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La Foi, d'un pas certain, devant elle chemine; 1
L'Espérance au front gai l'appuie et la conduit; 2
Et, la bourse à la main, la Charité la suit.
Vers Paris elle vole, et, d'une audace sainte,
Vient aux pieds de Thémis 3 proférer cette plainte: 10
Vierge, effroi des méchans, appui de mes autels,
Qui, la balance en main, règles tous les mortels,
Ne viendrai-je jamais en tes bras salutaires
Que pousser des soupirs, et pleurer mes misères?
Ce n'est donc pas assez qu'au mépris de tes lois
L'Hypocrisie ait pris et mon nom et ma voix;
Que, sous ce nom sacré, partout ses mains avares
Cherchent à me ravir crosses, mitres, tiares!
Faudra-t-il voir encor cent monstres furieux
Ravager mes états usurpés à tes yeux?

Dans les temps orageux de mon naissant empire,
Au sortir du baptême on courait au martyre.

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1 Chemine a vieilli d'ailleurs marche était ici le mot propre. Saint-Marc. – Erreur : l'Académie, au mot cheminer, ne dit point qu'il ait vieilli. Il était certainement usité au temps de Boileau, car La Fontaine s'en est servi dans la Mouche du coche (aussitôt que le char chemine), et depuis, J.-B. Rousseau str. 7) a dit: Il chemine en liberté.

( liv. I, ude VII,

2 On ne dit pas appuyer quelqu'un, mais s'appuyer sur quelqu'un. SaintMarc; Féraud. Frappés peut-être de cette remarque, des éditeurs ( 1772 et 1789, Londres) se sont crus autorisés à corriger Boileau; ils ont mis la soutient et conduit.

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3 Il est étrange qu'on amène aux pieds d'une divinité païenne des vertus chrétiennes. Saint-Marc et M. Daunou. - Le nom de Thémis est consacré parmi nous, comme chez les anciens, pour signifier la justice. M. de S.-S. Saint-Marc fonde son observation sur la remarque suivante de Brossette.

4 P. C. Déesse aux yeux couverts. L'auteur faisait allusion au bandeau avec lequel on peint la Justice. Mais on lui fit remarquer que le mot déesse, tiré de la fable, ne convenait pas à une vertu chrétienne. Bross. couverts n'était pas non plus une expression très heureuse. M. Daunou.

Aux yeux

Chacun, plein de mon nom, ne respirait que moi :,
Le fidèle, attentif aux règles de sa loi,

Fuyant des vanités la dangereuse amorce,

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Aux honneurs appelé, n'y montait que par force.
Ces cœurs, que les bourreaux ne faisaient point frémir,
A l'offre d'une mitre étaient prêts à gémir;

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Et, sans peur des travaux, sur mes traces divines
Couraient chercher le ciel au travers des épines.
Mais, depuis que l'Église eut, aux yeux des mortels,
De son sang en tous lieux cimenté ses autels,
Le calme dangereux succédant aux orages,
Une lâche tiédeur s'empara des courages.
De leur zèle brûlant l'ardeur se ralentit ;
Sous le joug des péchés leur foi s'appesantit.
Le moine secoua le cilice et la haire;
Le chanoine indolent apprit à ne rien faire;
Le prélat par la brigue, aux honneurs parvenu,
Ne sut plus qu'abuser d'un ample revenu,

Et, pour toutes vertus fit, au dos d'un carrosse,
A côté d'une mitre armorier2 sa crosse.

L'Ambition partout chassa l'Humilité;

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1 Courages est mis ici dans une signification très surannée, pour cœurs... Saint-Marc. -La réponse à cette critique est à la note du vers 156, Art poétique, chant rv, p. 264.

2 F. N. R. (en partie). Texte de 1674 à 1713 et non pas armoirier. Cette faute de français, dit M. de Saint-Surin, se trouve dans l'édition de M. Daunou (il parle sans doute de celle de 1809). Il aurait pu en citer plusieurs autres, telles que 1750, 1752, 1757, 1767, 1769, 1775, 1782, 1787, 1800 et 1803, P.; 1759, Gl., 1800, Did. (1er tirage); 1800, Léviz.; 1814, Verd.; 1816 et 1821, Avi; 1820, Da. et Tr. (dix-neuf éditions)... et cela lui était d'autant plus facile, qu'il y a quelques-unes de ces éditions, dont il relève souvent les fautes. Au reste, la faute a été encore commise dans des éditions postérieures à la sienne, telles que 1824, Kou...

