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Que le fafte éblouït d'un bonheur apparent. 85 L'Argent, l'Argent, dit-on; fans lui tout eft ftérile. La Vertu fans l'Argent n'eft qu'un meuble inutile. L'Argent en honnête homme érige un fcélérat. L'Argent feul au Palais peut faire un Magistrat. Qu'importe qu'en tous lieux on me traite d'infame, 90 Dit ce Fourbe fans foi, fans honneur, & fans ame;

Dans mon coffre, tout plein de rares qualitez, J'ai cent mille vertus en Louis bien comptez. Eft-il quelque talent que l'Argent ne me donne? C'eft ainfi qu'en fon cœur ce Financier raisonne. 95 Mais pour moi, que l'éclat ne fauroit decevoir, Qui mets au rang des biens l'Esprit & le Savoir, J'eftime autant Patru, même dans l'indigence, Qu'un Commis engraiffé des malheurs de la France,

Non que je fois du goût de ce Sage infenfé, 100 Qui d'un argent commode esclave embarraflé,

Je fai que, dans une ame où manque la Sagesse,
Le bonheur n'est jamais un fruit de la Richelle.

Jet

Mais après la mort de Mr. Patru, qui arriva au mois de Janvier 1681, l'Auteur fupprima ces derniers vers, & mit les deux autres à la place

VERS 99

Ibid. J'eftime autani Patru &c.] OLIVIER PATRU, fameux Avocat, & le meilleur Grammairien de notre Siècle. Voïez la Remarque fur le vers 123. de la Satire I. De ce Sage infenfé.] CRATE'S, Philofophe Cynique. Horace dit à peu près la même chofe du Philofophe Ariftippe, qui voïageant dans la Libye, ordonna à fes Esclaves de jetter son Argent qu'ils portoient ; afin

d'aller

Jetta tout dans la mer, pour crier, Je fuis libre. De la droite Raison je fens mieux l'équilibre : Mais je tiens qu'ici-bas, fans faire tant d'apprêts, La Vertu fe contente, & vit à peu de frais. 105 Pourquoi donc s'égarer en des projets fi vagues? Ce que j'avance ici, croi-moi, cher GUILLERAGUES, Ton Ami dès l'enfance ainfi l'a pratiqué.

Mon Pere, foixante ans au travail appliqué, En mourant me laiffa, pour rouler & pour vivre, 110 Un revenu léger, & fon exemple à fuivre.

Mais bien-tôt amoureux d'un plus noble métier, Fils, frere, oncle, coufin, beau-frere de Greffier, Pouvant charger mon bras d'une utile liaffe; J'allai loin du Palais errer fur le Parnaffe. 115 La Famille en pâlit, & vit en fremiffant,

Dans

d'aller plus vite. Voiez la Note fuivante.
IMIT. Ibid. De ce Sage infenfe &c.] Horace, L. II. Cat.
III. 100.

Gracus Ariftippus, qui fervos projicere aurum

In media juffit Libyâ: quia tardiùs irent

Propter onus fegnes.

VERS 108. Mon Pere. ]G rLLES BOILEAU, Greffier du Confeil de la Grand' Chambre: également recommandable par fa probité, & par fon experience dans les affaires. 11 mourut en 1657. âgé de 73. ans.

VERS 109. En mourant me laiffa &c.] Environ douze mille Ecus de Patrimoine, dont notre Auteur mit environ le ters à fond-perdu fur l'Hôtel de Ville de Lyon, qui lui fie

unc

Dans la poudre du Greffe un Poëte naiffant.
On vit avec horreur une Mufe effrénée
Dormir chez un Greffier la graffe matinée.
Dès-lors à la richeffe il fallut rénoncer.
120 Ne pouvant l'acquerir, j'appris à m'en paffer;
Et fur tout redoutant la baffe fervitude,

La libre Vérité fut toute mon étude.

Dans ce métier funeste à qui veut s'enrichir, Qui l'eût crû, que pour moi le Sort dût fe fléchir ? 125 Mais du plus grand des Rois la bonté fans limite, Toujours prête à courir au devant du Mérite, Crut voir dans ma franchise un mérite inconnu, Et d'abord de fes dons enfla mon revenu.

La brigue, ni l'envie à mon bonheur contraires, 130 Ni les cris douloureux de mes vains Adverfaires,

Ne

une rente de quinze cens livres pendant fa vie. Mais fon bien s'augmenta confiderablement dans la fuite, par des fucceffions, & par des penfions que le Roi lui donna. Frere, Oncle, Confin, Beau-frere de Greffier.] Frere: de JEROME BOILEAU fon aîné, qui a poffedé la Charge du Pere. 11 mourut au mois de Juillet,

VERS 112.

