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ŒŒUVRES COMPLÈTES

DE MASSILLON.

TROISIÈME SEMAINE DU CARÊME.

NOTICE HISTORIQUE.

L'édition de 1745 donne sept sermons de Massillon pour cette troisième semaine du Carême ; les recueils de Trévoux en contiennent six. Mais les sujets ne se correspondent pas toujours dans ces deux versions.

Au carême de 1701, on peut assigner, pour le dimanche, le sermon sur l'Inconstance dans les Voies du salut ; pour le mercredi, le sermon sur le véritable Culte, et enfin pour le vendredi l'admirable homélie de la Samaritaine.

Il reste au carême de 1704 deux discours; d'abord pour le dimanche le célèbre sermon sur le petit nombre des Elus, et pour le mercredi le sermon sur le Mélange des Bons et des Méchants, que l'édition de Trévoux place en effet à ce jour. Il y a bien encore les deux pieuses exhortations sur la Tiédeur, mais je doute qu'elles aient été prononcées à la cour.

Telles sont mes conjectures. Ce qui du moins est hors de doute, c'est que la belle homélie de la Samaritaine fut prêchée à Versailles le vendredi 4 mars 1701. A côté de la splendeur royale de Louis XIV, rayonnait la majesté du génie. Bossuet entendit ce sermon, et en fut très-content, dit son secrétaire, l'abbé Le Dieu. Il faut remarquer que ce discours, dont nous savons sûrement la date précise, est justement assigné au vendredi dans les éditions définitives, comme dans le recueil de Trévoux. Ce qui est une nouvelle preuve à l'appui du système que j'adopte, et par lequel j'attribue ordinairement au premier carême prêché à la cour les sermons mis dans l'édition de 1745 au dimanche, au mercredi et au vendredi, tandis que je reporte au carême de 1704 les discours qui s'y trouvent aux lundi, mardi et jeudi.

Dangeau et la Gazette nous apprennent qu'en 1701, le dimanche 27 février, troisième dimanche du carême, le roi et la duchesse de Bourgogne assistèrent à la prédication du P. Massillon, et que le mercredi suivant, 2 mars, et le vendredi 4 mars, Louis XIV entendit également l'orateur dans la chapelle du château de Versailles.

D'après ces mêmes autorités, nous voyons que dans le carême de 1704, en cette même troisième semaine, Massillon prêcha le dimanche 24 février en présence du roi, du dauphin, du duc et de la duchesse de Bourgogne, et du duc de Berry. Ce fut probablement le fameux sermon sur le petit nombre des Elus qu'entendit et dont fut terrifié cet illustre auditoire. Le mercredi 27 et le vendredi 29, Louis XIV fut aussi présent à la prédication de Massillon.

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QUARANTE-DEUXIÈME SERMON.

SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA TROISIÈME SEMAINE DE CARÊME.

SUR L'INCONSTANCE DANS LES VOIES DU SALUT.

NOTICE.

Au mercredi de la première semaine de carême se trouve un sermon sur la Rechute. La première partie de ce sermon roule sur l'énormité du péché de rechute; la seconde, sur le danger du péché de rechute. De cette seconde partie développée, Massillon forma le discours qui suit et qui traite de l'Inconstance dans les Voies du salut. Voir l'avertissement placé en tête du 32 sermon, tom. 1, pag. 402 de la présente édition.

Ces deux sermons se rencontrent dans les éditions de Trévoux. Le sermon sur la Rechute y est assigné au mardi de Pâques, et avec des traits, un texte et un exorde qui appartiennent évidemment à ce jour. Le sermon sur l'Inconstance dans les Voies du salut y est rejeté après l'Avent; plusieurs allusions et le texte, avec son développement, montrent qu'il fut prononcé durant l'Avent.

Les principaux traits oratoires de Massillon se remarquent dans ces versions contemporaines de l'éloquence du grand Oratorien, notamment dans le sermon sur la Rechute, cette belle allégorie tirée de l'Ecriture par laquelle il compare le pécheur qui retombe à l'idole de Dagon, qu'on avait vainement replacée sur son autel (t. 1, p. 414), et dans le sermon sur l'Inconstance une mélancolique et apre réminiscence des grandes impénitences finales des Ecritures (t. 11, p. 9).

ANALYSE.

PROPOSITION. L'inconstance dans les voies de Dieu est, de tous les caractères, celui qui laisse le moins d'espérance de salut, parce que toutes les ressources, utiles à la conversion des autres pécheurs, deviennent inutiles à l'âme inconstante et légère, qui, tantôt, touchée de ses misères, revient à Dieu, tantôt, oubliant Dieu, se laisse rentrainer à ses misères.

