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C'eût été un bien trifte compliment à faire à une reine de la Chine ou du Japon, ou de l'Inde, ou de la Scythie, ou de la Gothie, qui venait de perdre fon fils au berceau, que de lui dire : Madame, confolezvous, monseigneur le prince royal eft actuellement entre les griffes de cinq cents diables, qui le tournent & le retournent dans une grande fournaise pendant toute l'éternité, tandis que fon corps embaumé repofe auprès de votre palais.

La reine épouvantée demande pourquoi ces diables rôtiffent ainfi fon cher fils le prince royal à jamais? On lui répond que c'eft parce que fon arrière-grandpère mangea autrefois du fruit de la fcience dans un jardin. Jugez ce que doivent penser le roi, la reine, tout le confeil & toutes les belles dames.

Cet arrêt ayant paru un peu dur à quelques théologiens, (car il y a de bonnes ames par-tout) il fut mitigé par un Pierre Chryfologue, ou Pierre parlant d'or, lequel imagina un faubourg d'enfer nommé les limbes, pour placer tous les petits garçons & toutes les petites filles qui feraient morts fans baptême. C'est un lieu où ces innocens végètent fans rien fentir, le féjour de l'apathie; & c'eft ce qu'on appelle le paradis des fots. Vous trouvez encore cette expreffion dans Milton: The paradife of fools. Il le place vers la lune. Cela eft tout-à-fait digne d'un poëme épique.

Explication du péché originel.

LA difficulté pour les limbes eft demeurée la même que pour l'enfer. Pourquoi ces pauvres petits font-ils dans les limbes? qu'avaient-ils fait ? comment leur

ame, qu'ils ne poffédaient que d'un jour, était-elle coupable d'une gourmandife de fix mille ans?

St Auguftin, qui les damne, dit pour raison que les ames de tous les hommes étant dans celle d'Adam, il eft probable qu'elles furent toutes complices. Mais comme l'Eglife décida depuis que les ames ne font faites que quand le corps eft commencé, ce fystème tomba malgré le nom de fon auteur.

D'autres dirent que le péché originel s'était tranfmis d'ame en ame par voie d'émanation, & qu'une ame venue d'une autre arrivait dans ce monde avec toute la corruption de l'ame-mère. Cette opinion fut condamnée.

Après que les théologiens y eurent jeté leur bonnet, les philofophes s'effayèrent. Leibnitz, en jouant avec fes monades, s'amufa à raffembler dans Adam toutes les monades humaines avec leurs petits corps de monades. C'était moitié plus que St Auguftin. Mais cette idée, digne de Cyrano de Bergerac, n'a pas fait fortune en philofophie.

Mallebranche explique la chofe par l'influence de l'imagination des mères. Eve eut la cervelle fi furieufement ébranlée de l'envie de manger du fruit, que fes enfans eurent la même envie, à peu près comme cette femme qui, ayant vu rouer un homme, accoucha d'un enfant roué.

Nicole réduit la chofe à une certaine inclination, une certaine pente à la concupifcence que nous avons reçue de nos mères. Celle inclination n'eft pas un acle; elle le deviendra un jour. Fort bien, courage, Nicole: mais en attendant, pourquoi me damner? Nicole ne touche point du tout à la difficulté; elle confifte à favoir comment

nos ames d'aujourd'hui, qui font formées depuis peu, peuvent répondre de la faute d'une autre ame qui vivait il y a fi long-temps.

Mes maîtres, que fallait-il dire fur cette matière ? rien. Auffi je ne donne point mon explication, je ne dis mot.

ORTHOGRAPH E.

L'ORTHOGRAPHE de la plupart des livres français est ridicule. Prefque tous les imprimeurs ignorans impriment Wifigoths, Weftphalie, Wirtemberg, Wetéravie &c.

Ils ne favent pas que le double V allemand, qu'on écrit ainfi W, eft notre V confonne, & qu'en Allemagne on prononce Vétéravie, Virtemberg, Veftphalie, Vifigoths.

