Page images
PDF
EPUB

393

A M. LE MARQUIS DE SEIGNELAI,

SECRETAIRE D'ETAT.

ANGEREUX Ennemi de tout mauvais Flat

DAN Greur,

SEIGNELAI, c'eft en vain qu'un ridicule Auteur, Prêt à porter ton nom de l'Ebre jusqu'au Gange, Croit te prendre aux filets d'une fotte louange. 5 Auffi-tôt ton Esprit, prompt à fe revolter,. S'échappe, & rompt le piège où l'on veut l'arrêter: Il n'en eft pas ainfi de ces Esprits frivoles,

[ocr errors]

Que

L'Auteur aiant attaqué fortement l'Erreur & le Menfonge dans fes précédens Ouvrages, il ne lui reftoit plus que d'infpirer l'amour de la Verité, en la reprefentantavec tous les avantages. C'eft ce qu'il a fait dans cette Epitre qui contient l'Eloge du Vrai, & dans laquelle il fait voir que Rien n'est beau que le Vrai, & que le Vrai feul eft aimable. Ce Poëte a fait briller ici tout fon génie, en traitant une matière fi conforme à les fentimens, & il a fû réunir en cette Pièce, tout le fublime de la Morale avec toute la douceur de la Poëfie. Elle a été compofee au commencement de l'année 1675. avant l'Epître précédente. Elle eft adreffée à Mr. JEAN BAPTISTE COLBERT, Marquis de SIGNELAY, Secretaire d'Etat, fils aîné de Mr. Colbert..

VERS 3. De l'Ebre, jusqu'au Gange. ] Expreffion commune & afitée parmi les Poetes médiocres.. L'Ebre, Rivière d'Espagne. Le Gange Rivière des Indes.

[merged small][ocr errors][merged small]

Que tout Flatteur endort au fon de ses paroles;

Qui dans un vain Sonnet placez au rang des Dieux, 10 Se plaifent à fouler l'Olympe radieux ; ·

Et fiers du haut étage où La Serre les loge,.
Avalent fans dégoût le plus groffier éloge.
Tu ne te répais point d'encens à fi bas prix.
Non que tu fois pourtant de ces rudes Esprits ·
15 Qui regimbent toujours, quelque main qui les flate;
Tu fouffres la louange adroite & délicate,

Dont la trop forte odeur n'ébranle point les fens.
Mais un Auteur, novice à répandre l'encens,

Sou

VERS 11. Et fiers du haut étage où La Serre les loge:] É▲ SERRE, fade Panégyrifte, qui se flatoit d'être fort capa ble de compofer des Eloges, fuivant l'usage où l'on étoit en ce tems-là de faire des Portraits en Vers ou en Profe Mr. de la Serre, dit un Auteus * peu célèbre, s'eft trouvé très-propre à ces fortes d'Onvrages, & il a un génie particulier pour cela, foit qu'il leur laisse la forme d'Éloges, ou qu'il les in fère dans les Epitres dédicatoires de fes Livres. Le même Auteur reconnoit néanmoins qu'il en faut retrancher les pensées trop hardies, on trop irrégulières, & les paroles peu convenables c'est à dire, que La Serre auroit été un Ecrivain passable, s'il n'avoit pas péché contre la juftesse de la Ponsér, & con-tre la régularité de l'Expreffion.

IMIT. Vers 13. Qui regimbent toujours, quelque wain qui les flate. ] Horace; L. II. Sat. L-200

Cni male fi palpire, recalcitrat undique tmus,'

VERS 20. Donne de l'enconsoir aw ́travers du visage.] CE veis eft devenu Proverbe.

VERS 21. Va Lower Monterey d'Ondenarde forcé] Après la Bataille de Senef gagnée par le Prince de Condé, les Alliez voulurent effacer la honte de leur défaite par la prise de uelqu'une de nos villes. Le Comte de Monterey, Gen

*SoaxL, Bibliothéque Frangeife » 148v1575

[ocr errors]

Souvent à fon Heros, dans un bizarre Ouvrage, 20 Donne de l'encensoir au travers du visage:

Va louer Monterey d'Oudenarde forcé, Ou vante aux Electeurs Turenne repouffé Tout éloge impofteur bleffe une Ame fincère. Si, pour faire fa cour à ton illuftre Pere, 25·SEIGNELAI, quelque Auteur d'un faux zèle emporté Au lieu de peindre en lui la noble activité,, La folide vertu, la vafte intelligence, · Le zèle pour fon Roi, l'ardeur, la vigilance;

