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" un principe qui féparera néceffairement les unes des autres ces quatre efpèces de corps, & qui n'aura "befoin pour cela que d'un certain temps limité. Con,, fidérez un peu ce qu'on appelle la fiole des quatre " élémens. On y enferme de petites particules métal

liques, & puis trois liqueurs beaucoup plus légères , les unes que les autres. Brouillez tout cela ensem"ble, vous n'y difcernez plus aucun de ces quatre " mixtes, les parties de chacun fe confondent avec "les parties des autres: mais laiffez un peu votre " fiole en repos, vous trouverez que chacun reprend

fa fituation; toutes les particules métalliques fe "raffemblent au fond de la fiole; celles de la , liqueur la plus légère fe raffemblent au haut; celles " de la liqueur moins légère que celle-là, & moins "pefante que l'autre, se rangent au troisième étage; " celles de la liqueur plus pefante que ces deux-là " mais moins pefante que les particules métalliques, " fe mettent au fecond étage; & ainfi vous retrouvez " les fituations diftinctes que vous aviez confondues " en fecouant la fiole: vous n'avez pas befoin de " patience; un temps fort court vous fuffit pour revoir "l'image de la fituation que la nature a donnée dans " le monde aux quatre élémens. On peut conclure,

en comparant l'univers à cette fiole, que fi la terre " réduite en poudre avait été mêlée avec la matière des aftres, & avec celle de l'air & de l'eau, en telle " forte que le mêlange eût été fait jufqu'aux particules

infenfibles de chacun de ces élémens, tout aurait ,, d'abord travaillé à fe dégager, & qu'au bout d'un " terme préfix, les parties de la terre auraient formé " une maffe, celles du feu une autre, & ainfi du refte,

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" à proportion de la pefanteur & de la légèreté de 2 chaque efpèce de corps. "

Je nie à Bayle que l'expérience de la fiole eût pu fe faire du temps du chaos. Je lui dis qu'Ovide & les philofophes entendaient par choses pesantes & légères, celles qui le devinrent quand un Dieu y eut mis la main. Je lui dis: Vous fuppofez que la nature eût pu s'arranger toute feule, fe donner elle-même la pefanteur. Il faudrait que vous commençaffiez par me prouver que la gravité eft une qualité effentiellement inherente à la matière, & c'eft ce qu'on n'a jamais pu prouver. Defcartes dans fon roman a prétendu que les corps n'étaient devenus pefans que quand fes tourbillons de matière fubtile avaient commencé à les pouffer à un centre. Newton dans fa véritable philofophie ne dit point que la gravitation, l'attraction foit une qualité effentielle à la matière. Si Ovide avait pu deviner le livre des Principes mathématiques de Newton, il vous dirait: La matière n'était ni pefante ni en mouvement dans mon chaos; il a fallu que DIEU lui imprimât ces deux qualités : mon chaos ne renfermait pas la force que vous lui fuppofez: nec quidquam nifi pondus iners, ce n'était qu'une maffe impuiffante; pondus ne fignifie point ici poids, il veut dire maffe.

Rien ne pouvait pefer avant que DIEU eût imprimé à la matière le principe de la gravitation. De quel droit un corps tendrait-il vers le centre d'un autre, ferait-il attiré par un autre, poufferait-il un autre, fi l'artifan fuprême ne lui avait communiqué cette vertu inexplicable? Ainfi Ovide fe trouverait nonfeulement un bon philofophe, mais encore un paffable théologien.

Vous dites: Un théologien scolastique avouerait fans peine que, fi les quatre élémens avaient exifté " indépendamment de DIEU avec toutes les facultés

