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tesses, hermitesses, et des hypocritillons, chattemitillons et hermitillons. Passons outre, s'écrie-t-on, tout d'une voix. Pantagruel envoie une aumône aux habitants et habitantes et poursuit son voyage. On cause de choses et d'autres: A quelle heure fautil dîner? Le riche quand il a faim, le pauvre quand il a de quoi. Ou discute sur les poisons et les animaux venimeux. On rappelle à ce propos qu'Euripide a dit: Contre la plupart des animaux venimeux on a trouvé un remède, mais contre la mauvaise femme il n'y en a point.

Une autre ile apparaît; c'est celle de Ganabin ou des voleurs; frère Jean est d'avis d'y descendre, Pantagruel est d'avis contraire; quant à Panurge, il a peur selon sa coutume, et pour ne pas être forcé d'aller à terre, il va se cacher au milieu des provisions. Jean propose, pour lui jouer un tour, de faire partir tous les canons de la flottille. Le moyen réussit; on voit bientôt Panurge paraître pâle, défait, en désordre, et étreignant, sans savoir ce qu'il fait, un chat qui l'égratigne pour lui échapper.

On lui conseille en riant d'aller changer de toilette, et c'est là-dessus que se termine le livre. C'est le cas de dire:

Belle conclusion et digne de l'exorde!

Rabelais ne savait pas mieux finir un livre que Lamartine, comme orateur, ne savait finir un discours. Ste-Beuve dit à ce sujet :

Aux instants où l'Homère bouffon sommeille, il lui arrive de prolonger machinalement et comme en rêve cette hilarité sans motif et de la pousser jusqu'à la satiété et au dégoût. C'est comme un chantre aviné qui continue de ronfler sur up seul ton, sur une seule rime, ses litanies jubilatoires.

Sainte-Beuve ajoute que cela arrive souvent, ce mot est de trop; mais l'appréciation est juste, quoiqu'un peu sévère, pour toute cette fin du quatrième livre.

XXIV.

Nous récapitulerons à la fin les différentes étapes du voyage. Nous nous contenterons ici de faire remarquer que les premières étapes nous offrent tour à tour chacun des cinq sens en activité: la vue à Medamothi, l'odorat à Ennasin, les lèvres à Chéli, le toucher, s'exerçant d'une manière peu agréable sur le dos des Chicanous, à Tohu-Bohu; le sens de l'ouie est satisfait par les paroles dégelées, et le goût trouve une ample pâture dans le domaine de messer Gaster. C'est une série que Rabelais s'amuse à développer, sans préjudice d'une idée plus sérieuse.

On peut trouver aussi dans ce voyage la série des sept péchés capitaux, mais avec moins d'évidence. L'orgueil est représenté par le géant Bringuenarilles, l'Avarice par les Chicanous, l'Envie par les Andouilles soupçonneuses, la Gourmandise par les Gastrolâtres, et la Paresse est figurée sous une de ses formes les moins aimables, la Lâcheté, sous les traits de Panurge pendant la tempête, la Colère peut être représentée par frère Jean en présence de cette peur de Panurge; quant au dernier des péchés capitaux, celui que nous n'avons pas nommé, nous n'avons fait que l'apercevoir; nous le retrouverons plus en relief au livre suivant chez les moines.

CHAPITRE XIV.

LIVRE V. - PANTAGRUEL.

VOYAGE A L'ORACLE DE LA DIVE BOUTEILLE.

III. L'ile Sonnante. Les Chats fourrés.

SOMMAIRE. 1. LE CINQUIÈME LIVRE.-1, 2, 3. Est-il authentique? -4. Avis divers sur cette question.

1

II. L'ÎLE DE L'ÉGLISE ROMAINE. - 5. Arrivée dans l'île Sonnante. 6. Les oiseaux de St Brandaines. Les oiseaux chanteurs et l'église romaine. 7. D'où viennent ces oiseaux. Les ordres militaires.- 8. Les revenas de l'île Sonnante. 9. L'âne et le cheval. 10. Le papegaut. Respect dû aux oiseaux sacrés. 11. Les ferrements. - 12. ExIII. L'ÎLE DES CAUSES FINALES. plications. 13. Les fruits animés. 14. Le jeu et les fausses

reliques.

