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DE

LA FONTAINE.

A

Mgr. LE DAUPHIN.

JE chante les héros dont Esope est le père ;
Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.

Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons:
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes;
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d'un prince aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,

Quelque autre te dira, d'une plus forte voix,
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois;
Je vais t'entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures;
Et si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entre pris.

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MAÎTRE Corbeau, sur un arbre perché,
Tenoit en son bec un fromage.
Maître renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage:

Hé! bon jour, monsieur du corbeau !
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ;
Et, pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit, et dit: Mon-bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Le corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendroit plus.

FABLE III.

LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BOEUF.

UNE grenouille vit un bœuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'étoit pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur;

Disant: Regardez bien, ma sœur,

Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore? Nenni. M'y voici donc?-Point du tout.-M'y voilà?Vous n'en approchez point. La chétive pécore

S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages;
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs;
Tout petit prince a des ambassadeurs;
Tout marquis veut avoir des pages.

FABLE IV.

LES DEUX MULETS.

DEUX mulets cheminoient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchoit d'un pas relevé,

Et faisoit sonner sa sonnette;
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en vouloit à l'argent,

m

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