Ils impriment Altona au lieu d'Altena, ne fachant pas qu'en allemand un O furmonté de deux points vaut un E.

Ils ne favent pas qu'en Hollande oe fait ou; & ils font toujours des fautes en imprimant cette diphthongue. Celles que commettent tous les jours nos traducteurs de livres font innombrables.

Pour l'orthographe purement française, l'habitude feule peut en fupporter l'incongruité. Em-ploi-e-roi-ent, oc-troi-e-roi-ent, qu'on prononce, octroiraient, emploiraient. Pa-on qu'on prononce pan, fa-on qu'on prononce fan, La-on qu'on prononce Lan, & cent autres barbaries pareilles font dire :

Hodieque manent veftigia ruris.

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Cela n'empêche pas que Racine, Boileau & Quinault ne charment l'oreille, & que la Fontaine ne doive plaire à jamais.

Les Anglais font bien plus inconféquens: ils ont perverti toutes les voyelles; ils les prononcent autrement que toutes les autres nations. C'eft en orthographe qu'on peut dire d'eux avec Virgile :

Et penitus toto divifos orbe Britannos.

Cependant, ils ont changé leur orthographe depuis cent ans; ils n'écrivent plus Loveth, Speaketh, Maketh, mais Loves, Speaks, Makes.

Les Italiens ont fupprimé toutes leurs H. Ils ont fait plufieurs innovations en faveur de la douceur de leur langue.

L'écriture eft la peinture de la voix plus elle est reffemblante, meilleure elle est.

O VID E.

LES favans n'ont pas laiffé de faire des volumes

pour nous apprendre au juste dans quel coin de terre Ovide Nafon fut exilé par Oclave Cépias furnommé Augufte. Tout ce qu'on en fait, c'eft que né à Sulmone, & élevé à Rome, il paffa dix ans fur la rive droite du Danube, dans le voifinage de la mer Noire. Quoiqu'il appelle cette terre barbare, il ne faut pas fe figurer que ce fût un pays de fauvages. On y fefait des vers. Cotis petit roi d'une partie de la Thrace fit des vers gètes pour Ovide. Le poëte latin apprit le gète, & fit auffi des vers dans cette langue. Il femble qu'on aurait dû attendre des vers grecs dans l'ancienne

patrie d'Orphée; mais ces pays étaient alors peuplés par des nations du Nord qui parlaient probablement un dialecte tartare, une langue approchante de l'ancien flavon. Ovide ne femblait pas deftiné à faire des vers tartares. Le pays des Tomites, où il fut relégué, était une partie de la Méfie province romaine, entre le mont Hémus & le Danube. Il eft fitué au quarantequatrième degré & demi, comme les plus beaux climats de la France; mais les montagnes qui font au fud, & les vents du nord & de l'eft qui foufflent du Pont-Euxin, le froid, & l'humidité des forêts & du Danube, rendaient cette contrée insupportable à un homme né en Italie: auffi Ovide n'y vécut-il pas longtemps; il y mourut à l'âge de foixante années. Il fe plaint dans fes élégies du climat, & non des habitans:

Quos ego, cùm loca fim veftra perofus, amo.

Ces peuples le couronnèrent de laurier, & lui donnèrent des priviléges qui ne l'empêchèrent pas de regretter Rome. C'était un grand exemple de l'efclavage des Romains, & de l'extinction de toutes les lois, qu'un homme né dans une famille équeftre, comme Oclave, exilât un homme d'une famille équeftre, & qu'un citoyen de Rome envoyât d'un mot un autre citoyen chez les Scythes. Avant ce temps il fallait un plébifcite, une loi de la nation, pour priver un romain de fa patrie. Cicéron, exilé par une cabale, l'avait été du moins avec les formes des lois.

Le crime d'Ovide était inconteftablement d'avoir vu quelque chofe de honteux dans la famille d'Octave:

Cur aliquid vidi, cur noxia lumina fecit?

Les doctes n'ont pas décidé s'il avait vu Augufle avec

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