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II.

DES ÉLÉMENS ORGANIQUES

DES VÉGÉTAUX. (1)

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Si quelque chose peut prouver l'incertitude de nos connaissances sur l'organisation intime des végétaux, c'est la différence des opinions des naturalistes sur cet objet. La source de cette diversité d'opinions est dans l'extrême difficulté de l'observation, qui ne peut se faire sans le secours du microscope, et qui, par conséquent, est passible de toutes les erreurs qu'il est presque impossible d'éviter dans l'emploi de cet instrument. Pour bien juger de la forme d'un objet, il faut l'examiner par toutes ses faces; il faut, de plus, que le tact vienne au secours de la vue. Or, avec le microscope on ne voit jamais les objets que d'un seul côté, et la vision, souvent confuse ou incertaine, qui nous révèle leurs formes est le seul moyen par lequel nous

(1) Ce mémoire contient ce que j'ai cru devoir conserver de ce que j'ai précédemment publié dans la première section de mes Recherches anatomiques et physiologiques sur la structure intime des végétaux ; j'y ai ajouté des observations nouvelles.

puissions nous instruire à cet égard; le secours précieux du tact nous manque ici nécessairement. Une foule d'illusions d'optique viennent accroître la difficulté de l'investigation. Des réfractions diverses des rayons lumineux font paraître opaques des parties qui sont transparentes, et nous donnent l'idée de formes et de structures qui n'existent véritablement point. Un espace circonscrit plus transparent que les parties qui l'environnent nous paraîtra une ouverture, et si sa diaphanéité est parfaite, il nous est impossible de décider si c'est véritablement une ouverture libre ou une ouverture fermée par une membrane diaphane.

Il n'est point étonnant, d'après ces difficultés que présente l'observation, qu'il y ait autant de dissentiment entre les observateurs sur certains points de l'organisation végétale. Le seul moyen qu'il y ait de faire cesser ces dissentimens et d'arriver à la détermination de la vérité, est de varier les formes de l'investigation. Il faut soumettre les organes élémentaires des végétaux à l'examen microscopique après leur avoir fait subir diverses modifications. Les réactifs chimiques offrent un précieux secours à cet égard: tantôt ils rendent opaques certaines parties en laissant aux autres leur transparence; tantôt ils donnent à quelques-unes de ces parties une coloration spéciale, qui aide à les distinguer; tantôt ils dissolvent quelques-unes de ces parties en laissant les autres intactes, etc. En soumettant à l'examen microscopique les organes élémentaires des végétaux ainsi diversement préparés, on se procure des moyens de reconnaître les erreurs qui résultent dans certains cas, des illusions d'optique. Ces recherches comparées sont indispensables pour parvenir à la connaissance de la vérité. Quiconque ne suit qu'une seule méthode d'investigation, peut être certain de se trouver dans une route d'erreur à beaucoup d'égards. Or l'habitude d'observer toujours de la même manière est le défaut de la plupart des observateurs.

La méthode le plus généralement mise en usage pour observer au microscope les élémens de l'organisation végétale, consiste à réduire le tissu végétal en parties d'une grande ténuité au moyen de la section par un instrument bien tranchant, ou au moyen du déchirement. Les parties ainsi détachées ont de la transparence lorsqu'elles sont fort minces. On augmente cette transparence en les couvrant d'une goutte d'eau ; et alors l'œil armé du microscope saisit la forme des organes élémentaires qui composent le fragment de tissu diaphane au travers duquel la lumière est dirigée par le miroir réflecteur du microscope. Cette méthode a ses avantages sans doute, mais elle a aussi ses inconvéniens. On a l'avantage, par cette méthode, de voir les organes en place et dans leurs rapports naturels ; mais on a l'inconvénient de ne jamais voir ces organes isolés, et d'ignorer même s'ils peuvent être isolés les uns des autres. C'est de cette manière que M. de Mirbel avait été porté à admettre sa première théorie, qui consiste à considérer toute la substance du végétal comme formée par un tissu membraneux continu dans toutes ses parties, et dont les diverses plicatures, ou les boursouflures forment les cellules et les tubes. D'après cette théorie, il n'eût existé entre deux cellules contigues, qu'une seule membrane formant la paroi commune de chacune d'elles. Cette opinion n'a point été partagée par M. Link, et il s'est fondé sur des observations positives pour la combattre (1). Il a vu que le tissu cellulaire est composé de vésicules souvent séparées les unes des autres, surtout dans les fruits, mais le plus souvent intimement soudées entre elles, en sorte que le tissu cellulaire semblait continu sans aucune interruption. D'autres fois il remarqua entre les cellules incomplètement

