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ces lois formelles peuvent s'étendre elles-mêmes à plus ou moins d'objets. Aristote, pas plus que M. Hamilton, n'entendait faire entrer la matière de la pensée dans la logique; il entendait tout aussi bien que lui ne rechercher que des lois formelles. Et pourtant, Aristote a compris dans la logique des parties que M. Hamilton en exclut impitoyablement; car il n'est pas un des six traités de ce grand système qui trouve grâce devant sa critique; et l'on pourrait conclure, comme le philosophe écossais n'hésite point à le faire, qu'Aristote a connu l'objet de la logique beaucoup moins bien que la plupart de ses successeurs. Parler des lois formelles de la pensée, ce n'est donc pas désigner très-nettement l'objet de la logique. Pour l'auteur du Criticisme, les lois formelles de la pensée seraient tout aussi différentes de celles de M. Hamilton, que pourraient l'être celles de l'auteur de l'Organon.

En ceci, c'est encore Aristote qu'il faut consulter; c'est lui encore qui, sur ce point, a tout avantage. Écoutez comment il s'exprime en commençant les Analytiques : « D'abord nous dirons << le sujet et le but de cette étude : le sujet, c'est << la démonstration; le but, c'est la science dé«< montrée. » La démonstration, tel est donc le résultat final que poursuit la théorie; la science

inébranlablement assise sur la démonstration, voilà ce qu'elle obtient. Il n'en faut pas davantage à l'esprit humain; il ne peut pas en demander plus à la logique et c'est la grande promesse que l'Organon lui a religieusement tenue. La science démontrée est une science éternelle, Aristote l'a dit, et les mathématiques le prouvent avec pleine évidence. Que faudrait-il de plus aux désirs de l'homme? L'éternité peut entrer dans ses conceptions; et s'il n'a point la vérité tout entière, la portion du moins qu'il en a, démontrée parce qu'elle est éternelle, rattache indissolublement son esprit à tout ce que son esprit peut concevoir et rêver de plus grand. A cette question : quel est l'objet de la logique? Aristote répond : c'est la démonstration. Approfondissez cette réponse, et vous verrez sans peine qu'il n'y en a ni de plus simple, ni de plus vraie. Ramus, malgré son argumentation ardente et prolongée, n'a pu le moins du monde l'ébranler, loin de la détruire. (Ramus, Scholæ dialecticæ, liv. 2, ch. 5.)

Il ne peut pas d'abord subsister ici la moindre équivoque. On sait, aussi clairement qu'il est possible de savoir, ce que c'est que la démonstration. Si la composition même du mot n'en donnait le sens le plus manifeste et le plus intelligible, on pourrait recourir aux définitions aussi

nettes que nombreuses que l'Organon en peut fournir. La démonstration, c'est le procédé de l'esprit qui, en partant de principes évidents par eux-mêmes, arrive, par un chemin direct, à des conséquences tout aussi certaines, parce qu'elles sont tout aussi nécessaires. La démonstration, c'est le syllogisme scientifique, le syllogisme qui porte la science avec lui, et nous met en rapport avec la vérité, d'abord, par le principe dont il part, et ensuite, par la conséquence à laquelle il aboutit. Les principes sont vrais et nécessaires : la conclusion est vraie et nécessaire comme eux. Que veut-on de plus? que peut-on même imaginer au delà? c'est la limite du savoir de l'homme. La logique fait ici les deux seules choses qu'elle puisse faire. Elle nous indique, d'abord la forme que le raisonnement doit revêtir pour être régulier, concluant : elle nous montre de plus, les conditions que les principes doivent remplir pour que le syllogisme soit démonstratif. Les principes remplissent-ils ces conditions? sontils vrais ou faux? c'est là une question à laquelle la logique proprement dite n'a point à répondre, que l'esprit humain, il est vrai, se pose toujours et a toujours le droit de se poser. Mais c'est la méthode qui, au-dessus de la logique et de ses règles abstraites, venant les compléter et les

mettre en rapport avec la réalité et la vie, doit répondre à cette question, que la spontanéité d'un esprit naturellement juste résout bien mieux encore que la méthode. On sait donc sans la moindre obscurité ce que c'est que la démonstration, et dire que l'objet de la logique c'est la démonstration, c'est l'indiquer aussi clairement qu'il est possible de le faire. Les lois nécessaires de l'entendement, les lois formelles de la pensée, ce n'est pas une définition inexacte; c'est seulement une définition moins précise.

La démonstration étant la fin de la logique, la logique se trouve ainsi définie, non pas tout à fait par l'objet qui en est la matière, mais par l'objet qu'elle poursuit. La définition en vautelle moins pour cela? non certainement. Les sciences se définissent tout aussi bien par le but auquel elles aspirent, que par l'objet même qui est la matière de leurs spéculations. La médecine est tout aussi bien définie, quand on dit qu'elle est l'art de guérir, que la géométrie peut l'être, quand on la définit, la science de l'étendue, ou que l'arithmétique, quand on la définit, la science des nombres. Ici, c'est par l'objet même de la science qu'on la définit : là, c'est par le but qu'elle se propose. De part et d'autre, la définition remplit la condition qu'elle doit toujours

remplir. Elle fait parfaitement connaître l'objet qu'elle doit désigner, en l'isolant de tous les autres. On peut donc définir la logique par le but qu'elle recherche, tout aussi bien que par la matière dont elle est en quelque sorte composée.

Il y a de plus à ceci cet immense avantage que, le but une fois fixé, toutes les parties de la science viennent se classer, se subordonner les unes aux autres dans le rapport même qu'elles soutiennent avec ce but. La démonstration n'est point une chose simple. L'analyse y découvre des éléments aussi nombreux que divers; et ces éléments, observés un à un, mis dans l'ordre de leur importance, rangés d'après leur simplicité ou leur complication, relativement au grand tout qu'ils composent, peuvent être systématisés d'une façon qui n'a plus rien d'arbitraire. Les traités qui forment l'Organon se suivent dans un ordre qui ne peut être changé, sous peine de confusion. Et même quand c'est une autorité antique comme celle d'Adraste d'Aphrodise, qui nous propose de les déplacer, cette autorité mérite à peine d'être discutée, loin qu'elle mérite d'être suivie. Tout, dans un système de choses qui ont une fin, doit s'ordonner selon cette fin même; et la méthode est ici la méthode si connue que suit en tout l'es

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