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DISCOURS SUR L'ODE.'

L'ODE suivante 2 a été composée à l'occasion de ces étranges dialogues 3 qui ont paru depuis quelque temps, où tous les plus grands écrivains de l'antiquité sont traités d'esprits médiocres, de gens à être mis en parallèle avec les Chapelains et avec les Cotins, et où, voulant faire honneur à notre siècle, on l'a en quelque sorte diffamé, en faisant voir qu'il s'y trouve des hommes capables d'écrire des choses si peu sensées. Pindare est des plus maltraités. Comme les beautés de ce poète sont extrêmement renfermées dans sa langue, l'auteur de ces dialogues, qui vraisemblablement ne sait point de grec,5 et qui n'a lu Pindare que dans des traductions latines assez défectueuses, a pris pour galimatias tout ce que la faiblesse de ses lumières ne lui permettait pas de comprendre. Il a surtout traité de ridicules ces endroits merveilleux où le poète, pour marquer un esprit entièrement hors de soi, rompt quelquefois de dessein formé la suite de son discours; et afin de mieux entrer dans la raison, sort, s'il faut ainsi parler, de la raison même, évitant avec grand soin cet ordre méthodique et ces exactes liaisons de sens qui ôte

1 Ce discours fut composé et publié séparément avec l'ode, en 1693. V. O. 1693. Au lecteur, au lieu de Discours sur l'ode.

2 V. O. 1693. L'ode qu'on donne ici au public, etc...

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3 Parallèles des anciens et des modernes, en forme de dialogues. Boil., 1713 (par Perrault... Voy. tome I, Notice bibl., § 2, nos 27 et 28).

4 V. Texte de 1693 à 1713. Saint-Marc et plusieurs éditeurs d'après lui, tels que 1788, 1789 et 1800, Did.; 1808 et 1814, Le Br.; 1809 et 1825, Daun.; 1818, Led.; 1820, Men.; 1824, Fro.; 1826, Mart.; 1828, Th.; 1829, B. ch... lisent Pindare y est.

5 V. O. 1693. Ne sait point le greo.

6 V. O. 1693 à 1698. Avec soin.

7 Pour marquer un esprit, etc... sort de la raison, etc. « Voilà ce que le génie dictait à Despréaux, et ce que désapprouva depuis son très pesant commenta teur. » Le Brun, OEuv., IV, 295.- Saint-Marc approuve en effet un fragment d'une critique où Perrault ( Lettre, p. 10) prétend que la réflexion de Boileau

raient l'âme à la poésie lyrique. Le censeur dont je parle 1 n'a pas pris garde qu'en attaquant ces nobles hardiesses de Pindare, il donnait lieu de croire qu'il n'a jamais conçu le sublime des psaumes de David, où, s'il est permis de parler de ces saints cantiques à propos de choses si profanes, il y a beaucoup de ces sens rompus, qui servent même quelquefois à en faire sentir la divinité. Ce critique, selon toutes les apparences, n'est pas fort convaincu du précepte que j'ai avancé dans mon Art poétique, 2 à propos de l'ode:

Sou style impétueux souvent marche au hasard :
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.

Ce précepte effectivement, qui donne pour règle de ne point garder quelquefois de règles, est un mystère de l'art, qu'il n'est pas aisé de faire entendre à un homme sans aucun goût, qui croit que la Clélie et nos opéra3 sont les modèles du genre sublime; qui trouve Térence fade, Virgile froid, Homère de mauvais sens, et qu'une espèce de bizarrerie d'esprit rend insensible à tout ce qui frappe ordinairement les hommes. Mais ce n'est pas ici le lieu de lui montrer ses erreurs. On le fera peut-être plus à propos un de ces jours, dans quelque autre ouvrage.

est peu intelligible parce que « la raison veut que le poète dithyrambique ait de l'enthousiasme... » C'est précisément, selon la remarque de M. Daunou, ce que Boileau veut dire et dit clairement.

