Vous, qui m'avez donné ce qu'il a de solide, Et dont la modestie égale la grandeur, Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur La louange la plus permise,
La plus juste et la mieux acquise; Vous enfin, dont à peine ai-je encore
Que votre nom reçût ici quelques hommages, Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages Comme un nom qui, des ans et des peuples connu, Faithonneur à la France, en grands noms plus féconde Qu'aucun climat de l'univers,
Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde Que vous m'avez donné le sujet de ces vers.
LE MARCHAND, LE GENTILHOMME, LE PÂTRE ET LE
QUATRE chercheurs de nouveaux mondes, Presque nus, échappés à la fureur des ondes, Un trafiquant, un noble, un pâtre, un fils de roi, Réduits au sort de Bélisaire * Demandoient aux passants de quoi
Pouvoir soulager leur misère.
De raconter quel sort les avoit assemblés, Quoique sous divers points tous quatre ils fussent nés, C'est un récit de longue haleine.
*Bélisaire étoit un grand capitaine, qui, ayant commandé les armées de l'empereur et perdu les bonnes graces de son maître, tomba dans un tel point de misère, qu'il demandoit l'aumône sur les grands chemins.
Ils s'assirent enfin au bord d'une fontaine : Là, le conseil se tint entre les pauvres gens. Le prince s'étendit sur le malheur des grands : Le pâtre fut d'avis qu'éloignant la pensée De leur aventure passée,
Chacun fit de son mieux, et s'appliquât au soin De pourvoir au commun besoin.
La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle son homme? Travaillons: c'est de quoi nous mener jusqu'à Rome. Un pâtre ainsi parler! Ainsi parler? croit-on Que le ciel n'ait donné qu'aux têtes couronnées De l'esprit et de la raison;
de tout berger, comme de tout mouton, Les connoissances soient bornées?
L'avis de celui-ci fut d'abord trouvé bon Par les trois échoue's aux bords de l'Amérique. L'un, c'étoit le marchand, savoit l'arithmétique : A tant par mois, dit-il, j'en donnerai leçon. J'enseignerai la politique,
Reprit le fils de roi. Le noble poursuivit : Moi, je sais le blason; j'en veux tenir école. Comme si, devers l'Inde, on eût eu dans l'esprit La sotte vanité de ce jargon frivole!
Le pâtre dit: Amís, vous parlez bien : mais quoi! Le mois a trente jours; jusqu'à cette échéance Jeûnerons-nous, par votre foi?
Vous me donnez une espérance Belle, mais éloignée; et cependant j'ai faim. Qui pourvoira de nous au diner de demain? Ou plutôt sur quelle assurance Fondez-vous, dites-moi, le souper d'aujourd'hui ? Avant tout autre c'est celui
Dont il s'agit. Votre science
Est courte là-dessus : ma main y suppléera. A ces mots le pâtre s'en va
Dans un bois : il y fit des fagots, dont la vente, Pendant cette journée et pendant la suivante, Empêcha qu'un long jeûne à la fin ne fit tant Qu'ils allassent là-bas exercer leur talent.
Je conclus de cette aventure
Qu'il ne faut pas tant d'art pour conserver ses jours: Et, grace aux dons de la nature,
La main est le plus sûr et le plus prompt secours.
Eut, ce dit-on, par mainte aubaine, Force bœufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois; Force moutons parmi la plaine.
Il naquit un lion dans la forêt prochaine. Après les compliments et d'une et d'autre part, Comme entre grands il se pratique,
Le sultan fit venir son visir le renard,
Vieux routier et bon politique.
Tu crains, ce lui dit-il, lionceau mon voisin :
Son père est mort, que peut-il faire? Plains plutôt le pauvre orphelin. Il a chez lui plus d'une affaire, Et devra beaucoup au Destin
S'il garde ce qu'il a, sans tenter de conquête. Le renard dit, branlant la tête :
Tels orphelins, seigneur, ne me font point pitié; Il faut de celui-ci conserver l'amitié,
Ou s'efforcer de le détruire
Avant que la griffe et la dent
Lui soit crue, et qu'il soit en état de nous nuire. N'y perdez pas un seul moment.
J'ai fait son horoscope: il croîtra
Ce sera le meilleur lion
Pour ses amis, qui soit sur terre : Tâchez donc d'en être; sinon
Tâchez de l'affoiblir. La harangue fut vaine. Le sultan dormoit lors; et dedans son domaine Chacun dormoit aussi, bêtes, gens; tant qu'enfin Le lionceau devint vrai lion. Le tocsin Sonne aussitôt sur lui; l'alarme se promène De toutes parts; et le visir, Consulté là-dessus, dit avec un soupir:
Pourquoi l'irritez-vous ? la chose est sans remède En vain nous appelons mille gens à notre aide; Plus ils sont, plus il coûte, et je ne les tiens bons Qu'à manger leur part des moutons. Appaisez le lion: seul il passe en puissance Ce monde d'alliés vivant sur notre bien. Le lion en a trois qui ne lui coûtent rien, Son courage, sa force, avec sa vigilance. Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton S'il n'en est pas content, jetez-en davantage: Joignez-y quelque bœuf; choisissez, pour ce don, Tout le plus gras du pâturage.
Sauvez le reste ainsi. Ce conseil ne plut pas.
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