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faire, et ne doibt on point defendre aux gens de bien d'esperer honneur, qui naturellement accompagne la vertu comme l'ombre le corps, de leurs vertueux faicts. Car on voit ordinairement, que c'est un signe infaillible de lasche, basse et vile nature, que ne sentir point les estincelles du desir d'honneur: et que ceulx qui estiment chose impertinente, superflue ou malseante, que d'estre loué, ne font aussi rien qui merite que lon les loue: ains sont coustumierement personnes de cueur failly, desquelles les pensées ne s'estendent point plus avant que les vies, et dont la souvenance se perd aussi quand et la veue.

VII. OR si le conseil des vieilles gens est grandement estimé, pource qu'ayans vescu longuement, il est force qu'ilz ayent beaucoup veu et si ceulx qui ont longuement voyagé en païs estranges, qui se sont trouvez en beaucoup d'affaires, et ont grande experience des choses de ce monde, sont reputez sages, et dignes à qui lon mette en main les resnes des grands gouvernemens combien fait à estimer la lecture des histoires, qui en un seul jour nous peut fournir plus d'exemples, que ne sçauroit faire le cours entier de la plus longue

vie

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vie d'un homme? Tellement que ceulx qui sont exercitez à la lire ainsi qu'il appartient, encore qu'ilz soient jeunes, deviennent, quand à l'intelligence des affaires du monde, telz, que s'ilz estoient vieux et chenus, et n'ayans jamais bougé de leurs maisons, sont aussi advertis, informez et instruits de tout ce qui est par le monde, que ceulx qui avec travaux innumerables et dangers infinis ont abbregé leurs jours à courir toute la terre habitable: comme au contraire ceulx qui sont ignorans des choses faites ou advenues avant qu'ilz fussent nez, quoy qu'ilz soient suraagez, demeurent toujours enfans, et dedans le propre païs de leur naissance sont en pareille condition que les estrangers.

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VIII. Brief il se peut veritablement dire, que la lecture des histoires est une eschole de prudence, que l'homme se forme en son entendement, en considerant meurement l'estat du monde qui a esté par le passé, et observant diligemment par quelles loix, quelles mœurs et quelle discipline, les empires, royaumes et seigneuries se sont jadis premierement establies et depuis maintenues et grandies, ou au contraire changées, diminuées et perdues. Tome I.

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Aussi lit on qu'Alexander Severus très sage et vertueux empereur de Rome, toutes et quantes fois qu'il avoit à deliberer de quelque chose de consequence, tant au faict de la guerre, que de gouvernement, appelloit tousjours ceulx qui estoient renommez de sçavoir bien les histoires.

IX. JE sçay bien toutefois qu'il y en aqui insisteront alencontre, en soustenant que ceste lecture des histoires ne sçauroit que bien peu, ou rien du tout, servir à l'acquisition de prudence, veu qu'elle gist en action, et que c'est experience reelle et actuelle qui l'engendre, quand l'homme remarque bien et retient fermement ce qu'il a veu à l'œil, et qu'il a experimenté de faict, suivant ce que dit l'ancien poëte Afranius:

Prudence suis, usage est le mien pere,

Qui m'engendra en memoire ma mere : et ce qu'entendoit le philosophe, qui dit, que la main estoit l'instrument de sapience: au moyen de quoy (disent-ilz), ceulx qui parlent de matieres de gouvernement et d'affaires d'estat, mesmement de ceulx de la guerre, par livres, en parlent comme clercs d'armes, ainsi que dit le proverbe

Français, rapportant à celuy des Grecs, qui appellent un pilote par livre, celuy qui n'a pas seure et certaine cognoissance des choses dont il parle, voulans dire qu'il ne se fault pas fier à l'intelligence que l'on acquiert par la lecture, ès choses qui consistent en action, et qu'il fault avoir mis la main à l'oeuvre: ne plus ne moins que rien ne sert à devenir bon peintre, avoir ouy souvent parler et discourir de la peinture, et deviser des couleurs, qui ne prent le pinceau en main : et qu'au contraire il se trouve de bien sages hommes et de bons capitaines, qui ne sçavent ne lire ny escrire joint qu'ils alleguent davantage qu'au faict des armes, toutes choses se changent d'an à autre, par maniere de dire au moyen de quoy les ruses et subtilitez que l'on pourroit apprendre ès livres, ne serviroient non plus que les mines esventées, ainsi que Cambyses remonstre à son' filz Cyrus en Xenophon, disant, « que comme en la musique les chansons les plus nouvelles sont ordinairement celles qui pour une fois plaisent le plus, à cause que jamais elles n'ont esté ouyes: aussi en la guerre les ruses qui n'ont point esté practiquées, sont celles qui succedent le mieulx,

et qui sortent le plus souvent à effect, d'autant que les ennemis s'en doubtent moins >>.

X. MAIS aussi ne suis-je pas celuy qui vouldroit soustenir , que lon peust faire un sage gouverneur d'estat politique, ny un grand capitaine d'un personnage qui n'auroit jamais bougé de dessus les livres en une estude: combien que Ciceron escrive de Lucius Lucullus, que quand il partit de Rome capitaine general et lieutenant du peuple Romain, pour aller faire la guerre au roy Mithridates, il n'avoit experience quelconque de la guerre, mais que depuis il feit si grande diligence de lire les histoires, et d'interroguer sur chasque poinct les vieux capitaines et gens de longue experience, qu'il menoit avec luy, que quand il fut arrivé en Asie, où il falut mettre à bon esciant la main à la besogne, il se trouva un très suffisant capitaine, ainsi que le tesmoignerent ses effects, attendu que par voyes d'armes toutes contraires, il desfeit les deux plus puissans, plus redoubtez et plus grands princes qui fussent lors en tout l'Orient. Car son entendement fut si vif, son soing si vigilant, et son courage si bon, qu'il n'est point besoing du long apprentissage, ny de la grossiere discipline d'usage.

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