V. O. 1693. Dont on parle.

2 V. O. 1693. Du précepte qu'on a avancé dans L'ART poétique.

La correction de ce dernier passage est remarquable en ce qu'elle fut faite d'après l'observation suivante de Perrault (Lett., p. 12 ) : « Ne vous apercevezvous point, monsieur, des airs que vous vous donnez, en supposant que tout le monde doit avoir devant les yeux votre Art poétique, que vous appelez absolument et comme par excellence l'Art poétique ? »

31693. Et les operas sont.-Il est question de l'orthographe d'opéra au tome III, Réflexion critique vIII, à la fin.

4 V. O. 1693... D'esprit, qu'il a, dit-on, commune avec toute sa famille, rend.... Autre correction faite d'après la critique, ou plutôt la plainte très juste de Perrault. «< Cet endroit, dit-il ( Lett., p. 14), est trop fort, et excède toutes les libertés et toutes les licences que les gens de lettres prennent dans leurs disputes. Ma famille est irréprochable... » (Voy. aussi tome III, rere Réflex. crit., notes.)

5 Dans les premières Réflexions critiques ( même tome III ).

Pour revenir1 à Pindare, il ne serait pas difficile d'en faire sentir les beautés à des gens qui se seraient un peu familiarisé le grec; mais comme cette langue est aujourd'hui assez ignorée de la plupart des hommes, et qu'il n'est pas possible de leur faire voir Pindare dans Pindare même, j'ai cru que je ne pouvais mieux justifier ce grand poète qu'en tâchant de faire une ode en français à sa manière, c'est-à-dire pleine de mouvemens et de transports, où l'esprit parût 3 plutôt entraîné du démon de la poésie que guidé par la raison. C'est le but que je me suis proposé dans l'ode qu'on va voir. J'ai pris pour sujet la prise de Namur, 5 comme la plus grande action de guerre qui se soit faite de nos jours, et comme la matière la plus propre à échauffer l'imagination d'un poète. J'y ai jeté, autant que j'ai pu,' la magnificence des mots; et, à l'exemple des anciens poètes dithyrambiques, j'y ai employés les figures les plus audacieuses, jusqu'à y faire un astre de la plume blanche que le roi porte ordinairement à son chapeau, et qui est en effet comme une espèce de comète fatale à nos ennemis, qui se jugent perdus dès qu'ils l'aperçoivent. Voilà le dessein de cet ouvrage. Je ne réponds

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11693. Ceci n'y forme pas un alinéa.

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2 V. O. 1693. Dans Pindare même, on a cru qu'on ne pouvait mieux... qu'en faisant une ode.

3 V. O. 1693. Où l'on parut...

4 V. O. 1693. Le but qu'on s'est proposé... On a pris pour.

5 La ville fut prise le 5, et le château le 30 juin 1692. Bross.

6 Ceci fournit à l'un des parodistes dont on parle, p. 403, et tome I, Not. bibl., § 2, no 42, un sujet de réflexions très malignes. La reprise de Namur est selon lui (Rec. de Moetjens, IV, 392 ) un exploit sans comparaison plus grand que la prise, parce que Louis, depuis trois ans, a employé des sommes immenses à fortifier Namur... qu'un corps d'armée a été mis dans la place (Boufflers en était gouverneur), tandis qu'une armée de cent mille hommes (commandée par Villeroi ) était en campagne pour empêcher le siège, ou le faire lever... « Si l'on veut, ajoute-t-il, p. 394, qu'en m'abaissant comme je dois,je rende à chacun la louange qui lui est due, je dirai que l'ode de M. Despréaux est autant au-dessus des choses qu'il loue que celles que j'entreprends de louer sont au-dessus de la mienne.» Voy. sur la conduite de Villeroi, p. 107, note 2. 7 V. O. 1693. Poète. On y a jeté autant qu'on a pu...

