épître de St Paul foit perdue; car on ne trouve ces paroles, ni rien d'approchant, dans aucune des épîtres de St Paul. Il courait dans ce temps-là parmi les chrétiens, une infinité de livres que nous n'avons plus; comme Les Prophéties de Faldabaft, celles de Seth, d'Enoch & de Cham; La Pénitence d'Adam; L'hiftoire de Zacharie, père de St Jean; L'évangile des Egyptiens; L'évangile de St Pierre, d'André, de Jacques; L'évangile d'Eve; L'apocalypfe d'Adam; Les Lettres de JESUS-CHRIST, & cent autres écrits dont il refte à peine quelques fragmens enfevelis dans des livres qu'on ne lit guère.

L'églife chrétienne était alors partagée en fociété judaïfante, & fociété non-judaïfante. Ces deux fociétés étaient divifées en plufieurs autres. Quiconque se sentait un peu de talent, écrivait pour fon parti. Il y eut plus de cinquante évangiles, jufqu'au concile de Nicée; il ne nous en refte aujourd'hui que ceux de la Vierge, de Jacques, de l'Enfance, & de Nicodème. On forgea furtout des vers attribués aux anciennes fibylles. Tel était le refpect du peuple pour ces oracles fibyllins, qu'on crut avoir befoin de cet appui étranger pour fortifier le chriftianifme naiffant. Nonfeulement on fit des vers grecs fibyllins qui annonçaient JESUS-CHRIST; mais on les fit en acroftiches, de manière que les lettres de ces mots, Jefous Chreiftos ios Soter, étaient l'une après l'autre le commencement

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