1679.

Oncle: de Mr. DONGOIS, Greffier de l'Audience à la Grand' Chambre; fils d'une Soeur de l'Auteur.

:

Confin du même Mr. DON GOIS, qui a époufé une coufine germaine de notre Poëte.

Beau-frere: de Mr SIRMOND qui a eû la même Charge de Greffier du Confeil de la Grand' Chambre.

VERS 118. La graffe matinée. ] Il étoit un grand dormeur, particulièrement dans fa jeuneffe: car il fe levoit ordinai. rement fort tard, & dormoit encor l'après-dinée.

YERS 130. Ni les cris douloureux de mes vains adverfaires.]

Le

Ne pûrent dans leur course arrêter fes bienfaits.
C'en eft trop: mon bonheur a paffé mes fouhaits.
Qu'à fon gré deformais la Portune me jouë,

On me verra dormir au branle de fa rouë. 35 Si quelque foin encore agite mon repos, C'est l'ardeur de louër un fi fameux Heros. Ce foin ambitieux me tirant par 1 oreille, La nuit, lorsque je dors, en furfaut me réveille; Me dit que ces bienfaits, dont j'ofe me vanter, 140 Par des Vers immortels ont dû fe mériter.

C'eft là le feul chagrin qui trouble encor mon ame, Mais fi dans le beau feu du zèle qui m'enflame, Par un Ouvrage enfin des Critiques vainqueur, Je puis fur ce fujet fatisfaire mon cœur; 145 GUILLERAGUES, plain-toi de mon humeur légère, Si jamais entraîné d'une ardeur étrangère, Ou d'un vil interêt reconnoiffant la loi,

Je cherche mon bonheur autre part que chez moi.

Le Roi aïant donné une penfion de deux mille livres à l'Auteur, un Seigneur de la Cour, qui n'aimoit pas Mr. Despréaux, s'avifa de dire, que bien-tôt le Roi donneroit des penfions aux voleurs de grand Chemin Le Roi fut cette réponse, & en fut fort irrité. Celui qui l'avoit faite fur obligé de la defavoüer.

IM I T. Vers 133. Qu'à fon gré deformais la Fortune me jouë: ] CORNEILLE, Illufion Comique, Acte V. Scene V.

Ainfi de notre espoir la Fortune fe jouë :

Tout s'élève on s'abaisse au branle de fa rouë.

A M. DE LAMOIGNON,

AVOCAT GENERAL.

357

UI,LAMOIGNON, je fuis les chagrins de la
Ville,

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Et contre eux la Campagne est mon unique azile. Du Lieu qui m'y retient veux-tu voir le Tableau? C'est un petit Village, ou plutôt un Hameau, 5 Bâti fur le penchant d'un long rang de collines,

D'où

CEtte Epitre a été compofée en l'année 1677. après l’E

pitre VII. l'Auteur étant allé paffer quelque tems à Hautile, petite Seigneurie près de la Roche-Guion, qui aparrenoir à Mr. Dongois fon Neveu. Mr. de L AMO I

NON le Fils, Avocat Général, lui écrivit une Lettre par laquelle il lui reprochoit fon long lejour à la Campagne & P'exhortoit de devenir à Paris Mr. Despre aux lui envoïa cette Epitre, dans laquelle il décrit les douceurs dont il jouit à la Campagne, & les chagrins qui l'attendent à la Ville. On peut lire la Satire fizième d'Horace, Livre fe cond, qui eft fur le même fujet. Mr. CHRESTIEN FRANÇOIS DE LAMOIGNON, à qui cette Epitre eft adreffée, étoit né le 26. de Juin, 1644 & il mourut le 7. d'Août, 1709. après s'être fait admirer fucceffivement dans les Charges d'Avocat Général, & de Freudent à Mortier.

VERS 4 C'est un petit Village, &c.] Hautile, près de la Roche-Guion, du côté de Mante à treize lieuës de Paris. Dans toutes les éditions il y avoit à la marge: Hautile, proche la Roche Guion. Je fis remarquer à l'Auteur cette confonance vicieufe, proche la Reche, & il la corrigea dans fa dernière édition de 1701. La defcription qu'il a faite de ce Village & des environs, eft très éxa&ç & d'après nature.

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