8 V. O. id... Dithyrambiques, on y a employé.

9 On fait la satire la plus sanglante de cet astre, dans la 3e parodie ( Même Rec., p. 415).

pas d'y avoir réussi; et je ne sais1 si le public, accoutumé aux sages emportemens de Malherbe, s'accommodera de ces saillies et de ces excès pindariques. Mais, supposé que j'y aie échoué, je m'en consolerai du moins2 par le commencement de cette fameuse ode latine d'Horace, Pindarum quisquis studet œmulari, etc.3 où Horace donne assez à entendre que, s'il eût voulu lui-même s'élever à la hauteur de Pindare, il se serait cru en grand hasard de tomber. *

Au reste, comme parmi les épigrammes qui sont imprimées à la suite de cette ode,5 on trouvera encore une autre petite ode de ma façon, que je n'avais point jusqu'ici insérée dans mes écrits, je suis bien aise, pour ne me point brouiller avec les Anglais d'aujourd'hui, de faire ici ressouvenir le lecteur que les Anglais que j'attaque dans ce petit poème, qui est un ouvrage de ma première jeunesse, ce sont les Anglais du temps de Cromwell.

J'ai joint aussi à ces épigrammes un arrêt burlesque & donné au Parnasse, que j'ai composé autrefois, afin de prévenir un arrêt très sérieux, que l'université songeait à obtenir du parlement contre ceux qui enseigneraient dans les écoles de philosophie d'autres principes que ceux d'Aristote. La plaisanterie y descend un peu bas, et est toute dans les termes de la pratique; mais il fallait qu'elle fût ainsi, pour faire son effet, qui fut très heureux, et obligea, pour ainsi dire, l'université à supprimer la requête qu'elle allait présenter.

Ridiculum acri

Fortius ac melius magnas plerumque secat res. 7

1 V. O. (en part. ) 1693 à 1698. De ce petit ouvrage... On ne répond pas...... et on ne sait si le public...

2 Id., id... Supposé qu'on y ait... On s'en consolera...

3 Liv. IV, ode 2.

- Les éditeurs modernes mettent ici un alinéa; il n'y eu

a point dans les éditions originales.

4 V. O. 1693 à 1698. Ce discours finissait ici.

5 L'ordre des épigrammes a été changé. Voy. l'Avertissement, p. 402.

6 Nous donnons cet arrêt au tome III.

7 Horace, livre I, satire x, vers 14 et 15.

ODE

SUR LA PRISE DE NAMUR.

QUELLE docte et sainte ivresse
Aujourd'hui me fait la loi? 1
Chastes nymphes du Permesse,
N'est-ce pas vous que je voi? 2
Accourez, troupe savante;
Des sons que ma lyre enfante
Ces arbres sont réjouis.3

Faible imitation d'Horace (liv. III, ode xxy, v. 1 et 2):

Quo me, Bacche, rapis tui

Plenum.

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Qu'Horace, dans une chanson à boire, se dise inspiré par le dieu du vin et de la vérité pour chanter les louanges d'Auguste, c'est une flatterie ingénieuse, déguisée sous l'air de l'ivresse: la période est courte, le mouvement est rapide, le feu soutenu, et l'illusion complète. Mais la docte et sainte ivresse de Boileau n'est point le langage d'un homme enivré. Supposé même que le style en fût aussi véhément, aussi naturel que dans la versión latine :

Quis me furor ebrium rapit
Impotens?

ce début serait déplacé : ce n'est point là le premier mouvement d'un poète qui a devant les yeux l'image sanglante d'un siège. Marmontel, Encyclop., mot ode.

2 Vers peu harmonieux. Lenoir-Dulac, p. 187.

3 L'idée de prêter du sentiment aux arbres est heureuse, mais l'expression n'est pas aussi heureuse que l'idée; réjouis est triste à l'oreille, et le verbe sont est sans action. Un poète plein d'ivresse doit avoir un style plein de mouvement. Le Brun. MM. Amar, de Saint-Surin et Daunou approuvent cette remarque, et le dernier ajoute que sont reproduit pour l'oreille la syllabe sons du vers précédent.

TOME II.

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