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C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur.
Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisoient les Troyens quand la pauvre Cassandre
Ouvroit la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres:

Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres, Et ne croyons le mal que quand il est venu.

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FABLE IX.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.

AUTREFOIS le rat de ville
Invita le rat des champs,
D'une façon fort civile,
À des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête;
Rien ne manquoit au festin :
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étoient en train.

A la porte de la salle

Ils entendirent du bruit :
Le rat de ville détale;
Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire:
Rats en campagne aussitôt;

Et le citadin de dire:
Achevons tout notre rôt.

• C'est assez, dit le rustique:

Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de roi.

Mais rien ne vient m'interrompre ;

Je mange tout-à-loisir.
Adieu donc. Fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre!

FABLE X.

LE LOUP ET L'AGNEAU.

La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l'allons montrer tout-à-l'heure.

UN agneau se désaltéroit

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchoit aventure Et que la faim en ces lieux attiroit.

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage? Dit cet animal plein de rage:

Tu seras châtié de ta témérité.

Sire, répond l'agneau, que votre majesté

Ne se mette pas en colère;

Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'elle; Et que, par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson.

Tu la troubles! reprit cette bête cruelle ;

Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurois-je fait si je n'étois pas né?
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère. -
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
Je n'en ai point.

C'est donc quelqu'un des tiens;

Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

FABLE XI.

L'HOMME ET SON IMAGE.

Pour M. le duc de la Rochefoucauld.

UN homme qui s'aimoit sans avoir de rivaux
Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde:
Il accusoit toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux

Présentoit par-tout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames:
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,

Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés:

Il s'y voit, il se fâche; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau:

Mais quoi! le canal est si beau
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plait d'entretenir. Notre ame, c'est cet homme amoureux de lui-même : Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui, Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes: Et quant au canal, c'est celui

Que chacun sait, le Livre des Maximes.

FABLE XII.

LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON
A PLUSIEURS QUEUES.

UN envoyé du grand-seigneur

Préféroit, dit l'histoire, un jour chez l'empereur, Les forces de son maître à celles de l'empire.

Un Allemand se mit à dire :

Notre prince a des dépendants

Qui, de leur chef, sont si puissants,
Que chacun d'eux pourroit soudoyer une armée.
Le chiaoux, homme de sens,

Lui dit: Je sais par renommée

Ce que chaque électeur peut de monde fournir;
Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J'étois en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d'une hydre au travers d'une haic.
Mon sang commence à se glacer:

Et je crois qu'à moins on s'effraie.

Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal:
Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.

Je rêvois à cette aventure,

Quand un autre dragon, qui n'avoit qu'un seul chef,
Et bien plus d'une queue, à

Me voilà saisi derechef

passer se présente.

D'étonnement et d'épouvante.

Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi:
Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre.
Je soutiens qu'il en est ainsi
De votre empereur et du nôtre.

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FABLE XIII.

LES VOLEURS ET L'ANE.

POUR un âne enlevé deux voleurs se battoient:
L'un vouloit le garder, l'autre le vouloit vendre.
Tandis que coups de poing trottoient,
Et que nos champions songeoient à se défendre,
Arrive un troisième larron,

Qui saisit maître Aliburon.

L'ane, c'est quelquefois une pauvre province:
Les voleurs sont tel et tel prince,

Comme le Transilvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise;
Un quart voleur survient qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

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