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Dans la crasse du froc logea la Vanité. 1
Alors de tous les cœurs l'union fut détruite.
Dans mes cloîtres sacrés la Discorde introduite
Y bâtit de mon bien ses plus surs arsenaux;
Traîna tous mes sujets au pied des tribunaux.
En vain à ses fureurs j'opposai mes prières;
L'insolente, à mes yeux, marcha sous mes bannières. 50
Pour comble de misère, un tas de faux docteurs
Vint flatter les péchés de discours imposteurs;
Infectant les esprits d'exécrables maximes,
Voulut faire à Dieu même approuver tous les crimes.
Une servile peur tint lieu de charité;

Le besoin d'aimer Dieu passa pour nouveauté;
Et chacun à mes pieds, conservant sa malice,
N'apporta de vertu que l'aveu de son vice. 3
Pour éviter l'affront de ces noirs attentats,
Je vins chercher le calme au séjour des frimats, 5

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1 Vers 37 à 44. Ils sont supprimés au Boileau de la jeunesse.

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95. 60

2 V. E. Texte de 1633 à 1713, et non pas aux pieds, comme dans quelques éditions, telles que 1815, Lécr.; 1821, S.-S.; 1825, Dau.; 1830, A. L. 5 Inexactitude: on s'accuse de ses péchés aux pieds de l'église et non à ceux de la Piété. Saint-Marc. L'énergie de l'expression égale dans ce vers la profondeur de la pensée, surprise bien avant dans les derniers détours, où l'hypocrite croit avoir échappé à tous les regards. M. Amar.

Vers 51 à 58... Supprimés au Boileau de la jeunesse.

✦ V. E. Texte de 1683 à 1713, adopté dans les éditions de Souchay, 1735 et 1740, dans celles où on les a copiées, telles que 1745, 1752, 1757, 1766, 1767, 1768, 1782, 1787, 1789, etc., et dans celles de MM. Amar et de S.-Surin. Brossette a corrigé le texte et a mis j'allai, ce qu'ont imité presque tous les éditeurs suivans... J'allai est sans doute plus exact; mais 1. je vins était alors usité (on l'a dit, note 2, p. 371); 2. dans la plupart des éditions qui portent j'allai, on n'avertit pas, comme Brossette, Dumonteil, Saint-Marc, etc., que tel n'était point le texte de Boileau.

V, E. Texte de 1683 à 1713, suivi constamment jusque vers 1787.

TOME II.

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Sur ces monts entourés 1 d'une éternelle glace,

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Où jamais au printemps les hivers n'ont fait place;
Mais, jusque dans la nuit de mes sacrés déserts,

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Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs.
Aujourd'hui même encore une voix trop fidèle
M'a d'un triste désastre apporté la nouvelle :
J'apprends que, dans ce temple où le plus saint3 des rois
Consacra tout le fruit de ses pieux exploits,

Et signala pour moi sa pompeuse largesse,
L'implacable Discorde et l'infàme Mollesse,
Foulant aux pieds les lois, l'honneur et le devoir,
Usurpent en mon nom le souverain pouvoir.
Souffriras-tu, ma sœur, une action si noire?
Quoi! ce temple, à ta porte, élevé pour ma gloire,
Où jadis des humains j'attirais tous les vœux,
Sera de leurs combats le théâtre honteux!*
Non, non, il faut enfin que ma vengeance éclate :
Assez et trop long-temps l'impunité les flatte.

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M. Didot, sans en avertir, a mis en 1788, selon l'orthographe actuelle, frimas, ce qui a été imité aussi par presque tous les éditeurs modernes... mais avec ce changement le vers ne rime plus, ni pour les yeux, ni pour l'oreille.

1 Entourés est bien faible, dit M. Amar (1821). Ce reproche paraît hasardé à M. de S.-S. qui demande « si le mot le plus simple, le plus juste, n'est pas aussi le plus convenable, lorsqu'on décrit ces effets de la nature qu'il suffit de présenter à l'imagination pour la frapper d'étonnement. » Dans son édition de 1824, M. Amar a supprimé sa remarque.

2 V. E. Texte de 1683 à 1713, et non pas aux printemps, comme dans quelques éditions modernes, telles que 1781, 1788, 1789 et 1815, Did.; 1814, Bod...

3 Saint-Louis, fondateur de la Sainte-Chapelle. Boil., 1683 à 1713. 4 Voltaire (Henriade, chant I, vers 71 ) a aussi dit :

Mais

Théâtre alors sanglant des plus mortels combats.

voy. la réflexion de Clément à la note du vers 481, satire x.

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