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Il prend d'un vieux guerrier la figure poudreuse.
Son front cicatricé 1 rend son air furieux;

Et l'ardeur du combat étincelle en ses yeux.

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En ce moment il part; et, couvert d'une nue,
Du fameux fort de Skink prend la route connue.2
Là, contemplant son cours, il voit de toutes parts 75
Ses pâles défenseurs par la frayeur épars:

Il voit cent bataillons qui, loin de se défendre,
Attendent sur des murs l'ennemi pour se rendre.
Confus, il les aborde; et renforçant sa voix :
Grands arbitres, dit-il, des querelles des rois, 3
Est-ce ainsi que votre âme, aux périls aguerrie,
Soutient sur ces remparts l'honneur et la patrie?

1825.

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Barbe limoneuse... Expression supérieure au Rheni luteum caput d'Horace (l. I, sat. x, v. 37) dont elle est imitée. Le Brun.

Cicatricé signifie

1 Texte de 1672 à 1701... Il y a cicatrisé à 1713. Cicatricé est un mot qui fait horreur. Desmarets, 68. plein de cicatrices, recousu en divers endroits; au lieu que cicatrisé ne se dit que d'une plaie qui est presque guérie et fermée. Brossette, note 19 sur la satire 11 de Regnier, édit. de 1733. — MM. Daunou, Thiessé et quelques lexicographes, tels que Féraud et Boiste, approuvent cette distinction de Brossette, quoiqu'elle soit réprouvée formellement par Richelet (voy. Féraud) et tacitement par l'Académie, puisqu'elle n'admet que le mot cicatrisé et dans les deux sens (Voy. aussi Gattel et M. Amar, édit. de 1824).

2 Dès qu'il n'y a pas de route secrette, route connue est une cheville. Chapat, 78.

3 V. E. (en partie) 1672, 15e édit. sép... Du destin de deux rois (la 2o édit. sép. porte déjà des querelles des rois).

Allusion à une médaille frappée en Hollande à la paix de 1668, et où on lisait CONCILIATIS REGIBUS. Bross.

4 Il y avait sur les drapeaux des Hollandais: pro honore et patria. Boil., 1672 à 1713 (un éditeur omet des).

C'est peu, dit M. Lemercier, d'avoir prêté des traits, une voix, un maintien au fleuve, il l'agite de sentimens, et par cette allégorie annonce une lutte entre un dieu et le héros. Voilà le Rhin qui agit, et qui, de plus, se

Votre ennemi superbe, en cet instant fameux,

Du Rhin, près de Tholus, fend les flots écumeux :
Du moins, en vous montrant sur la rive opposée, 85
N'oseriez-vous saisir une victoire aisée?

Allez, vils combattans, inutiles soldats;

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Laissez là ces mousquets trop pesans pour vos bras:
Et, la faux à la main, parmi vos marécages,
Allez couper vos joncs, et presser vos laitages; 1
Ou, gardant les seuls bords qui vous peuvent couvrir,
Avec moi, de ce pas, venez vaincre ou mourir.

Ce discours d'un guerrier que la colère enflamme Ressuscite l'honneur déjà mort en leur âme;

Et, leurs cœurs s'allumant d'un reste de chaleur, 95 La honte fait en eux l'effet de la valeur.

Ils marchent droit au fleuve, où Louis en personne, Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne.

revêt d'un déguisement à ces mols essuyant, etc. (vers 69 à 82)... Qui ne croirait pas assister à l'action, entendre les exhortations du dieu, et voir son visage irrité ? Qui ne conçoit nettement sous ces images la résistance qu'un grand fleuve oppose au passage des troupes, et la protection qu'en reçoivent celles qui le défendent » ? 7b., III, 64 et suiv.