1o La première ressource, utile pour ramener une âme de l'égarement, c'est la connaissance de la vérité. En effet, le premier moyen que la grâce emploie pour la conversion d'une âme mondaine, c'est de lui montrer le monde et l'éternité, tels qu'ils sont en effet, et tels qu'elle ne les avait jamais vus. Alors le voile qu'elle avait sur les yeux tombe tout d'un coup; elle est surprise d'avoir si longtemps ignoré les seules vérités qu'il lui importait de connaitre; et la nouveauté, donnant comme une nouvelle force aux impressions que fait la vérité sur elle, elle s'applaudit d'avoir enfin ouvert les yeux. Mais cette ressource de salut, si infaillible pour les autres pécheurs, n'est que d'un faible usage pour l'âme inconstante et légère. Les vérités de la foi ne font plus désormais d'impression sur elle, parce que ce ne sont plus pour elle de nouvelles lumières. Elle a vu clair, et dans la vanité des choses humaines, et dans les grandes vérités de l'éternité. Ces vérités ont perdu à son égard la surprise t l'attrait de la nouveauté, si heureux pour les autres pécheurs. Quelle ressource peut-il donc encore rester à cette âme dans la connaissance de la vérité ? Qu'apprendra-t-elle de nouveau ? que le monde est un abus ? qu'il est affreux de sacrifier une éternité tout entière à un instant d'ivresse et de volupté ? qu'il faut se håter de bien vivre, parce qu'on meurt tel qu'on a vécu ? Mille fois elle se l'est dit à elle-même dans ses moments de pénitence; et c'est de l'impression de ces vérités que sont venus tous ces intervalles de repentir, qui ont partagé toute sa vie. Qu'a donc de nouveau Dieu même à lui apprendre? Il peut encore l'éclairer; mais ne sera-ce pas plutôt pour elle une nouvelle occasion de résister à la vérité, qu'un nouvel attrait pour la suivre ? Elle s'est familiarisée avec la vérité et avec ses passions; elle s'est accoutumée à soutenir la vue des maximes saintes, et celle de ses faiblesses injustes. Ah! plût à Dieu, comme dit un apôtre, qu'elle fût encore dans les ténèbres de sa première ignorance, et qu'elle n'eût jamais connu la vérité!

2. Une seconde ressource de salut, favorable aux autres pécheurs, c'est un nouveau goût, qui accompagne toujours les commencements de la justice, une douceur qu'on trouve à porter un cœur libre depuis peu de ses passions et de ses remords.

Rien n'est plus doux que ces premiers moments, où, nos chaînes enfin tombées, nous commençons à respirer, et à jouir d'une douce et sainte liberté.

Mais vous, qui avez tant de fois éprouvé la douceur de ces divines impressions, vous, qui passez sans cesse du goût de la vertu au goût du monde et des plaisirs, âme inconstante et légère, que pourra vous offrir de doux et de consolant une nouvelle et sainte vie, que vous n'ayez déjà mille fois goûté? Si vous aviez un cœur de pierre, comme ces pécheurs insensibles, un coup de la grâce pourrait du moins le frapper, le briser, l'amollir; mais vous avez un cœur facile à émouvoir, difficile à fixer, vif dans un moment de grâce, plus vif encore dans un moment de plaisir, qui tantôt ne trouve que Dieu aimable, tantôt n'a de goût que pour le monde; je vous le dis en tremblant, les conversions des âmes qui vous ressemblent, sont très-rares. L'arrêt de Jésus-Christ là-dessus est décisif et terrible: il dit qu'une âme comme la vôtre n'est pas propre au royaume de Dieu; c'est-à-dire que ses inclinations, son fonds, le caractère particulier de son esprit et de son cœur, la rend inhabile au salut: d'où vient cela? c'est que la piété chrétienne suppose un esprit mûr, capable d'une résolution, qui, la voie droite une fois connue, y entre, et ne s'en détourne pas aisément; elle suppose une âme forte et sensée, qui ne se conduit pas par sentiment, mais par des règles de foi et de prudence: c'est que dans le monde même, un esprit frivole et léger n'est capable de rien ; et que tout ce qu'il entreprend, on le compte déjà pour échoué. Or, vos inégalités de conduite ne viennent que d'une légèreté de nature, pour qui la nouveauté a des charmes inévitables, et qui s'ennuie bientôt d'un même parti; elles ne viennent que d'une incertitude et d'une inconstance de cœur, qui ne peut pas répondre de soi-même pour l'instant qui suit; qui, sur toutes choses, ne consulte et ne suit que le goût vous n'êtes donc pas propre au royaume de Dieu.

