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FABLE XIII.

LES LOUPS ET LES BREBIS.

APRÈS mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'étoit apparemment le bien des deux partis :
Car si les loups mangeoient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisoient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages :

Ils ne pouvoient jouir, qu'en tremblant, de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des ôtages ;
Les loups, leurs louveteaux ; et les brebis, leurs chiens
L'échange en étant fait aux formes ordinaires,

Et réglé par des commissaires,

Au bout de quelque temps que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits, et friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étoient pas,

Etranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.
Ils avoient averti leurs gens secrètement.

Les chiens, qui, sur leur foi, reposoient sûrement,
Furent étranglés en dormant:

Cela fut sitôt fait, qu'à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux, un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi ;

J'en conviens, mais de quoi scrt-elle
Avec des ennemis sans foi?

FABLE XIV.

LE LION DEVENU VIEUX.

LE lion, terreur des forêts,

Chargé d'ans, et pleurant son antique prouesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,

Devenus forts par sa foiblesse :

Le cheval s'approchant lui donne un coup de pied
Le loup un coup de dents, le bœuf un coup de corne.
Le malheureux lion, languissant, triste et morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié.

Il attend son destin sans faire aucunes plaintes;
Quand voyant l'âne même à son antre accourir:
Ah! c'est trop, lui dit-il : je voulois bien mourir;
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.

FABLE XV.

PHILOMÈLE ET PROGNÉ.

AUTREFOIS Progné l'hirondelle

De sa demeure s'écarta,

Et loin des villes s'emporta

Dans un bois où chantoit la pauvre Philomèle.
Ma sœur, lui dit Progné, comment vous portez-vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue:
Je ne me souviens point que vous soyez venue,
Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous.
Dites-moi, que pensez-vous faire?

Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire?
Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux?
Progné lui repartit: Eh quoi! cette musique,
Pour ne chanter qu'aux animaux,

Tout au plus à quelque rustique!

Le désert est-il fait pour des talents si beaux?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles ;
Aussi-bien, en voyant les bois,

Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois
Parmi des demeures pareilles

Exerça sa fureur sur vos divins appas.

Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage

Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas :
En voyant les hommes, hélas !
Il m'en souvient bien davantage.

FABLE XVI.

LA FEMME NOYÉE.

Je ne suis pas de ceux qui disent: Ce n'est rien, C'est une femme qui se noie.

Je dis que c'est beaucoup et ce sexe vaut bien Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie.

Ce que j'avance ici n'est point hors de propos,
Puisqu'il s'agit, en cette fable,

D'une femme qui dans les flots

Avoit fini ses jours par un sort déplorable.
Son époux en cherchoit le corps
Pour lui rendre, en cette aventure,
Les honneurs de la sépulture.
I arriva que sur les bords

Du fleuve auteur de sa disgrace
Des gens se promenoient ignorant l'accident.
Ce mari donc leur demandant

S'ils n'avoient de sa femme aperçu nulle trace:
Nulle, reprit l'un d'eux; mais cherchez-la plus bas,
Suivez le fil de la rivière.

Un autre repartit: Non, ne le suivez pas,
Rebròussez plutôt en arrière.

Quelle que soit la pente et l'inclination
Dont l'eau par sa course l'emporte,
L'esprit de contradiction

L'aura fait flotter d'autre sorte.

Cet homme se railloit assez hors de saison.
Quant à l'humeur contredisante,

Je ne sais s'il avoit raison:

Mais, que cette humeur soit ou non
Le défaut du sexe et sa pente,
Quiconque avec elle naitra
Sans faute avec elle mourra,
Et jusqu'au bout contredira,
Et, s'il peut, encor par-delà.

FABLE XVII.

LA BELETTE ENTRÉE DANS UN GRENIER.

DAMOISELLE belette, au corps long et fluet,
Entra dans un grenier par un trou fort étroit:
Elle sortoit de maladie.

Là, vivant à discrétion,

La galante fit chère lie,

Mangea, rongea : Dieu sait la vie,

Et le lard qui périt en cette occasion!
La voilà, pour conclusion,
Grasse, maflue et rebondie.

Au bout de la semaine, ayant dîné son sou,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,
Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise.
Après avoir fait quelques tours,

C'est, dit-elle, l'endroit; me voilà bien surprise:
J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours.

Un rat, qui la voyoit en peine,

Lui dit : Vous aviez lors la panse un peu moins pleine,
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.
Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres :
Mais ne confondons point, par trop approfondir,
Leurs affaires avec les vôtres.

FABLE XVIII.

LE CHAT ET LE VIEUX RAT.

J'AI lu, chez un conteur de fables,
Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des chats,
L'Attila, le fléau des rats,

Rendoit ces derniers misérables:

J'ai lu, dis-je, en certain auteur,
Que ce chat exterminateur,

Vrai Cerbère, étoit craint une lieue à la ronde:
Il vouloit de souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu'on suspend sur un léger appui,
La mort-aux-rats, les souricières,

N'étoient que jeux au prix de lui.
Comme il voit que dans leurs tanières
Les souris étoient prisonnières,

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