Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE DEUXIÈME

SUBORDINATION DE L'HOMME AU MILIEU

L'influence du milieu s'étend à tout ce qui est. L'homme est un parasite de la terre, la terre est un satellite du soleil, le soleil est une étoile comme les autres, les étoiles sont les atomes des nébuleuses. Ces quatre faits démontrent la petitesse de l'homme dans l'univers; et cette petitesse de l'homme implique sa subordination. Cette subordination est démontrée par les statistiques. La dépendance de l'homme au milieu est soumise à des lois mathématiques. Qu'est-ce qu'une loi?

Prenez une goutte d'eau, placez-la dans un vase: vous la verrez se vaporiser lentement. Si vous élevez de quelques degrés la température, vous activez l'évaporation; si vous abaissez la température, vous la ralentissez, et si vous refroidissez convenablement l'enceinte, vous ne tarderez pas à voir la goutte liquide se transformer en un minuscule flocon de neige: de sorte que, suivant l'état thermique du milieu, l'eau revêt les aspects les plus différents. Si, au lieu de changer la température, vous modifiez la pression de l'air, soit en faisant le vide dans l'enceinte, soit en comprimant le gaz atmosphérique, vous pourrez observer des phénomènes analo

gues. Si vous placez la goutte d'eau à côté d'une goutte d'acide sulfurique, en resserrant de plus en plus la distance qui les sépare, à un moment donné, lorsque l'intervalle sera devenu suffisamment petit, vous pourrez voir les deux globules se précipiter l'un sur l'autre, comme deux guerriers au plus fort de la mêlée. Ainsi la goutte liquide ressent les moindres variations du milieu : tour à tour elle se dilate, se transforme, s'irrite, se meut. Et les mêmes faits peuvent s'observer sur tous les corps. L'influence du milieu s'étend à tout ce qui est, et la solidarité est la loi la plus générale de la nature.

Ce fait ne peut présenter d'exception: car il résulte de la simultanéité des éléments dans l'espace. Pourtant, lorsqu'on essaye d'en faire l'application à l'homme, il devient matière à discussion et soulève presque toujours de vives protestations. On va répétant que l'homme n'est pas un être au même titre que les autres: c'est un maître indépendant, qui n'entend relever que de luimême.

Voyons ce que valent ces affirmations.

D'abord à la surface de la terre grouillent près de deux mille millions de ces maîtres indépendants. L'homme rampe sur le dos arrondi de la planète, comme la mousse sur l'écorce des grands chênes; et même aujourd'hui que nous connaissons dans tous ses détails le corps que nous habitons, cette métaphore est loin d'être l'exacte expression de la vérité. Il est à peine besoin de rappeler comment, vers la fin du xve siècle et au commencement du xvre, de hardis navigateurs, Colomb en tête, firent le tour de la terre, démontrant péremptoirement que sa

forme était celle d'une sphère; comment, un siècle plus tard, les astronomes français, mesurant la longueur d'un arc de méridien, purent, avec cette donnée, calculer le diamètre de la sphère; comment enfin, il y a à peine cent ans, on arriva à déterminer la densité même de notre globe, à l'aide soit du fil à plomb, soit du pendule, soit de la balance de torsion, qui, entre les mains de Cavendish, devint une machine à peser le monde. De sorte qu'à l'heure qu'il est, nous connaissons de la terre et sa forme, et son volume, et sa masse; et ces données ont fait ressortir mathématiquement la petitesse de l'homme vis-à-vis de la planète. Si nous comparons, chiffres en main, la surface de la terre à la surface du corps humain, nous trouvons que le rapport numérique de ces deux quantités est de trente mille milliards: la disproportion entre les deux êtres est énorme, comme on voit.

En comparant l'homme à un des nombreux parasites auxquels son corps sert d'habitat, on arrive à des résultats du même ordre. Tout le monde a entendu parler des infusoires, de ces animalcules, qui, de leurs colonies, peuplent une goutte d'eau; la goutte d'eau est absorbée par l'homme, l'infusoire devient un parasite de l'organisme humain. Il existe des vibrions dont le diamètre ne dépasse pas deux millièmes de millimètre: le rapport de la surface de l'homme à celle d'un de ces infimes corpuscules est de quatorze mille milliards. En rapprochant ce chiffre de celui que nous venons de trouver, on voit que tous deux sont du même ordre de grandeur; nous sommes en droit d'en conclure que

l'homme est un parasite de la terre, absolument comme le vibrion est un parasite de l'homme.

Mais si la terre est un monde par rapport à l'homme, elle-même qu'est-elle dans l'espace? Pour nos ancêtres, c'était un disque plat, situé au centre de l'univers, et supportant les cieux. Les étoiles, placées à quelques centaines de lieues au-dessus de nos têtes, roulaient le long du firmament comme sur une voûte solide; tous les soirs, les habitants de la Bétique entendaient le sifflement du soleil, lorsqu'à son coucher le globe de feu plongeait dans l'Océan humide. Seuls dans l'antiquité, les pythagoriciens avaient deviné que la terrc, au lieu d'être le centre du monde, était un corps dépendant du soleil: mais jusqu'où allait cette subordination, ils ne s'en rendaient pas compte. On rit beaucoup de ce philosophe grec qui soutenait que l'astre radieux pouvait bien être aussi gros que le Péloponèse; Archimède se montra plein d'audace en affirmant que le diamètre du soleil égalait six fois celui de la terre. Aujourd'hui nous savons, à n'en pouvoir douter, que le soleil est un million de fois plus gros que la terre. Ce qui nous trompe, ce qui nous a toujours trompés, c'est l'apparence; la dimension des objets diminue à mesure que leur éloignement augmente. On ne peut déterminer le diamètre exact d'un corps, tant qu'on ne connaît pas son éloignement. Pour Copernic encore, notre planète n'était séparée du soleil que de douze cents rayons terrestres; la vraie distance est de vingt-quatre mille de ces rayons. La lumière, dont les ondulations parcourent soixante-dix-sept mille lieues par seconde, met plus de

huit minutes à franchir cet espace; le son mettrait quinze ans, et une locomotive de train rapide, partie du soleil, n'arriverait chez nous qu'au bout de trois siècles. La puissance de l'astre qui nous éclaire s'affirme vis-à-vis de la terre aussi bien par la longueur de son rayon d'attraction que par la grandeur de sa masse. Notre planète n'est qu'une microscopique poussière, qui voltige autour du soleil; et l'hypothèse géocentrique s'écroule en même temps que l'hypothèse antropocentrique.

Quant au soleil, il est un centre, mais il n'est pas le centre du monde; il n'est pas même un point fixe, puisqu'il court dans l'espace à raison de deux lieues par seconde. Toutes ces étoiles qui se détachent comme autant de clous d'or sur la voûte des cieux, à laquelle elles semblent fixées, se déplacent en réalité, promenant dans des orbes immenses leurs grands corps silencieux. Notre soleil n'est qu'une étoile comme les autres (1). Les mesures parallactiques de Struve, de Bessel, de Peters, ont montré que l'étoile la plus rapprochée de nous en est éloignée de deux cent six mille fois le rayon de l'orbite terrestre transporté à cette distance, le soleil nous apparaîtrait comme une étoile de moyenne grandeur; un peu plus loin, son éclat disparaîtrait tout à

1. Cette idée était déjà venue à Kepler. << Il est possible, disait le grand astronome, dans son Epitome, que le soleil ne soit autre chose qu'une étoile fixe, plus brillante à nos yeux par sa proximité seulement, et que les autres étoiles soient également des soleils entourés de mondes planétaires. >>

« PreviousContinue »