3o La troisième ressource utile aux autres pécheurs, ce sont les Sucrements. Or cette ressource devient un écueil à l'âme inconstante et légère. Un écueil, premièrement, par l'usage toujours inutile de ces divins remèdes. A l'égard d'un pécheur qui a vieilli dans le crime, et qui vient enfin se jeter aux pieds d'un homme de Dieu, la majesté du lien, la sainte sévérité du juge, l'importance du remède, la honte seule et la confusion de ses crimes, tout cela fait sur son cœur des impressions si nouvelles et si profondes, qu'il n'est pas aisé de les effacer mais le pécheur dont je parle porte au tribunal une âme familiarisée avec sa confusion; il est rassuré contre lui-même, il ne rougit plus de ses aveux. Ecueil, secondement, par la dissimulation inséparable des rechutes. Ecueil, troisièmement, par le sacrilége inévitable dans les rechutes; car se repentir sans cesse et retomber sans cesse, c'est être un moqueur et un profanateur des choses saintes: non que la grâce du sacrement établisse l'homme dans un état constant et invariable de justice; mais lorsqu'on est sorti véritablement justifié des pieds du prêtre, les rechutes du moins ne sont pas si promptes; on ne passe pas en un instant d'un état de justice à un état de péché, parce que la conversion n'est pas l'ouvrage d'un moment, c'est un ouvrage difficile; or on ne perd pas en un moment ce qu'on n'avait acquis qu'avec des peines et des travaux infinis c'est un ouvrage solide; donc ce qui s'écroule en un instant n'était bâti que sur le sable mouvant : c'est un ouvrage sérieux sur lequel on délibère longtemps; or une entreprise longtemps méditée, on ne l'abandonne pas le même jour presque qu'on venait de la finir. Aussi les saints ont tous regardé la pénitence de ces âmes inconstantes et légères, comme des dérisions publiques des sacrements, et des outrages faits à la sainteté de nos mystères; et ils les éloignaient désormais de l'autel sacré. Je sais qu'on ne doit point aggraver le joug, et qu'un excès de sévérité ne déshonore pas moins la religion qu'une lâcheté criminelle mais on ne doit pas non plus confier à l'instant le sang de Jésus-Christ à des profanes qui l'ont mille fois souillé; on ne doit pas ajouter foi à des proniesses si souvent violées ; et plût à Dieu, âme infidèle, que vous eussiez trouvé tous les tribunaux fermés à vos inconstances honteuses! On ne vous verrait pas encore la même après tant de sacrements et de démarches inutiles de pénitence: que dis-je, la même ! vous êtes pire, puisque vous avez ajouté à des désordres qui n'ont jamais été pardonnés, la circonstance affreuse d'un grand nombre de sacriléges.

J'avais donc raison de dire que de tous les caractères, l'inconstance dans les voies du salut était le moins propre au royaume de Dieu, parce qu'il est des ressources pour les autres pécheurs, mais que pour celui-ci, il n'en est plus, ou du moins, il n'en parait plus.

Et fiunt novissima hominis illius pejora prioribus.

Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier.
Luc, XI, 26.

La parabole de l'esprit impur, qui retourne dans le corps de l'homme d'où on l'avait chassé, et rend son dernier état pire que le premier, n'est, selon saint Chrysostome, qu'une prédiction enveloppée que fait Jésus-Christ aux Juifs des malheurs qui allaient arriver à Jérusalem. Sous ces traits mystérieux, le Sauveur du monde prétend leur rappeler l'état déplorable où les iniquités de leurs pères avaient tant de fois réduit cette ville ingrate, et l'excès de sa miséricorde, toujours attentive à la délivrer; et de là il leur laisse conclure que Jérusalem retombera si souvent

dans ses infidélités, qu'enfin le Seigneur va se retirer tout à fait d'elle, et que son dernier état deviendra pire que le premier: Et fiunt novissima hominis illius pejora prioribus.

