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lui-même, mais son œuvre, la civilisation, nous dirons : la civilisation est fonction du milieu. Mais qu'est-ce que la civilisation? Qu'est-ce que le milieu? Voilà deux mots qui demandent à être clairement précisés: on ne fait pas de mathématiques sans définitions.

CHAPITRE TROISIÈME

LA FONCTION

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Nous avons à définir, non la civilisation elle-même, mais une caractéristique de la civilisation. Les sociétés sont des organismes. Double évolution des êtres vivants : évolution de masse et évolution d'organisation. Cette double évolution se retrouve dans les sociétés accroissement de la densité de la population, et progrès de la différenciation urbaine. L'agglomération urbaine est la meilleur caractéristique de la civilisation. Au-dessus des villes, il y a la Ville. Cette caractéristique possède d'ailleurs les conditions requises pour tout document historique. Les ruines des cités sont le plus parfait de tous les documents. - Authenticité et inaltérabilité.

Le mot de civilisation est un des plus complexes de la langue; il embrasse la totalité des découvertes faites et des inventions réalisées, il donne la mesure des idées en cours et des procédés en usage, il exprime le degré de perfection de la science, de l'art et de l'industrie, il indique l'état de la famille, de la société et dé toutes les institutions existantes, il résume enfin la vie individuelle et la vie collective, prises dans leur ensemble. L'étude de tous ces faits rentre dans le problème général de l'évolution, c'est évident; mais est-il possible d'étudier les lois de la distribution des civilisations dans l'espace, sans avoir à décrire préalablement ces civilisations?

Lorsqu'une pierre est lancée obliquement dans l'air, et que les physiciens recherchent les lois de son mouvement, ils n'ont pas à se préoccuper du corps lui-même ; la composition élémentaire de la pierre, le nombre des atomes intégrants, le mode de groupement des molécules, leur coloration et leur éclat, leur degré de fusibilité et de volatilité, la valeur de la densité, toutes ces propriétés, qui regardent le chimiste ou le minéralogiste, n'ont aucune influence sur le mouvement du projectile. De même les lois différentielles des civilisations sont parfaitement indépendantes de la civilisation elle-même. Toute la question est de savoir s'il existe un signe auquel on puisse infailliblement la reconnaître partout où elle s'est développée, un indice assez sensible, une marque assez précise, pour qu'à ce seul indice, à cette seule marque, on puisse affirmer avec certitude son existence. Ce signe existe, visible, palpable, imposant (1).

Remarquons d'abord que tout groupement humain doit être considéré comme un véritable organisme. «< Il y a, fait observer Herbert Spencer, entre un organisme social et un organisme individuel une analogie parfaite. Chez un animal, l'arrêt des fonctions pulmonaires met promptement fin aux mouvements du cœur; si l'estomac

1. Il n'est pas de question qui ait plus embarrassé les historiens, ou plutôt les soi-disant historiens. Ecoutez Guizot le dogmatisant : << Partout où la condition extérieure de l'homme s'étend, s'élève, s'améliore, partout où la nature intime de l'homme se montre avec éclat, avec grandeur, à ces deux signes le genre humain reconnaît et proclame la civilisation. » Si ce sont là des signes, il faut avouer qu'ils sont peu lumineux. Les métaphysiciens ont toujours eu en horreur la clarté.

cesse absolument de faire son office, toutes les autres parties cessent bientôt d'agir; la paralysie qui frappe les membres condamne tout le corps à mort, faute de nourriture, ou en ne lui permettant plus d'échapper au danger; la perte des yeux, ces organes si petits, privent le reste du corps d'un service essentiel à sa conservation; tous ces rapports ne nous permettent pas de douter que la dépendance mutuelle des parties ne soit un caractère nécessaire. Dans une société, nous voyons que les métallurgistes s'arrêtent quand les mineurs ne leur fournissent plus de matières premières; que les fabricants de vêtements ne peuvent effectuer leur travail lorsque les fabricants de fils et de tissus manquent; que la société manufacturière s'arrête, à moins que la société productrice ou distributrice d'aliments ne fonctionnent; que les pouvoirs directeurs, le gouvernement, les bureaux, les officiers judiciaires, la police, ne peuvent plus maintenir l'ordre quand les objets nécessaires à la vie ne leur sont plus fournis : nous sommes obligés de dire que parties d'une société sont unies par un rapport de dépendance aussi rigoureux que celui des parties d'un corps vivant. » Les sociétés étant des organismes, elles ont dû s'élever à la civilisation, absolument comme les êtres vivants se sont élevés vers la perfection; puisqu'il y a similitude entre les deux catégories d'êtres, il doit y avoir analogie dans leur mode de développement.

les

Les premiers êtres vivants furent de simples microbes, d'imperceptibles protoplasmes, dont la monère est restée le type. De temps à autre on voit cette boule microscopique se fractionner en deux boules identiques: c'est

là son mode de reproduction. Les deux masses ainsi séparées vivent chacune d'une vie propre au lieu d'une monère, il y en a deux. Mais la scission n'a pas toujours été suivie de séparation : les deux êtres, quoique détachés de la souche commune, ont pu continuer à vivre l'un à côté de l'autre ; il a suffi pour cela d'un épaississement de la membrane enveloppante. Et voilà l'unité cellulaire primordiale transformée en un couple bi-cellulaire, puis en un groupe polycellulaire. Les organismes les plus haut placés dans la série ne sont pas autre chose que.d'importantes colonies de globules. La puissance de l'organisme a été en croissant à mesure qu'a augmenté le nombre des cellules juxtaposées. Un fait montre bien toute l'importance de cet élément numérique. L'échelle zoologique est formée de deux branches parallèles, celle des annelés, qui se termine par le groupe des insectes, et celle des vertébrés, qui vient aboutir à la classe des mammifères, dont nous sommes. Ce qui caractérise les deux séries, c'est la masse des individus; pour les dimensions de la taille, c'est-à-dire pour le nombre des globules accolés et soudés entre eux, les représentants de la première série restent bien en arrière des individus qui composent la seconde : et cette seule inégalité suffirait pour expliquer la supériorité de l'homme sur la fourmi.

L'accroissement de la masse n'est pas le seul caractère par lequel se manifeste le perfectionnement des organismes, il n'est même pas le plus important. Il suffit, pour s'en assurer, de comparer les plantes aux animaux. Les premières présentent très fréquemment des

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