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On objecte aux philofophes que S' Augustin, malgré cet aveu, parle pourtant d'un vieux favetier d'Hippone qui, ayant perdu fon habit, alla prier à la chapelle des vingt martyrs, qu'en retournant il trouva un poiffon dans le corps duquel il y avait un anneau d'or, & que le cuifinier qui fit cuire le poiffon dit au favetier: Voilà ce que les vingt martyrs vous donnent.

A cela les philofophes répondent qu'il n'y a rien dans cette hiftoire qui contredife les lois de la nature, que la phyfique n'eft point du tout bleffée qu'un poisson ait avalé un anneau d'or, & qu'un cuifinier ait donné cet anneau à un favetier, qu'il n'y a là aucun miracle.

Si on fait fouvenir ces philofophes que, felon faint Jérôme, dans fa vie de l'ermite Paul, cet ermite eut plufieurs converfations avec des fatyres & avec des faunes, qu'un corbeau lui apporta tous les jours pendant trente ans la moitié d'un pain pour fon dîner, & un pain tout entier le jour que S' Antoine vint le voir, ils pourront répondre encore que tout cela n'est pas abfolument contre la physique, que des fatyres & des faunes peuvent avoir exifté, & qu'en tout cas, fi ce conte eft une puérilité, cela n'a rien de commun avec les vrais miracles du Sauveur & de ses apôtres. Plusieurs bons chrétiens ont combattu l'hiftoire de St Siméon Stylite, écrite par Théodoret ; beaucoup de miracles qui paffent pour authentiques dans l'Eglife grecque ont été révoqués en doute par plufieurs latins, de même que des miracles latins ont été fufpects à l'Eglife grecque; les proteftans font venus enfuite, qui ont fort maltraité les miracles de l'une & l'autre Eglife.

Un favant jefuite, (*) qui a prêché long-temps dans (*) Ofpiniam, pag. 230.

les Indes, fe plaint de ce que ni fes confrères ni lui n'ont jamais pu faire de miracle. Xavier fe lamente, dans plufieurs de fes lettres, de n'avoir point le don des langues; il dit qu'il n'eft chez les Japonais que comme une statue muette: cependant les jéfuites ont écrit qu'il avait reffufcité huit morts, c'eft beaucoup; mais il faut auffi confidérer qu'il les ressuscitait à fix mille lieues d'ici. Il s'eft trouvé depuis des gens qui ont prétendu que l'aboliffement des jefuites en France eft un beaucoup plus grand miracle que ceux de Xavier & d'Ignace.

Quoi qu'il en foit, tous les chrétiens conviennent que

les miracles de JESUS-CHRIST & des apôtres font d'une vérité inconteftable; mais qu'on peut douter à toute force de quelques miracles faits dans nos derniers temps, & qui n'ont pas eu une authenticité certaine.

On fouhaiterait, par exemple, pour qu'un miracle fût bien conftaté, qu'il fût fait en présence de l'académie des sciences de Paris, ou de la fociété royale de Londres, & de la faculté de médecine, affiftées d'un détachement du régiment des gardes, pour contenir la foule du peuple qui pourrait par fon indifcrétion empêcher l'opération du miracle.

On demandait un jour à un philofophe ce qu'il dirait s'il voyait le foleil s'arrêter, c'eft-à-dire fi le mouvement de la terre autour de cet aftre ceffait; fi tous les morts reffufcitaient, & fi toutes les montagnes allaient fe jeter de compagnie dans la mer, le tout pour prouver quelque vérité importante, comme, par exemple, la grâce versatile? Ce que je dirais, répondit le philofophe, je me ferais manichéen; je dirais qu'il y a un principe qui défait ce que l'autre a fait.

SECTION II.

DEFINISSEZ

FINISSEZ les termes, vous dis-je, ou jamais nous ne nous entendrons. Miraculum, res miranda, prodigium, portentum, monflrum. Miracle, chofe admirable; prodigium, qui annonce chose étonnante; portentum, porteur de nouveauté; monftrum, chofe à montrer par rareté.

Voilà les premières idées qu'on eut d'abord des miracles.

