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MARTYRS.

SECTION PREMIERE.

MARTYR,

ARTYR, témoin, martyrion, témoignage. La fociété chrétienne naissante donna d'abord le nom de martyrs à ceux qui annonçaient nos nouvelles vérités devant les hommes, qui rendaient témoignage à JESUS, qui confeffaient JESUS, comme on donna le nom de faints aux presbytes, aux furveillans de la fociété, & aux femmes leurs bienfaitrices; c'eft pourquoi St Jérôme appelle fouvent dans fes lettres fon affiliée Paule, fainte Paule. Et tous les premiers évêques s'appelaient faints.

Le nom de martyrs dans la fuite ne fut plus donné qu'aux chrétiens morts ou tourmentés dans les fupplices; & les petites chapelles qu'on leur érigea depuis reçurent le nom de martyrion.

C'eft une grande queftion pourquoi l'empire romain autorisa toujours dans fon sein la fecte juive, même après les deux horribles guerres de Titus & d'Adrien; pourquoi il toléra le culte ifiaque à plufieurs reprises, & pourquoi il perfecuta fouvent le chriftianifme. II eft évident que les Juifs, qui payaient chèrement leurs fynagogues, dénonçaient les chrétiens leurs ennemis mortels, & foulevaient les peuples contr'eux. Il eft encore évident que les Juifs, occupés du métier de courtiers & de l'ufure, ne prêchaient point contre l'ancienne religion de l'empire, & que les chrétiens tous engagés dans la controverfe prêchaient contre le

culte public, voulaient l'anéantir, brûlaient fouvent les temples, brifaient les ftatues confacrées, comme firent S Théodore dans Amafée, & St Polyeucte dans Mitylène.

Les chrétiens orthodoxes, étant fûrs que leur religion était la feule véritable, n'en toléraient aucune autre. Alors on ne les toléra guère. On en fupplicia quelques-uns qui moururent pour la foi, & ce furent les

martyrs.

Ce nom eft fi refpectable qu'on ne doit pas le prodiguer; il n'eft pas permis de prendre le nom & les armes d'une maifon dont on n'eft pas. On a établi des peines très-graves contre ceux qui ofent fe décorer de la croix de Malthe ou de St Louis fans être chevaliers de ces ordres.

Le favant Dodwell, l'habile Midleton, le judicieux Blondel, l'exact Tillemont, le fcrutateur Launoy & beaucoup d'autres, tous zélés pour la gloire des vrais martyrs, ont rayé de leur catalogue une multitude d'inconnus à qui l'on prodiguait ce grand nom. Nous avons obfervé que ces favans avaient pour eux l'aveu formel d'Origène qui, dans fa Refutation de Celfe, avoue qu'il y a eu peu de martyrs, & encore de loin à loin, & qu'il eft facile de les compter.

Cependant le bénédictin Ruinart, qui s'intitule dom Ruinart quoiqu'il ne foit pas efpagnol, a combattu tant de favans perfonnages. Il nous a donné avec candeur beaucoup d'hiftoires de martyrs qui ont paru fort fufpectes aux critiques. Plufieurs bons efprits ont douté de quelques anecdotes, concernant les légendes rapportées par dom Ruinart, depuis la première jufqu'à la dernière.

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1o. Sainte Symphorofe & fes fept enfans.

LES fcrupules commencent par Ste Symphorofe & fes sept enfans martyrifés avec elle, ce qui paraît d'abord trop imité des fept machabées. On ne fait pas d'où vient cette légende, & c'eft déjà un grand fujet de doute.

On y rapporte que l'empereur Adrien voulut interroger lui-même l'inconnue Symphorofe, pour favoir si elle n'était pas chrétienne. Les empereurs fe donnaient rarement cette peine. Cela ferait encore plus extraordinaire que fi Louis XIV avait fait fubir un interrogatoire à un huguenot. Vous remarquerez encore qu'Adrien fut le plus grand protecteur des chrétiens, loin d'être leur perfécuteur.

