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De renoncer dès-lors à la cruelle envie

De tenir au mort compagnie.

Madame, ce dit-elle, un penser m'est venu :
Qu'importe à votre époux que vous cessiez de vivre?
Croyez-vous que lui-même il fût homme à vous suivre,
Si par votre trépas vous l'aviez prévenu?
Non, madame; il voudroit achever sa carrière.
La nôtre sera longue encor si nous voulons.
Se faut-il, à vingt ans, enfermer dans la bière?
Nous aurons tout loisir d'habiter ces maisons.

On ne meurt que trop tôt : qui nous presse? attendons.
Quant à moi, je voudrois ne mourir
que ridée.
Voulez-vous emporter vos appas chez les morts?
Que vous servira-t-il d'en être regardée?
Tantôt, en voyant les trésors

Dont le ciel prit plaisir d'orner votre visage,
Je disois Hélas! c'est dommage!

Nous-mêmes nous allons enterrer tout cela!
A ce discours flatteur la dame s'éveilla.
Le dieu qui fait aimer prit son temps, il tira
Deux traits de son carquois : de l'un il entama
Le soldat jusqu'au vif; l'autre effleura la dame.
Jeune et belle, elle avoit sous ses pleurs de l'éclat ;
Et des gens de goût délicat

Auroient bien pu l'aimer, et même étant leur femme.
Le garde en fut épris: les pleurs, et la pitié,

Sorte d'amour ayant ses charmes,

Tout y fit; une belle, alors qu'elle est en larmes,
En est plus belle de moitié.

Voilà donc notre veuve écoutant la louange,

Poison qui de l'amour est le premier degré :

La voilà qui trouve à son gré

Celui qui le lui donne. Il fait tant qu'elle mange :
Il fait tant que de plaire, et se rend en effet

Plus digne d'être aimé que le mort le mieux fait :
Il fait tant enfin qu'elle change;

Et toujours par degrés, comme l'on peut penser,
De l'un à l'autre il fait cette femme passer.
Je ne le trouve pas étrange :

Elle écoute un amant, elle en fait un mari,
Le tout au nez du mort qu'elle avoit tant chéri.
Pendant cet hyménée, un voleur se hasarde
D'enlever le dépôt commis aux soins du garde :
Il en entend le bruit, il y court à grands pas;
Mais en vain, la chose étoit faite.

Il revient au tombeau conter son embarras,
Ne sachant où trouver retraite.
L'esclave alors lui dit, le voyant éperdu :
L'on vous a pris votre pendu?

Les lois ne vous feront, dites-vous, nulle grace?
Si madame y consent, j'y remédierai bien.
Mettons notre mort en la place,
Les passants n'y connoîtront rien.

La dame y consentit. O volages femelles!

La femme est toujours femme. Il en est qui sont belles ;
Il en est qui ne le sont pas :
S'il en étoit d'assez fidèles,

Elles auroient assez d'appas.

Prudes, vous vous devez défier de vos forces:
Ne vous vantez de rien. Si votre intention

Est de résister aux amorces,

La notre est bonne aussi : mais l'exécution

Nous trompe également; témoin cette matrone:
Et, n'en déplaise au bon Pétrone,

Ce n'étoit pas un fait tellement merveilleux,
Qu'il en dút proposer l'exemple à nos neveux.
Cette veuve n'eut tort qu'au bruit qu'on lui vit faire,
Qu'au dessein de mourir, mal conçu, mal formé;
Car de mettre au patibulaire

Le corps d'un mari tant aimé,

Ce n'étoit pas peut-être une si grande affaire;
Cela lui sauvoit l'autre : et, tout considéré,
Mieux vaut goujat debout, qu'empereur enterré.

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DE votre nom j'orne le frontispice
Des derniers vers que ma muse a polis.
Puisse le tout, ô charmante Philis,
Aller si loin, que notre los franchisse
La nuit des temps! Nous la saurons domter,
Moi par écrire, et vous par réciter.

Nos noms unis perceront l'ombre noire :
Vous régnerez long-temps dans la mémoire,

Après avoir régné jusques ici

Dans les esprits, dans les cœurs même aussi. Qui ne connoit l'inimitable actrice

Représentant ou Phèdre ou Bérénice,
Chimène en pleurs, ou Camille en fureur?
Est-il quelqu'un que votre voix n'enchante,
S'en trouve-t-il une autre aussi touchante,
Une autre enfin allant si droit au cœur?
N'attendez pas que je fasse l'éloge

De ce qu'en vous on trouve de parfait;
Comme il n'est point de grace qui n'y loge,
Ce seroit trop, je n'aurois jamais fait.
De mes Philis vous seriez la première,
Vous auriez eu mon ame tout entière,
Si de mes vœux j'eusse plus présumé ;
Mais, en aimant, qui ne veut être aimé?
Par ces transports n'espérant pas vous plaire,
Je me suis dit seulement votre ami,
'De ceux qui sont amants plus d'à-demi :
Et plût au sort que j'eusse pu mieux faire!
Ceci soit dit: venons à notre affaire.

Un jour Satan, monarque des enfers,
Faisoit passer ses sujets en revue.
Là, confondus, tous les états divers,
Princes et rois, et la tourbe menue,

Jetoient maint pleur, poussoient maint et maint cri,
Tant que Satan en étoit étourdi.

Il demandoit en passant à chaque ame :

Qui t'a jetée en l'éternelle flamme?
L'une disoit, Hélas! c'est mon mari :
L'autre aussitôt répondoit, C'est ma femme.
Tant et tant fut ce discours répété,
Qu'enfin Satan dit en plein consistoire :
Si ces gens-ci disent la vérité,
Il est aisé d'augmenter notre gloire.
Nous n'avons donc qu'à le vérifier.
Pour cet effet, il nous faut envoyer
Quelque démon plein d'art et de prudence,

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