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action retardatrice sur la civilisation; on pourrait peutêtre par là rendre compte de la marche des civilisations. latines le long du littoral occidental de l'Italie, expliquer pourquoi les cités se sont développées d'abord au nord et au sud du Latium, en Étrurie et dans la Grande-Grèce, pourquoi Rome a été la dernière venue de toutes, et pourquoi cette ville, ayant poussé sur un sol ingrat et s'étant aguerrie par sa lutte incessante contre la nature, a pu aisément triompher de toutes ses rivales mais c'est tout. Et comme il est prouvé que depuis un millier d'années les marais dans cette partie de l'Italie ont été en se desséchant, il faudrait en conclure, non pas que la malaria a exercé sur la population des ravages de plus en plus considérables, mais qu'au contraire sa funeste influence a été en se restreignant de jour en jour; et cette décroissance continue expliquerait pourquoi à un moment donné l'existence de Rome est devenue possible sur cette terre inhospitalière (1).

Un autre exemple d'une légère variation dans le milieu nous est fourni par le travail d'ensablement qui s'accomplit sur les rivages de la Méditerranée. Presque partout, sur les bords du grand lac, on voit la terre empiéter sur la mer; la vague recule sans cesse, et peu à peu les ports se comblent, envahis par les sables. Actuellement, les ruines de Carthage sont à deux lieues du littoral afri

1. « Le resserrement ou la disparition des marais et des lacs est un fait général dans la Campagne romaine. Le lac de Lariccia, le lac Régille, n'existent plus depuis l'antiquité... Les marais de la valiée de l'Arno étaient beaucoup plus considérables qu'ils ne le sont à présent, lorsque Annibal eut tant de peine à les franchir et perdit un œil en les traversant. » (J.-J. Ampère.)

cain; le long des rivages italiens, les ports de Pise (1) et de Ravenne (2) sont depuis longtemps ensablés; sur nos côtes, et depuis la fin du moyen âge seulement, la mer a abandonné Narbonne, Agde, Aigues-Mortes, et une foule de localités. Beaucoup d'historiens attribuent à cette modification du littoral la ruine des cités marchandes de la Méditerranée. Mais si depuis cinq ou six cents ans les sédiments apportés par les torrents ont pu combler des ports, n'avaient-ils pas la même puissance de nivellement pendant que ces ports étaient le point de départ d'une navigation active, le centre d'un commerce étendu? Est-ce qu'alors le Nil, le Pô, le Rhône, tous <<< ces fleuves travailleurs, » ne charriaient pas, comme aujourd'hui, leurs sables pour les entasser à leurs embouchures? Pourquoi l'homme alors ne laissait-il pas les canaux s'engorger, les baies se fermer, les ports se combler, les rivages se transformer en lagunes? Pourquoi son activité s'est-elle depuis ralentie? Si les atterrissements des torrents descendus des Alpes ou d'autres

1. « D'après Strabon, Pise se trouvait de son temps à 20 stades olympiques du littoral, c'est-à-dire à 3,700 mètres, tandis qu'elle en est actuellement trois fois plus distante. Lorsque le couvent, devenu la cascina de San-Rossore, fut construit, vers la fin du vi° siècle, ses murs dominaient la plage, et de nos jours l'emplacement de cet ancien édifice est à 5 kilomètres environ de la mer. » (E. Reclus.)

2. « Adria, qui précéda Venise dans la domination de l'Adriatique, est aujourd'hui à plus de 30 kilomètres dans les terres; Spina, autre grande cité maritime, était, dès le temps de Strabon, à 30 stades de la côte, qu'autrefois elle touchait; et Ravenne, station des flottes impériales, n'est plus entourée que de bois et de marais... Le port du Lido (à Venise), par où sortit la flotte qui portait 40,000 croisés, n'est maintenant abordable que pour les plus petits navires, et celui d'Albiola s'appelle le Porto secco. » (V. Duruy.)

montagnes, éloignent aujourd'hui la civilisation des bords de la Méditerranée, ils ont dû mettre obstacle à son établissement dans l'antiquité; si, malgré eux, elle a pu se développer, c'est que ces influences n'interviennent que faiblement, c'est qu'au-dessus d'elles il y a une cause plus puissante, que l'on ne voit pas.

Pour quiconque a suivi avec un peu d'attention l'analyse que nous avons faite des civilisations, la loi de leur mouvement est évidente. Reprenons la classification que nous avons donnée des civilisations en trois groupes, et commençons par le plus important, le groupe africoeuropéen. Sur ce continent, toutes les civilisations se sont développées dans l'hémisphère boréal. L'Égypte et la Chaldée ont été les premières éclairées. Après ces contrées, l'Assyrie, la Phénicie, la côte carthaginoise, l'Anatolie, la Grèce, la Sicile, l'Italie, l'Espagne se sont illuminées tour à tour toutes ces régions sont comprises dans une même zone, la zone méditerranéenne, qui dans son ensemble est située au nord de l'Égypte et de la Chaldée. Au xve siècle, nous voyons la civilisation passer des rivages de la Méditerranée du sud aux pays que baigne la Méditerranée du nord; elle va de l'Espagne en France, puis en Angleterre, de l'Italie en Allemagne, de la presqu'île des Balkhans en Hongrie et en Autriche. Enfin, poursuivant toujours sa marche vers le nord, elle atteint les régions extrêmes de l'Europe, la Scandinavie et la Russie et depuis un siècle, Copenhagne, Stockholm, Moscou, Pétersbourg sont de grandes villes. Nous pouvons donc poser cette règle: Dans notre groupe continental, la civilisation a été en se déplaçant de l'équateur vers le pôle.

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Nous avons résumé dans le tableau qui précède cetle marche des civilisations; les chiffres inscrits en degrés en regard des cités indiquent la latitude. On voit qu'à l'ordre de succession des civilisations dans le temps correspond un ordre de position dans l'espace. Pendant la première période, la position moyenne des cités est de 28°,4; pendant la deuxième, elle est de 38°,4; pendant la troisième, de 50°,2; enfin pendant la quatrième, de 59,6; tous ces chiffres se suivent à peu près de 10 en 10 degrés.

Et ce mouvement, toujours le même, qui s'observe d'une période à la période suivante, se reproduit jusque dans le déplacement des civilisations appartenant à un même groupe. C'est ainsi qu'en Égypte, la civilisation descend le cours du Nil; elle va de Thèbes, qui fut son berceau, à Memphis, où elle atteint son apogée (1). Vers les bouches de l'Euphrate, la côte persique et les îles adjacentes s'éclairent d'abord, puis Suse, puis Babylone, la dernière venue des grandes cités de cette période, et aussi celle qui s'avance le plus loin vers le nord. De même, dans chacune des régions méditerranéennes, l'ordre chronologique de l'éclosion des civilisations est aussi celui de la distance à l'équateur. Sans parler de la région orientale, qui n'a vu fleurir qu'une civilisation, on peut remarquer que dans la région hellénique, se sont développées successivement Tyr d'abord, Milet et

1. Il est vrai qu'elle remonta aussi le cours du fleuve. Mais la civilisation nubienne ne fut qu'un pâle reflet des civilisations égyptiennes d'ailleurs cette exception est conforme à la loi que nous poserons bientôt.

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