Il eut donc une très-longue conversation avec Symphorofe; & fe mettant en colère, il lui dit : Je te facrifierai aux dicux, comme fi les empereurs romains facrifiaient des femmes dans leurs dévotions. Enfuite il la fit jeter dans l'Anio, ce qui n'était pas un facrifice ordinaire. Puis il fit fendre un de fes fils par le milieu du front jufqu'au pubis, un fecond par les deux côtés; on roua un troifième, un quatrième ne fut que percé dans l'eftomac, un cinquième droit au cœur, un fixième à la gorge; le feptième mourut d'un paquet d'aiguilles enfoncées dans la poitrine. L'empereur Adrien aimait la variété. Il commanda qu'on les enfevelît auprès du temple d'Hercule, quoiqu'on n'enterrât perfonne dans Rome, encore moins près des temples, & que c'eût été une horrible profanation. Le pontife du temple, ajoute le légendaire, nomma le lieu de leur fépulture les fept Biotanates.

S'il était rare qu'on érigeât un monument dans Rome à des gens ainfi traités, il n'était pas moins rare qu'un grand-prêtre fe chargeât de l'infcription, & même que ce prêtre romain leur fît une épitaphe grecque. Mais ce qui eft encore plus rare, c'eft qu'on prétende que ce mot biotanates fignifie les fept fuppliciés. Biotanates eft un mot forgé qu'on ne trouve dans aucun auteur; & ce ne peut être que par un jeu de mots qu'on lui donne cette fignification, en abusant du mot thenon. Il n'y a guère de fable plus mal conftruite. Les légendaires ont fu mentir, mais ils n'ont jamais fu

mentir avec art.

Le favant la Crofe, bibliothécaire du roi de Pruffe Frederic le grand, difait : Je ne fais pas fi Ruinart eft fincère, mais j'ai peur qu'il ne foit imbécille.

2o. Sainte Félicité & encore fept enfans.

C'EST de Surius qu'eft tirée cette légende. Ce Surius eft un peu décrié pour fes abfurdités. C'est un moine du feizième fiècle qui raconte les martyres du fecond, comme s'il avait été présent.

Il prétend que ce méchant homme, ce tyran MarcAurèle Antonin Pie ordonna au préfet de Rome de faire le procès à Ste Félicité, de la faire mourir elle & fes fept enfans, parce qu'il courait un bruit qu'elle était

chrétienne.

Le préfet tint fon tribunal au champ de Mars, lequel pourtant ne fervait alors qu'à la revue des troupes; & la première chofe que fit le préfet, ce fut de lui faire donner un foufflet en pleine affemblée.

Les

Les longs difcours du magiftrat & des accufés font dignes de l'hiftorien. Il finit par faire mourir les sept frères dans des fupplices différens, comme les enfans de S Symphorofe. Ce n'eft qu'un double emploi. Mais pour Se Félicité il la laisse là & n'en dit pas un mot.

3°. Saint Polycarpe.

Eufebe raconte que St Polycarpe ayant connu en fonge qu'il ferait brûlé dans trois jours, en avertit fes amis. Le légendaire ajoute que le lieutenant de police de Smyrne, nommé Hérode, le fit prendre par fes archers, qu'il fut livré aux bêtes dans l'amphithéâtre, que le ciel s'entr'ouvrit, & qu'une voix célefte lui cria: Bon courage, Polycarpe; que l'heure de lâcher les lions fur l'amphithéâtre étant paffée, on alla prendre dans toutes les maifons du bois pour le brûler; que le faint s'adreffa au Dieu des archanges, (quoique le mot d'archange ne fût point encore connu) qu'alors les flammes s'arrangèrent autour de lui en arc de triomphe fans le toucher; que fon corps avait l'odeur d'un pain cuit; mais qu'ayant réfifté au feu, il ne put fe défendre d'un coup de fabre; que fon fang éteignit le bûcher, & qu'il en fortit une colombe qui s'envola droit au ciel. On ne fait pas précisément dans quelle planète.

4°. De faint Ptolomée.

Nous fuivons l'ordre de dom Ruinart; mais nous ne voulons point révoquer en doute le martyre de St Ptolomée qui eft tiré de l'apologétique de S'Juflin.

Nous pourrions former quelques difficultés fur la femme accufée par fon mari d'être chrétienne, & qui Dictionn. philofoph. Tome VI.

C

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