>> pas inviter nos Poëtes à l'imiter? ou plu» tôt n'est-ce pas ériger des autels au mau» vais goût, plus près qu'on ne penfe peut» être de ramener l'ancienne barbarie des » fiécles d'ignorance, & d'infecter de fes >> groffieres influences l'imagination trop fa»cile à féduire de jeunes littérateurs? En » effet, recommander la lecture de la Phar» fale aux jeunes gens; c'eft, fuivant moi, » leur dire renoncez pour toujours à la » jufteffe, au goût; préférez la lueur men»fongere des Philofophes qui vous égare»ront, à la lumiere plus conflante, plus >> fure des flambeaux qui ont guidé les pas » de ceux qui, avant vous, ont marché dans » la cartiere où vous voulez entrer. Ne cher» chez point dans la nature vos images ni » vos defcriptions; & fur-tout gardez-vous. » de peindre les objets tels qu'ils font. >> Outrez tout, parlez de tout avec la même >> emphafe; prêtez du furnaturel aux plus » petites circonstances, & donnez aux ac» tions les plus fimples, aux faits les moins » intéreffans tant de noblesse, de grandeur, » qu'ils deviennent étonnans, merveilieux, incroyables. Ne racontez jamais; tonnez » fans ceffe, éclatez, foudroyez. C'eft ainfi que Lucain, trop long-temps méconnu, a mérité, feize cens ans après fa mort, de » paffer pendant quelque jours pour le meilleur des Poëtes. Lucain a fans doute l'efprit grand & élevé. 5 : C'est un Ecrivain plein de feu, & tout brillant de penfées mais il eft peu judicieux. Il abuse trop fouvent de la vivacité de fon efprit. Ses emportemens font continuels fon génie ne connoît point de loix. Il lui manque ce qui conftitue parfaitement le grand homme, la folidité du jugement, le naturel dans les penfées, l'art de rejetter les ornemens fuperflus, & de frapper toujours au but. Il eft trop ardent & trop enflé. Il obferve rarement la bienféance des caracteres il fait parler un fimple Nautonier comme Céfar & Pompée. Il paffe rapidement des objets les plus étonnans à des inepties & des puérilités. Ses expreffions font fouvent vuides de fens. En un mot, plufieurs perfonnes ne veulent lui accorder ni la palme de la Poëfie, ni celle de l'Eloquence, ni celle de l'Hiftoire. Ecoutons ie jugement d'un homme de Lettres, dont l'autorité eft très refpectable en matiere de goût & de critique *. » Lu» cain n'a connu ni la nature de l'épopée, >> ni le caractere & les loix de la fable, ou » de l'invention poëtique, ni les bornes de la fiction. Dans un fujet configné, par>> tout, foit dans les monumens publics, >> foit dans la mémoire des Romains, par » une tradition prefque orale, Lucain ne *M. de QUERLON. >> pouvoit plus faire ufage des grandes machines de l'épopée, & faire intervenir à » fon gré les Dieux; mais la fiction, qu'il n'avoit pas la liberté de répandre dans » l'économie de fon Poëme, il l'a fait en>>trer dans les détails. C'eft donc là qu'il » excede par tout la vraisemblance que la >> fiction ne difpenfe pas d'obferver, & qu'il » fait le plus étrange abus du merveilleux, » en le prodiguant fans néceffité avec un excès qu'aucun Romancier, même Efpagnol, ne s'eft peut-être permis." Le »Si les calamités de Rome font annoncées par des prodiges, il les accumule avec » une telle profufion, qu'il femble avoir >>compilé tous les écrits des augures. » camp de Céfar en Efpagne eft inondé par une forte pluie qui l'incommode beau» coup, mais dont Cefar parle lui-même » comme d'un événement ordinaire. Cette » pluie, dans Lucain, reffemble au déluge » de Deucalion. Il renchérit prefque fur » Ovide. S'il fait la defcription de l'hi» ver dans un climat tempéré, il raffemble >> tous les frimats & toutes les glaces du » Pôle Arctique. L'été fuccede; on eft » tranfporté fous le ciel le plus brûlant » de la Zone Torride. La bourrafque qu'effuye Cefar fur la mer, dans le foible ef quif qui le portoit lui & fa fortune, eft, » fous le pinceau de Lucain, la plus horrible tempête dont on ait l'idée. Dans le voyage de Caton en Afrique tous les » ferpens de la terre, comme s'ils s'étoient » donné rendez-vous, font raffemblés fous » fon paffage. Enfin, géographie, naviga» tion, aftronomie, magie, phyfique, hif>>toire naturelle, médecine, &c. Lucain >> fait tout, comme Homère; mais il outre >> tout, & ne met prefque rien à fa place. » Ce n'est là qu'une partie des défauts » qu'il y auroit à remarquer dans fon Poë» me. Il en eft de beaucoup plus graves, » & qu'on ne peut effacer d'un trait de » plume. »Toute l'hiftoire, dans la Pharfale, eft ridiculement altérée. Tous les caracteres, » à commencer par ceux de Céfar & de Pompée, font totalement défigurés, chan»gés, traveftis. Par-tout eft marqué fans » ménagement la partialité la plus révol» tante & la plus abfurde contre César. Il »eft toujours repréfenté comme le plus » grand fcélérat qu'ait produit Rome. » La Philofophie, dont on lui fait hon» neur, eft fans doute une belle partie: mais » c'eft peut-être encore un défaut dans fon » Poëme. La philofophie d'Homère, bien » démêlée par Horace, n'eft pas celle de » Chrifippe & de Crantor: auffi n'eft- elle » pas difcoureufe; celle de Lucain eft le >> pur ftoïcifime qu'il avoit puifé à l'école de >>>fon oncle. » Concluons que quand on a biendiscuté Lucain, fon mérite paroît fe réduire à faire penfer fortement quelques-uns de les perfonnages, à leur donner de la fierté, » de l'élévation & de l'énergie ; c'est-à-dire, » à bien deffiner des têtes, ou à leur don»ner beaucoup de vigueur & d'expreffion. » C'étoit un homme de génie, mais fans » régle, fans frein, fans goût. Il faut donc lire la Pharfale, tant pour la poefie de » ftyle, où parmi tous ces défauts il y a » de belles chofes, que pour les traits de gé»nie que l'on y rencontre; mais il faut » bien précautionner les jeunes gens contre un Ouvrage qui fe reffent trop de la jeu»neffe de l'Auteur, & dont les vices font » féduifans. Nous ajouterons à ces réflexions judicieufes celles d'un Académicien, très-grand admirateur de Lucain, accufé depuis longtemps de préférer ce Poëte à Virgile. Le paffage fuivant n'eft pourtant pas favorable au neveu de Sénèque. >> On voit Lucain quelquefois fi heureux » dans la rencontre de l'expreffion forte, » précise & jufte, fe contenter ailleurs d'in»diquer fa pensée en termes vagues & » confus, dont on a peine à démêler le »fens. Sa poëfie eft harmonieufe par in tervalles, mais le plus grand nombre de >> fes vers font brifés; & ces ruptures, qui » dans le dramatique font favorables à l'ex»preffion des mouvemens pallionnés, pri |