IV. L'ÎLE DE LA JUSTICE CRIMINELLE.
Chats fourrés. Le discours da gueux.

-

17. L'énigme.

-

15. Arrivée dans l'île des

16. Grippeminaud le 18. Solution de l'énigme.

grand juge.
19. Les Chats fourrés vivent de corruption.

20. L'ÎLE DES CRÉATEURS D'IMPÔTS ou des Apodeftes.

I.

Le cinquième livre ne parut complètement que dix ans après la mort de Rabelais; la première édition complète est même de 1564, c'est-à-dire postérieure de douze ans à cette mort.

Ce long retard à publier un ouvrage qui devait être vivement attendu, des défaillances dans l'exécution, diverses contradictions de détail, ont fait contester l'authenticité de ce livre; certains éditeurs refusent même résolument d'y reconnaître l'œuvre de Rabelais.

D'un examen attentif des objections formulées et de l'ouvrage lui-même, voici ce qui nous paraît résulter.

L'authenticité du cinquième livre ne peut être niée entièrement que par ceux qui se représentent Rabelais marchant au hasard, entassant les épisodes sur les épisodes sans un plan déterminé d'avance. Nous croyons avoir montré que ce plan existe, qu'il est très précis, que Rabelais le suit minutieusement et ne s'en écarte jamais. Jusqu'ici tous les incidents, ceux mêmes qui paraissent insignifiants au premier abord, rentrent dans ce plan, et se rattachent sans exception à la même donnée fondamentale.

Cette donnée fondamentale continue-t-elle à se développer dans le cinquième livre? A mesure que nous avançons, nous rapprochons-nous de la conclusion? Toute la question est là. Si la conclusion est la conséquence des prémisses, la question est résolue; Rabelais est l'auteur du cinquième livre, au moins pour le plan et pour l'idée.

Eh bien, nous tâcherons de démontrer que, entre les divers épisodes qui composent ce livre, il n'en est pas un qui ne soit le développement du plan primitivement tracé.

II.

Les objections contre l'authenticité de cette partie de l'ouvrage portent, les unes sur la forme, les autres sur le fonds.

On relève dans ce livre un certain nombre de plaisanteries fades. On prétend que d'une partie à l'autre, Panurge a perdu une notable portion de sa finesse et de son esprit. Le fait est vrai, mais si

cette objection était seule, elle ne suffirait pas à infirmer l'authenticité du livre. Dans les chapitres de l'ouvrage que personne ne conteste à Rabelais, toutes les plaisanteries ne sont pas bonnes, il s'en faut. Rien d'ailleurs n'empêche de supposer que la verve, le gaîté de l'auteur se sont refroidies en vieillissant. L'histoire littéraire est pleine de faits de ce genre. Le Barbier de Séville, par exemple, et le Mariage de Figaro sont des comédies pétillantes d'esprit, des comédies où tous les mots portent. Relisez ces pièces, et puis relisez aussi leur suite: la Mère coupable. L'auteur est le même, les personnages sont les mêmes, mais quelle différence d'entrain dans le style! comme l'esprit de Figaro s'est émoussé d'une œuvre à l'autre ! Si Beaumarchais en vieillissant a perdu sa verve et sa gaité, le même malheur aurait pu arriver à Rabelais sous le coup de la vieillesse et du chagrin qu'avait dû lui occasionner la nécessité de renoncer à des fonctions qui composaient son principal moyen d'existence.

On s'en prend aussi aux détails du style, faible ici, là entortillé, peu intelligible quelquefois, et trop chargé d'érudition. On pourrait répondre qu'à toutes les époques de sa carrière littéraire, Rabelais a abusé de l'érudition et s'est amusé à entortiller, à guillocher son style. La faiblesse cependant n'est jamais son défaut, et il y a dans le cinquième livre des pages évidemment très faibles, le prologue surtout.

La seconde objection, c'est que Rabelais, dans cette partie, est beaucoup plus agressif que dans les autres. Jusqu'ici il a ri, il a plaisanté, soit de certains points de la discipline de l'église romaine, soit de

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