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ne font que confirmer la généralité de la loi thermique. Si l'on voulait appliquer le calcul des probabilités à cet ensemble de corrélations entre les données historiques et les données climatologiques, on trouverait que le nombre des chances en faveur de la théorie se chiffre par millions ce n'est pas là la certitude mathématique, mais c'est un degré de probabilité qui peut satisfaire l'esprit le plus méticuleux. «< Tout notre savoir, a dit Hume et avec raison, n'est que probabilité.

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Quant aux faits sur lesquels nous nous sommes appuyés pour déduire la loi thermique, on peut dès à présent les considérer comme définitivement acquis, au moins dans leur généralité. Depuis cent ans l'on travaille à l'établissement du réseau thermique, et son tracé est aujourd'hui bien connu dans ses grandes lignes, surtout à la surface des continents, et en particulier dans les régions où a fleuri la civilisation, qui, parmi tous les pays du globe ont été, de la part des voyageurs, l'objet des études les plus attentives, des explorations les plus suivies. Ici, comme dans toutes les évaluations, il y a naturellement une tolérance à admettre; la détermination des isothermes repose sur des moyennes, c'est-à-dire sur des éléments qui comportent une certaine variabilité (1). Mais cette tolérance une fois admise, et elle ne

1. Pour en citer un exemple, à Paris, la température moyenne de l'année est de 10°,7; ce chiffre est la moyenne de 80 années d'observations ininterrompues. Mais il ne se reproduit pas exactement tous les ans; en 1829, la température s'est abaissée à 9o,1; en 1834, elle a atteint 12o,2: l'écart entre ces deux nombres et le nombre moyen est de 10,6.

dépasse pas 1 ou 2 degrés, on peut être sûr que le tracé du réseau ne sera guère modifié à l'avenir.

Dans l'analyse des faits historiques, nous avons choisi les moyens d'informations les moins trompeurs; pour ressusciter les cités disparues, de préférence nous avons fait appel au monument, témoin impassible des civilisations. Sans doute le travail de la reconstitution historique ne sera jamais achevé; mais il faut remarquer que le problème de la différenciation des sociétés, bien différent en cela du problème de l'évolution, ne repose en somme que sur deux données, le temps et le lieu : ces données, outre qu'elles sont les plus élémentaires parmi celles dont l'historien fait usage, sont de toutes les plus facilement appréciables, parce qu'elles s'évaluent numériquement, les premières en années ou en siècles, les secondes en latitudes et en longitudes. En faisant intervenir dans les estimations chronologiques une certaine tolérance, comme dans le tracé isothermique, tolérance qui n'altère en rien les faits dans ce qu'ils ont d'essentiel, on peut regarder comme fondées toutes nos conclusions; il y a véritablement une loi thermique (1), c'est-à-dire une

1. Cette relation entre les isothermes et les civilisations équivau au fond à une relation entre l'espace et le temps. Les métaphyst ciens ont l'habitude d'enseigner que ces deux notions sont irréductibles l'une à l'autre ; s'il en était ainsi, toutes les lois de la mécanique, qui sont des relations entre l'espace et le temps, seraient autant de formules absurdes; car on ne peut comparer entre elles que des grandeurs comparables, c'est-à-dire de même espèce. Mais il est facile de voir que la simultanéité n'est qu'un cas particulier de la successivité. Tout est en mouvement dans la nature, ce qui revient à dire que tout est soumis au temps, car le temps se mesure par un mouvement, qui est soit le mouvement de la terre ou de la lune, soit

relation constante, nécessaire, entre le développement successif des civilisations dans le temps et la marche des isothermes à la surface de la terre.

la chute d'un poids ou la détente d'un ressort. L'espace est soumis au temps; par exemple, les espaces que nous mesurons à la surace de la terre varient sans cesse, puisque le sphéroïde terrestre change continuellement; mais ces variations, étant extrêmement lentes, n'existent pas pour nous ce que nous appelons simultanéité n'est qu'une successivité plus lente. Ici, le développement des civilisations étant du même ordre que la durée de la vie humaine, nous pouvons leur appliquer la notion de successivité : c'est le temps; les changements de la planète étant imperceptibles pour nous, nous pouvons appliquer aux éléments de sa surface la notion de simultanéité : c'est l'espace. De part et d'autre, nous sommes en présence de deux mouvements, et par conséquent de deux phénomènes de même nature il n'y a de différence que dans le degré.

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Lorsqu'un projectile est lancé par une bouche à feu, on le voit, au moment où il quitte l'âme de la pièce, s'élever dans les airs bien au-dessus du but à atteindre, puis courir un instant suivant une direction presque horizontale, enfin redescendre vers le sol et atteindre l'obstacle sous une inclinaison plus ou moins oblique : si l'on joint par une ligne continue la série des positions qu'il a occupées pendant son trajet, on trouve qu'il a décrit une courbe parabolique. Nous venons de faire une opération de ce genre pour le mouvement des civilisations; nous avons vu que leurs trajectoires sont des lignes normales aux isothermes, approximativement des arcs de méridien. A cette donnée fondamentale de la mécanique humaine on peut en ajouter d'autres, d'un caractère secondaire, qui achèvent de déterminer le mouvement. Une infinité de déplacements, tous diffé

rents les uns des autres, peuvent s'effectuer le long d'une même trajectoire; chacun d'eux a sa vitesse particulière, chacun a son énergie propre.

Pour déterminer la vitesse avec laquelle la civilisation s'est propagée d'une zone à la suivante, il suffirait de connaître la date originelle de l'illumination pour chaque zone. La civilisation égyptienne, qui est la première née de toutes les civilisations, a commencé à se développer, d'après Mariette, il y a environ sept mille ans; mais la plupart des archéologues reculent cette date; Rosellini fait remonter à neuf mille ans la fondation de Memphis : or Thèbes existait bien avant la cité du A. En attribuant à la civilisation, sur les bords du Nil, une antiquité de neuf mille ans, on restera certainement au-dessous de la vérité (1). Dans la zone chaude, les sociétés de l'Assyrie et de la Phénicie se sont organisées avant toutes les autres, et l'on peut faire remonter au xve siècle avant notre ère l'époque de leur organisation. Les civilisations de la zone tempérée commencent à s'éclairer dès le ve siècle de notre ère, et celles de la zone froide ont fait leur apparition depuis deux cents ans environ. La civilisation, qui a mis plus de six mille ans pour aller de la zone torride à la zone méditerranéenne, n'a mis que deux mille ans pour passer de la zone méditerranéenne dans la zone tempérée, et un millier d'années seulement pour aller de cette dernière zone à la zone froide.

D'autre part, les zones thermiques ont à peu près la

1. La date de l'éclosion de la civilisation ne peut être fixée comme la date d'une bataille: il faut compter ici, non pas à une année ni même à un siècle près, mais à un ou deux milliers d'années près.

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