(1) Recherches sur l'anatomie des plantes (dans les Annales du Muséum d'histoire naturelle, t. xix).

réunies les unes aux autres, de petits intervalles déjà vụs par Hedwig, qui les a nommées vasa revhentia, et par Tréviranus, qui les a nommés meatus intercellulares (méats intercellulaires).

M. Link eut recours à la cuisson dans l'eau, pour séparer les unes des autres les cellules qui n'avaient entre elles qu'une faible adhérence dans la gousse du haricot, dans la pomme de terre, de terre, dans la racine de persil, etc. Ge que M. Link avait opéré par le moyen de la cuisson dans l'eau et seulement dans quelques cas, je suis parvenu à le faire d'une manière générale au moyen de l'acide nitrique, Je place un fragment quelconque de végétal dans un tube de verre fermé à l'une de ses extrémités, et qui contient de l'acide nitrique concentré; je plonge ensuite ce tube dans l'eau bouillante. Dans l'espace de cinq ou six minutes, et quelquefois moins, le tissu végétal offre une séparation plus ou moins complète de ses élémens organiques, Les cellules se séparent les unes des autres, et l'on voit que la paroi qui séparait deux cellules contigues est double et non point simple, comme le supposait la théorie de M. de Mirbel. Les tubes s'isolent les uns des autres et se séparent des cellules qui leur sont contigues. Tous ces organes élémentaires ont leurs parois propres et forment des cavités closes spéciales; ce sont des organes vésiculaires de formes assez variées qui sont contigus les uns aux autres, quelquefois faiblement cohérens, le plus souvent fortement soudés, mais dont la cause d'agglutination et d'adhérence cède quelquefois à la cuisson dans l'eau, et cède constamment à la cuisson dans l'acide nitrique. Ces expériences, qui établissent l'utilité des observations comparées, faites au moyen de divers procédés, prouvent que le tissu végétal n'est point formé d'un tissu membraneux continu dans toutes ses parties.

Cependant M. de Mirbel ne regarda point sa théorie comme

infirmée par les faits; voici comment il les expliqua : il admit que deux cellules contigues sont séparées par une cloison unique qui leur sert de paroi commune, et que cette cloison ayant une certaine épaisseur, reste à l'état de mollesse dans son milieu, tandis que les deux parties qui correspondent immédiatement à la cavité de chaque cellule acquièrent de la solidité par la dessiccation, en sorte qu'il s'opère du milieu vers les deux surfaces un retrait de matière qui produit le déchirement que l'on observe dans l'épaisseur de la paroi. Si par le moyen de l'eau bouillante ou de l'acide nitrique, dit-il, on parvient quelquefois à isoler les cellules, qu'est-ce que cela prouve, sinon que la substance intérieure des parois résiste moins à l'action de ces dissolvans que la lame superficielle qui limite l'étendue de chaque cavité. (1)

La théorie de M. de Mirbel était attaquée par des faits, ici il l'a défendue par une hypothèse, mais cette hypothèse n'embrasse pas tous les faits. M. de Mirbel, en supposant que c'est par le fait de leur dessiccation, à l'intérieur, que les parois des cellules se séparent en deux lames, n'a pas pensé que cette hypothèse n'est applicable qu'aux cellules remplies d'air et point du tout à celles qui sont toujours remplies de liquide: chez celles-ci il n'est point possible d'admettre de dessiccation des parois, et cependant ces cellules se séparent les unes des autres en conservant chacune leur paroi propre; en outre il y a des cellules qui, sans l'emploi d'aucun dissolvant, se présentent, à l'observation, isolées les unes des autres ou du moins n'adhérant entre elles de la manière la plus faible, et seulement par quelques points; telles sont les cellules globuleuses ou ellipsoïdes qui ne touchent chacune leurs voisines que par un seul

que

(1) Mémoire sur l'crigine, le développement et l'organisation du liber et du bois; dans les Mémoires de l'Académie des Sciences, t. vIII.

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