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C'est

peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent.1
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu;
Que le début, la fin répondent au milieu;
Que d'un art délicat les pièces assorties

N'y forment qu'un seul tout de diverses parties; 2
Que jamais du sujet le discours s'écartant
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Craignez-vous pour vos vers la censure publique?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique.
L'ignorance toujours est prête à s'admirer. 3

180

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quand il avait achevé un ouvrage, il ne le publiait que long-temps après, afin d'avoir le loisir de le perfectionner... Bross. (Voy. tome I, Essai, no 164). 1 Horace, liv. II, ép. 1, v. 72.

Inter quæ

verbum emicuit si forte decorum, et Si versus paulo concinnior unus et alter; Injuste totum ducit venditque poema.

Ce qui rend ces deux vers (175 et 176) entièrement vicieux, c'est la disconvenance de leurs trois métaphores. Comment dans un ouvrage presque criblé de fautes, des traits d'esprit semés peuvent-ils pétiller de temps en temps? Le Brun (idem, Hoodghart, p. 122). — Je doute qu'on aperçoive soit la disconvenance, soit l'impossibilité dont parle Le Brun. A-t-il critiqué l'épigramme XXVIII, où Boileau dit :

Malgré son fatras obscur,

Brébeuf souvent étincelle,

et justifie par là un de ces vers entièrement vicieux ?
2 Vers 178 et 180. Horace, Art poétique, v. 152 et 23.

Primo ne medium, medio ne discrepet imum...

Denique sit quod vis simplex duntaxat et unum.

Ce précepte d'ensemble dans le tout, et de proportion dans les parties, est fondé sur la raison, et enseigné par tous les maîtres de l'art. Il s'applique à tous les ouvrages, de quelque genre qu'ils soient. M. Andrieux, Journ. Polytechn., p. 98.

3 Belle sentence. Brienne.

Horace, liv. II, ép. 11, v. 106:

Faites-vous des amis prompts à vous censurer; 1
Qu'ils soient de vos écrits les confidens sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l'arrogance d'auteur;
Mais sachez de l'ami discerner le flatteur.

190

Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue.2 Aimez qu'on vous conseille, et non pas qu'on vous loue.3 Un flatteur aussitôt cherche à se récrier :

Chaque vers qu'il entend le fait extasier.

4

Tout est charmant, divin: aucun mot ne le blesse; 195
Il trépigne de joie, il pleure de tendresse ; *
Il vous comble partout d'éloges fastueux.
La vérité n'a point cet air impétueux.

Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible :
Il ne pardonne point les endroits négligés,

Ridentur mala qui componunt carmina : verùm
Gaudent scribentes, et se venerantur....

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1 Tout ce que l'auteur dit du choix des amis (qui est tout d'Horace) et tout le reste du chant est bien. Desmarets, 85.

2 Horace, Art poétique, vers 424, 425 et 433.

Mirabor, si sciet inter

noscere mendaçem verumque beatus amicum...

Derisor vero plus laudatore movetur.

5 Si Boileau jouit, comme Molière, de l'avantage d'avoir fait le plus de vers proverbes, c'est qu'il rivalisait de raison et de jugement avec ce peintre habile des mœurs du temps. Le Brun.

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....

Clamabit enim : Pulchre, bene, recte!

Pallescet super his; etiam stillabit amicis

Ex oculis rorem; saliet, tundet pede terram.

La Fontaine avait déjà dit ( 1668; liv. I, fable du Loup et du Chien) :

Qui le fait pleurer de tendresse.

1

Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés,
Il réprime des mots l'ambitieuse emphase; 1
Ici le sens le choque, et plus loin c'est la phrase.
Votre construction semble un peu s'obscurcir:
Ce terme est équivoque; il le faut éclaircir.
C'est ainsi que vous parle un ami véritable. 2

Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable
A les protéger tous se croit intéressé,

205

210

Et d'abord prend en main le droit de l'offensé.
De ce vers, direz-vous, l'expression est basse.-
Ah! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d'abord.-Ce mot me semble froid;
Je le retrancherais. — C'est le plus bel endroit!·

Ce tour ne me plaît pas.-Tout le monde l'admire.3 215
Ainsi toujours constant à ne se point dédire,
Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique;

1 Ambitieuse..., belle épithète. Brienne.

2

Vers 199 à 207.. Horace, ib., 445 à 449, et liv. II, ép. 11, v. 111, etc.

Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes;

Culpabit duros; incomptis allinet atrum
Transverso calamo signum; ambitiosa recidet
Ornamenta; parum claris lucem dare coget;
Arguet ambigue dictum; mutanda notabit....
Audebit quæcumque parum splendoris habebunt,
Et sine pondere erunt, et honore indigna ferentur,
Verba movere loco, quamvis invita recedant.....
Luxuriantia compescet; nimis aspera sano
Lævabit cultu, virtute carentia tollet.

3 Vers 211 à 215. Tout ce dialogue est admirable par sa précision et sa rapidité. Le Brun. Ce passage et plusieurs autres montrent que Boileau entendait très bien l'art du dialogue. M. Roger, Théâtre classique, note 12 sur le Misanthrope.

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Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique.1
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N'est rien qu'un piège adroit pour vous les réciter. 2
Aussitôt il vous quitte; et content de sa muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse;
Car souvent il en trouve : ainsi qu'en sots auteurs, 225
Notre siècle est fertile en sots admirateurs;

Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans; 3
Et, pour finir enfin par un trait de satire,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire. *

1 Perse, satire I,

vers 55:

Et verum, inquis, amo; verum mihi dicito de me.

230

2 Vers 219 à 222. Ils regardent Quinault, selon Brossette.. Mais voy. à ce sujet l'article de ses erreurs, no 44, tome III.

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5 Hardiesse bien noble, surtout dans la bouche d'un auteur connu des courtisans les plus célèbres. Le Brun. Peut-on dire un courtisan célèbre..? Si la définition qu'en donnait le régent (un homme sans humeur et sans honneur) est exacte, l'épithète de Le Brun serait tout-à-fait impropre.

Vers devenu proverbe, même à l'étranger. Venturi, cité par Le Prévôt d'Exmes, Vies des écrivains étrangers, 1787, 109.

CHANT II.

TELLE qu'une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,1
Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamans,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornemens :
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,2
Doit éclater sans pompe une élégante idylle.

1 Vers 1 et 2. Proposition incomplète, car il y a un attribut sans sujet... qui est le sujet et devrait venir après bergère. Il faudrait : Telle qu'est une bergère... ou : Telle qu'une bergère qui... Journal des Savans, février 1723; Chapat, p. 82; D'Açarq, p. 19; Lett. à mad. Men., p. 17. La phrase est bonne parce qu'elle contient une double ellipse autorisée en poésie, comme on le voit dans ces beaux vers de Malherbe (p. 40, ode à Henri IV, 5o et 6o stroph.):

Tel qu'à vagues épandues

Marche un fleuve impérieux, etc.

Tel et plus épouvantable

S'en allait ce conquérant, etc.

Telle est en substance la réponse de Saint-Marc, adoptée par M. Daunou (Edit. de 1809), qui seulement (Edit. de 1825) trouve que le sens de la phrase de Malherbe est plus naturel.

Imitation ou copie de Segrais, du moins suivant Brienne, qui en cite ces deux vers:

Telle que se fait voir, de fleurs couvrant sa tête,

Une blonde bergère, au beau jour d'une fête.

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2 Humble n'est pas le mot propre : il faudrait simple... Saint-Marc, note du v. 409, ch. 111; Condillac, II, 125, liv. 11, ch. 1; D'Açarq, p. 19; Lett. à Men., p. 22. - Erreur: Humble ne veut pas dire bas, et le style simple n'est pas l'opposé du style élevé, comme le style humble, puisque le sublime même doit être simple. Clément, Lett. 1x, p. 115. M. Amar, (même vers 409, est de l'avis de Clément; et tel est aussi celui de Ménage (Langue, I, 551) qui certes n'était pas partisan de Boileau.

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