1 La faux ne peut servir à presser les laitages... Voilà ce qu'on objecta dès le principe à Boileau, et ce que Chapat (p. 78), Cizeron-Rival (Récréal. littér., 139), Lévizac, M. Fontanier et d'autres ont répété depuis, et ce que paraissent approuver MM. Daunou, Amar et de Saint-Surin. Boileau, selon Brossette, après avoir tenté de corriger cela, disait : « Non-seulement je n'ai pu venir à bout de le dire mieux, mais je n'ai pas pu le dire autrement ». -Cizeron-Rival et Chapat, plus habiles, lèvent la difficulté en changeant, comme il suit, l'un, le premier hémistiche du vers 89:

Et loin des champs de Mars, parmi les marécages,

et l'autre, le dernier hémistiche du vers 90:

Allez couper vos joncs et les autres herbages.

Le Brun loue Boileau de n'avoir point gâté son vers en corrigeant cette

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Par son ordre Grammont le premier dans les flots
S'avance soutenu des regards du héros :
Son coursier écumant sous son maître intrépide
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide,
Revel3 le suit de près: sous ce chef redouté
Marche des cuirassiers l'escadron indompté.
Mais déjà devant eux une chaleur guerrière
Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière,
Vivonne, Nantouillet, et Coislin, et Salart;
Chacun d'eux au péril veut la première part.
Vendôme, que soutient l'orgueil de sa naissance,
Au même instant dans l'onde impatient s'élance: 110
La Salle, Béringhen, Nogent, d'Ambre, Cavois,
Fendent les flots tremblans sous un si noble poids.

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faute prétendue. Selon lui le sens du vers est : « Allez couper vos joucs, la faux à la main, et puis après, vous presserez vos laitages ». Voilà ce qu'on entend et ce que le poète a voulu dire.

* M. le comte de Guiche. Boil., 1672 à 1713.- Ce nom (Grammont) est ainsi écrit aux mêmes éditions. Un moderne écrit Gramont, avec Moreri et Anselme; cependant, dans les mémoires de son oncle (le fameux comte), ce nom est toujours écrit Grammont.

Il paraît que Grammont n'avait ordre de passer que dans le cas où il reconnaîtrait un gué. Quoiqu'il n'en eût point trouvé, il s'élança dans les flots; le succès couronna son audace. Madame de Sévigné, lett. du 3 juillet 1672. 2 Description courte et vive. Rollin, Traité des études, liv. 3, ch. 3, art. 2,

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§ 5. Boileau, dans ces deux vers où l'action est si présente, semble avec Grammont traverser le Rhin sur les ailes du génie. Le Brun.

5 Broglio... (voy. tome IV, lettre du

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avril 1

1702.)

4 M. le comte de Saux. Boil., 1672 à 1713.- François de Blanchefort Bonne-Créqui-Lesdiguières. Bross. Son aïeul avait obtenu la fille unique du connétable de Lesdiguières, sous la condition de joindre ce nom au sien. 5 V. O. 1672 à 1701. Coëslin.

6 Vers 97 à 112. Tout ceci n'est autre chose qu'une relation de gazette écrite en vers... beaucoup plus insupportable que le burlesque décrié par l'auteur. Sainte-Garde, 7.

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Louis, les animant du feu de son courage, 1
Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage.'
Par ses soins cependant trente légers vaisseaux
D'un tranchant aviron déjà coupent les eaux :
Cent guerriers s'y jetant signalent leur audace.
Le Rhin les voit d'un œil qui porte la menace;
Il s'avance en courroux. Le plomb vole à l'instant,
Et pleut de toutes parts sur l'escadron flottant. 3
Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume, *

1 Voltaire, Henriade; VIII, 303:

Il rassemble avec eux ces bataillons épars

Qu'il anime en marchant du feu de ses regards.

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2 Prior, dans un poème sur la bataille d'Hochstet, fait aux vers ci-dessus une allusion que Voltaire (xx11o lett. philosoph.) traduit ainsi :

Satirique flatteur, toi qui pris tant de peine

Pour chanter que Louis n'a point passé le Rhin.