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qu'ils ont aujourd'hui, ils auraient formé d'eux"mêmes cette machine du monde, & l'entretien"draient dans l'état où nous la voyons. On doit donc "reconnaître deux grands défauts dans la doctrine " du chaos : l'un & le principal eft qu'elle ôte à DIEU "la création de la matière & la production des qualités " propres au feu, à l'air, à la terre & à la mer ; l'autre, " qu'après lui avoir ôté cela, elle le fait venir fans néceffité fur le théâtre du monde pour diftribuer les places aux quatre élémens. Nos nouveaux philofophes, qui ont rejeté les qualités & les facultés de "la phyfique péripatéticienne, trouveraient les mêmes "défauts dans la description du chaos d'Ovide; car " ce qu'ils appellent lois générales du mouvement, prin"cipes de mécanique, modifications de la matière, figure, " fituation & arrangement des corpufcules, ne comprend " autre chofe que cette vertu active & paffive de la "nature, que les péripatéticiens entendent fous les "mots de qualités altératrices & motrices des quatre élémens. Puis donc fuivant la doctrine de ceux-ci, " ces quatre corps, fitués felon leur légèreté & leur ,, pesanteur naturelle, font un principe qui fuffit " à toutes les générations, les cartéfiens, les gaffen" diftes, & les autres philofophes modernes doivent "foutenir que le mouvement, la fituation & la figure ,, des parties de la matière fuffifent à la production de " tous les effets naturels, fans excepter même l'arrangement général qui a mis la terre, l'air, l'eau & les aftres où nous les voyons. Ainfi la véritable caufe

que,

, du monde & des effets qui s'y produifent n'eft point ,, différente de la caufe qui a donné le mouvement

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, aux parties de la matière, foit qu'en même temps elle ait affigné à chaque atome une figure déter, minée, comme le veulent les gaffendiftes, foit qu'elle ,, ait feulement donné à des parties toutes cubiques , une impulfion qui, par la durée du mouvement réduit à certaines lois, leur ferait prendre dans la fuite toutes fortes de figures. C'eft l'hypothèse des cartéfiens. Les uns & les autres doivent convenir, " par conféquent, que fi la matière avait été telle ,, avant la génération du monde qu'Ovide l'a prétendu, , elle aurait été capable de fe tirer du chaos par fes " propres forces, & de fe donner la forme de monde , fans l'affiftance de DIEU. Ils doivent donc accufer " Ovide d'avoir commis deux bévues: l'une eft d'avoir fuppofé que la matière avait eu, fans l'aide de la , divinité, les femences de tous les mixtes, la cha,, leur, le mouvement, &c. l'autre eft de dire que, ,, fans l'affistance de DIEU, elle ne se ferait point tirée , de l'état de confufion. C'est donner trop & trop peu ,, à l'un & à l'autre ; c'est se paffer de fecours au ‚ plus grand befoin, & le demander lorsqu'il n'eft " pas néceffaire. ",

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Ovide pourra vous répondre encore: Vous supposez à tort que mes élémens avaient toutes les qualités qu'ils ont aujourd'hui; ils n'en avaient aucune; le fujet exiftait nu, informe, impuiffant; & quand j'ai dit que le chaud était mêlé dans mon chaos avec le froid, le fec avec l'humide, je n'ai pu employer que ces expreffions, qui fignifient qu'il n'y avait ni froid ni chaud, ni fec ni humide. Ce font des qualités que DIEU a

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mises dans nos fenfations, & qui ne font point dans la matière. Je n'ai point fait les bévues dont vous m'accufez. Ce font vos cartéfiens, & vos gaffendiftes qui font des bévues avec leurs atomes & leurs parties cubiques; & leurs imaginations ne font pas plus vraies que mes métamorphofes. J'aime mieux Daphné changée en laurier, & Narciffe en fleur, que de la matière fubtile changée en foleils, & de la matière rameufe devenue terre & eau.

Je vous ai donné des fables pour des fables; & vos philofophes donnent des fables pour des vérités.

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ment, je tombai fur ce paffage d'Ozée, ch. XIV, verf. 1. que Samarie périffe, parce qu'elle a tourné fon DIEU à l'amertume! que les Samaritains meurent par le glaive! que leurs petits enfans foient écrafés, & qu'on fende le ventre aux femmes groffes!

Je trouvai ces paroles un peu dures : j'allai confulter un docteur de l'univerfité de Prague, qui était alors à fa maison de campagne au mont Krapac; il me dit: Il ne faut pas que cela vous étonne. Les Samaritains étaient des fchifmatiques qui voulaient facrifier chez eux, & ne point envoyer leur argent à Jerufalem; ils méritaient au moins les fupplices auxquels le prophète Ozée les condamne. La ville de Jericho, qui fut traitée ainfi, après que fes murs furent tombés au fon du cornet, était moins coupable. Les trente & un rois que Jofué fit pendre n'étaient point schismatiques.

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