Comme on raffine fur tout, on raffina fur cette définition; on appela miracle ce qui eft impoffible à la nature. Mais on ne fongea pas que c'était dire que tout miracle eft réellement impoffible. Car qu'est-ce que la nature? vous entendez par ce mot l'ordre éternel des chofes. Un miracle ferait donc impoffible dans cet ordre. En ce fens DIEU ne pourrait faire de miracle.

Si vous entendez par miracle un effet dont vous ne pouvez voir la cause, en ce sens tout eft miracle. L'attraction & la direction de l'aimant font des miracles continuels. Un limaçon auquel il revient une tête eft un miracle. La naiffance de chaque animal, la production de chaque végétal font des miracles de tous les jours.

Mais nous fommes fi accoutumés à ces prodiges, qu'ils ont perdu leur nom d'admirables, de miraculeux. Le canon n'étonne plus les Indiens.

Nous nous fommes donc fait une autre idée de miracle. C'eft, felon l'opinion vulgaire, ce qui n'était jamais arrivé & ce qui n'arrivera jamais. Voilà l'idée

qu'on

qu'on fe forme de la mâchoire d'âne de Samfon, des difcours de l'âneffe de Balaam, de ceux d'un ferpent avec Eve, des quatre chevaux qui enlevèrent Elie, du poiffon qui garda Jonas foixante & douze heures dans fon ventre, des dix plaies d'Egypte, des murs de Jéricho, du foleil & de la lune arrêtés à midi &c. &c. &c. &c.

Pour croire un miracle, ce n'eft pas affez de l'avoir vu; car on peut fe tromper. On appelle un fot, témoin de miracles : & non-feulement bien des gens pensent avoir vu ce qu'ils n'ont pas vu, & avoir entendu ce qu'on ne leur a point dit ; non-feulement ils font témoins de miracles, mais ils font fujets de miracles. Ils ont été tantôt malades, tantôt guéris par un pouvoir furnaturel. Ils ont été changés en loups; ils ont traverfé les airs fur un manche à balai, ils ont été incubes & fuccubes.

Il faut que le miracle ait été bien vu par un grand nombre de gens très-fenfés, fe portant bien, & n'ayant nul intérêt à la chofe. Il faut furtout qu'il ait été folemnellement attefté par eux; car fi on a befoin de formalités authentiques pour les actes les plus fimples, comme l'achat d'une maison, un contrat de mariage, un teftament, quelles formalités ne faudra-t-il pas pour conftater des chofes naturellement impoffibles, & dont le deftin de la terre doit dépendre?

Quand un miracle authentique eft fait, il ne prouve encore rien; car l'Ecriture vous dit en vingt endroits que des impofteurs peuvent faire des miracles, & que fi un homme, après en avoir fait, annonce un autre dieu que le dieu des Juifs, il faut le lapider. Dictionn. philofoph. Tome VI.

G

On exige donc que la doctrine foit appuyée par les miracles, & les miracles par la doctrine.

Ce n'eft point encore affez. Comme un fripon peut prêcher une très-bonne morale pour mieux féduire, & qu'il eft reconnu que des fripons, comme les forciers de Pharaon, peuvent faire des miracles, il faut que ces miracles foient annoncés par des prophéties.

Pour être fûr de la vérité de ces prophéties, il faut les avoir entendu annoncer clairement, & les avoir vu s'accomplir réellement. (*) Il faut pofféder parfaitement la langue dans laquelle elles font confervées.

Il ne fuffit pas même que vous foyez témoin de leur accompliffement miraculeux : car vous pouvez être trompé par de fauffes apparences. Il est nécessaire que le miracle & la prophétie foient juridiquement conftatés par les premiers de la nation; & encore se trouvera-t-il des douteurs. Car il fe peut que la nation foit intéreffée à fuppofer une prophétie & un miracle; & dès que l'intérêt s'en mêle, ne comptez fur rien. Si un miracle prédit n'eft pas auffi public, auffi avéré qu'une éclipse annoncée dans l'almanach, foyez fûr que ce miracle n'eft qu'un tour de gibecière, ou un conte de vieille.

SECTION II I.

UN gouvernement theocratique ne peut être fondê

que fur des miracles, tout doit y être divin. Le grand fouverain ne parle aux hommes que par des prodiges; ce font-là fes miniftres & fes lettres-patentes. Ses ordres font intimés par l'Océan qui couvre toute la (*) Voyez Prophétie.

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