Boileau, dit le prince de Ligne (OEuvres choisies, 1809, II, 321) a eu plus de peine à décrire le passage du Rhin que Louis XIV à le traverser; car la grandeur de ce roi ne devait pas l'attacher au rivage; c'était une opération bien facile, où le poète a dû mettre toute son imagination.

D'Alembert, après avoir observé que Boileau était obligé, dans les louan- . ges qu'il donnait au roi, d'user de détours et presque de palliatifs lorsque l'objet en était équivoque, ajoute que dans ce vers se plaint, etc., il a sauvé très finement le reproche qu'on faisait à Louis XIV d'avoir été simplement spectateur du passage (id., III, 65). Boileau, avec adresse, voile le héros pour illustrer le roi. Le Brun. Cette tournure est très ingénieuse. Bouhours, 403.

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5 Boileau, selon Brossette, disait avoir le premier parlé en vers de l'artillerie moderne et de ce qui en dépend. Saint-Marc lui donne à cet égard un dé vancier qu'il ne nomme point, et qui est sans doute quelque rimeur obscur... Le Brun observe avec raison que la nullité ne laisse point de traces, et que c'est le génie qui consacre. Au reste, selon Louis Racine (p. 123), ce n'était pas d'avoir le premier parlé en vers de l'artillerie que Boileau se vantait, mais d'en avoir le premier parlé poétiquement, et cela est plus vraisemblable. 4 Noble et heureuse hardiesse (voy. p. 29, note 2). M. Fabre.

Autres remarques sur ce vers. L'art des gradations (voy. épît. v, note du

TOME II.

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Et des coups redoublés tout le rivage fume.
Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint. 1
Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se 2 plaint.
De tant de coups affreux la tempête orageuse
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse;
Mais Louis d'un regard sait bientôt la fixer:
Le destin à ses yeux n'oserait balancer. *

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vers 131) ne consiste point seulement dans une adroite combinaison de rapports plus ou moins éloignés entre les diverses expressions dont se compose une phrase; il peut trouver place en un seul vers, dans un hémistiche, surtout quand le poète veut unir entre elles deux expressions qui semblent d'abord peu faites pour s'allier, comme dans ce vers: Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume; alors il faut souvent avoir recours à une troisième expres `sion, amie commune des deux autres, et qui vienne pour ainsi dire, en médiatrice, se placer entre elles pour les rapprocher. C'est là précisément ce qu'a fait Boileau. Qu'on mette Du salpêtre en fureur, aussitôt l'air s'allume; la figure ne paraîtra-t-elle pas un peu hardie...? Comment allumer l'air...? Comme l'a fait Boileau, en commençant par l'échauffer; en reportant à sa place cette dernière expression, car alors celle qui suit redevient naturelle. M. Fabre, Observat. (voy. épit. 1x, note du vers 53.)

1 Voltaire, Henr., II, 85 (mais voy. sat. x, v. 481):

D'un plomb mortel atteint par une main guerrière.

2 L'onde écume, à la bonne heure, mais se plaint n'est évidemment là que pour la rime. Mermet, 42.- Erreur grossière; se plaint est ici pour le complément de l'idée et l'expression poétique qui donne à tout un corps, une âme, un esprit, un visage, et prête des sentimens aux choses inanimées. M. F., Mercure, 7 octobre, 1809, p. 542. - Se plaint est admirable; il imprime au vers le sentiment et la vie. Le Brun.

5 Qu'est-ce que la tempête de tant de coups? Une tempête de coups ne s'est jamais dit en français... Ensuite y a-t-il des tempêtes qui ne soient pas orageuses? Pradon, 61. Epithète oiseuse et seulement pour la rime. Lévizac. Orageuse, dit Le Brun, uni à tempête, est ici une épithète habilement hasardée.

4 Ces deux vers (127, 128) sont très hardis... Ils ne sont pourtant point fanfarons; ils ne sont que forts, et ils ont une vraie noblesse qui les autorise. Le poète ne dit pas que les destins en général dépendent du roi; il ne parle

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