Ainsi, c'est comme s'il leur tenait ce langage Jérusalem était possédée d'un démon, lorsqu'autrefois elle imitait toutes les impiétés des nations, qu'elle multipliait ses autels, qu'elle oubliait le Seigneur qui l'avait retirée de l'Egypte, et que ses princes eux-mêmes allaient sacrifier sur les hauts lieux et faisaient mourir mes prophètes; cependant, je ne l'abandonnai point en cet état, je suscitai d'autres prophètes mes serviteurs, qui lui annoncèrent ma volonté; je rompis les liens qui la retenaient captive à Babylone; je lui rendis le temple et l'autel saint, et je chassai

le démon impur qui s'était emparé de mon héritage; mais puisque ses crimes recommencent sans cesse, que toutes mes miséricordes sur elle se terminent à de nouvelles ingratitudes, et qu'après avoir fait mourir les autres prophètes, elle va encore combler la mesure de ses péchés par le sang du Fils et de l'Héritier; je vais la livrer aussi à des calamités qu'elle n'avait jamais éprouvées : ses murs vont être démolis pour toujours, son temple et son autel, en qui elle mettait sa confiance, ne seront bientôt plus que de tristes ruines; plus de sacrifice, plus de tabernacle, plus de prêtre, plus de prophète : Universa arma ejus auferet in quibus confidebat, et spolia ejus distribuet; elle va devenir la proie d'un peuple incirconcis, qui se partagera ses dépouilles, qui rassemblera les aigles profanes autour de son cadavre, qui la changera à jamais en une affreuse solitude, et son dernier état deviendra de beaucoup pire que le premier: Et fiunt novissima hominis illius pejora prioribus.

Appliquons-nous, mes Frères, cette étonnante parabole. Notre âme, comme l'infidèle Jérusalem, a été souvent délivrée du démon, et souvent nous l'avons rappelé au dedans de nous; mille fois nous nous sommes repentis, autant de fois nous sommes retombés; nous avons pleuré nos plaisirs injustes, et de nouveaux plaisirs ont un moment après essuyé nos larmes; dégoûtés du monde et de nousmêmes, nous nous sommes souvent retournés vers le Seigneur, et le lendemain, dégoûtés du Seigneur, le cœur que nous venions de lui rendre, nous l'avons encore redonné au monde, qui nous offrait de nouveaux charmes; nos mœurs jusques ici n'ont peut-être roulé que sur ces tristes alternatives de repentir et de crime. Tant de démarches de conversion, et tant de pas en arrière; tant de sacrements, et tant de rechutes. Ah! craignons enfin que le Seigneur ne se retire tout à fait de nous, et que notre dernier état ne devienne pire que le premier ! Pourquoi cela, mes frères ? C'est que toutes les ressources de salut, utiles à la conversion des autres pécheurs, deviennent inutiles à l'âme inconstante et légère; c'est-àdire que l'inconstance dans les voies de Dieu est de tous les caractères, celui qui laisse le moins d'espérance de salut. Cette vérité est

1 Luc, XI, 22.

assez importante pour faire toute seule le sujet de cette instruction.

PREMIÈRE RÉFLEXION.

Quoique la grâce ait des ressources infinies pour ramener un cœur rebelle, et qu'elle change souvent les inclinations les plus opposées au devoir, en des préparations même de pénitence; néanmoins il est des âmes, qui, par leur propre caractère, offrent bien moins d'espérance de salut, et semblent ne laisser plus de voie à la grâce pour les ramener à la vérité et à la justice.

Or, tel est le caractère d'une âme légère et inconstante, qui, tantôt touchée de ses misères, revient à Dieu; tantôt oubliant Dieu, se laisse rentraîner à ses misères; tantôt se dégoûte du monde, tantôt de la vertu; paraît aujourd'hui toute de zèle pour les devoirs, et demain, plus vive que jamais pour les plaisirs, et n'a de fixe qu'une variation éternelle de résolutions, que ni la gràce, ni le péché ne sauraient fixer'. Etat assez ordinaire dans le monde, où tout est plein de ces âmes faibles et légères, en qui la gràce opère encore de saints désirs et des démarches même de salut, mais en qui les passions démentent bientôt ces démarches, et prévalent toujours sur la grâce.

En effet, il est impossible, dit l'apôtre, que ceux qui ont été une fois éclairés; qui ont goûté le don du ciel et les vertus du siècle à venir; qui ont été rendus participants de l'Esprit-Saint, et qui après cela sont retombés, se renouvellent par la pénitence: c'est-à-dire, pour renfermer cette vérité dans les bornes de la foi et de la doctrine sainte, et expliquer l'apôtre par lui-même, que les ressources ordinaires dont Dieu se sert pour ramener les autres pécheurs, sont, premièrement, les nouvelles lumières dont il les favorise : Semel sunt illuminati'; secondement, le nouveau goût de la justice et de la vérité, qui accompagne toujours les commencements de la pénitence: Gustaverunt etiam donum cœleste'; troisièmement enfin, la participation de l'Esprit de Dieu dans les saints mystères, lesquels, par la grâce de la justification. mettent pour ainsi dire, le dernier sceau à la pénitence:

1 Saurait, 1745; sauraient, 1764. • Hébr., VI, 4.

Ibid.

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