La conftante équité, l'amour pour les beaux Arts 30 Lui donnoit les vertus d'Alexandre ou de Mars ;

Er

verneur des Païs1 Bas pour l'Espagne; & Général de l'Armée Espagnole, affiègea Oudenarde. Mais le Prince de Condé marcha contre lui, & l'obligea de fever le Siègo · avec beaucoup de précipitation, le 12, de Septembre, 1674. JEAN DOMINIQUE DE MONTEREY étoit fils de Dom Louï MENDEZ DE HARO, premier Miniftre du Roi d'Espagne, & fon Plénipotentiaire aux Conférences de la Paix des Pyrénées.✨

VERS 22. On vante aux Electeurs Turenne repoussé.] Cen vers, auffi bien que le précédent, eft une contre-vérité. Celui-ci défigne la bataille de Turkein en Alface gagnée par * Mr. de TUREN N x contre les Allemans, tes, de Janvier, ~1675.

IMIT. Vers 24: Si, pour faire fa cour à ton illuftre Pere, Ce vers, & les dix fuivans sont imitéz d'Horace, Epite XVI. du Livre I. 25. ·

Si quis bella tibi terrâ pugnata ̧ marique ?

Dicat, & his verbis váenas permulcéat aures, &�·

Augufti laudes agnofcere poffis."

Limo paveris fapiens emendatusque vocarių ·

Et, , pouvant justement l'égaler à Mecène, Le comparoit au fils de Pélée ou d'Alcmène, · Ses yeux d'un tel difcours foiblement éblouïs, Bien-tôt dans ce Tableau reconnoîtroient Lours; 35 Et, glaçant d'un regard la Mufe & le Poëte, Imposeroient filence à fa verve indiscrete:

Un cœur noble eft content de ce qu'il trouve en lui, Et ne s'applaudit point des qualitez d'autrui. Que me fert en effet, qu'un Admirateur fade! 40 Vante mon embonpoint, fi je me fens malade; Si dans cet inftant même un feu féditieux

Fait bouillonner mon fang, & petiller mes yeux ? Rien n'eft beau que le Vrai. Le Vrai seul eft aimable. Il doit regner par tout & même dans la Fable: 45 De fiction l'adroite fauffeté

toute

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la Vérité.

Sais-tu pourquoi mes Vers font lûs dans les Pro

vinces;

Sont:

IMIT. Vers 39. Que me fert en effet &c.] Horace dans la même Epitre XVI. 19.

· New, fi te populus fanum, re&éque valentem-
Dicitet, occultam febrem, sub tempus edendi,
Diffimules: donec manibus tremor incidat antis.

VERS 43. Rien n'est beau que le Vrai. Le Vrai seul est aima-ble.] Craft le fujet de cette Epître.

VERS 62. C'est là ce que n'ont point Jonas, ni Childebrand.] Poëmes héroïques. Voïez le vers 91. de la Satire IX. & le vers 242. du Chant troisième de l'Art poëtique,

3

Sont recherchez du Peuple, & reçûs chez les Princes Ce n'eft pas que leurs fons agréables, nombreux, 50 Soient toujours à l'oreille également heureux: \ Qu'en plus d'un lieu le fens n'y gêne la mefure, Et qu'un mot quelquefois n'y brave la céfure. Mais c'eft qu'en eux le Vrai, du Menfonge vainqueur, Par tout fe montre aux yeux, & va faifir le cœur 55 Que le Bien & le Mal y font prisez au juftë;

Que jamais un Faquin n'y tient un rang augufte;! Et que mon cœur toujours conduifant mon esprit, Ne dit rien aux Lecteurs, qu'à foi-même il n'ait dit. Ma penfée au grand jour par tout s'offre & s'expofe; 60 Et mon Vers, bien ou mal, dit toûjours quelque chofe.

C'eft par là quelquefois que ma Rime furprend.
C'eft-là ce que n'ont point Jonas ni Childebrand;
Ni tous ces vains amas de frivoles fornettes,
Montre, Miroir d'Amours, Amitiez, Amourettes,

Dont

AVERS 64 Montre. ] La Montre, petit Ouvrage mêlé de Vers & de Profe, par le Sr. de BONE CORSE, de Marfeille, qui a exercé la Charge de Conful de la Nation Françoife au Grand-Caire. 11 envoïa cet Ouvrage à Mr. de Scu deri qui le fit imprimer à Paris en 1666. Quelques années après, Mr. Despréaux plaça la Montre parmi les Livres qui fervent au combat des Chanoines dans le cinquième Chant du Lutrin:

Lun tient Edit d'amour, l'autre en faifit la Mentre.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »