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obtenu la permission de retourner à Parts, chargé de trois quarts de siècle de gloire littéraire, courbé sous le poids de ses veilles et de ses couronnes, ce vieillard vénérable y alla recevoir des honneurs qu'aucun mortel n'avait connus avant lui.

Peu de personnes ont eu autant de souplesse dans le caractère: il était tout ce qu'il voulait, dans la société comme dans ses écrits. Il recherchait les plaisirs, les goûtait et les célébrait, s'en lassait et les frondait. Par une suite de ce caractère, il passait de la morale à la plaisanterie, de la philosophie à l'enthousiasme, de la douceur à l'emportement, de la flatterie à la satire, de l'économie à la prodigalité, de l'amour de l'argent à l'amour du luxe, de la modestie d'un sage à la vanité d'un grand seigneur. C'est à cette mobilité d'esprit qu'on attribue les grands et sublimes traits de morale et de religion qui embellissent souvent les ouvrages de ee grand homme, et les erreurs qu'on lui a reprochées.

Il n'est pas possible de donner ici la liste de ses ouvrages, dont les titres seuls formeraient un gros volume. Il y a eu de très-grands écrivains en tous genres, mais chacun a eu sa province; Voltaire a embrassé tous les sujets: histoire, politique, religion, morale, langues, littérature, romans, lettres, critique, philosophie, mathématiques, poèmes épiques, tragédies, comé lies, satires, épitres, contes, odes, poésies légères, épigrammes, tout est son domaine, et partout il s'est élevé au rang des plus grands écrivains qui ont illustré la France. Les œuvres complètes de cet esprit universel forment une espèce d'encyclopédie littéraire: Paris, 1828, 95 vol. in-octavo.—Voltaire était de l'Académie française.

LE BEAU

(CHARLES), né en 1701 et mort en 1778, à Paris.

Justinien.

C'était un prince faible et sans caractère, que la séduction de la puissance n'eut pas de peine à corrompre. Comme il n'était grand que par effort, dés qu'il crut n'avoir plus besoin de se contraindre, il tomba dans la bassesse; il s'abandonna aux plus infâmes plaisirs; fanfaron et timide, aussi prompt à s'effrayer qu'à s'irriter, sans ressource comme sans prévoyance, il devint avare et ravisseur; méprisant les pauvres, dépouillant les riches, vendant jusqu'aux dignités de l'église dont il fesait publiquement un trafic sacrilége. Après l'avoir admiré dans les premiers jours de son règne, ses sujets se trouvèrent heureux de le voir tomber en démence; ils regardèrent comme une ressource pour eux la nécessité où il fut réduit de remettre en d'autres mains les rênes de l'empire.

Le Beau professa d'abord la rhétorique au collége des Grassins, d'où il passa au college royal. Son mérite le fit recevoir à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, dont il fut secrétaire perpétuel et pension

naire. On a de lui des Dissertations et des Eloges historiques, insérés dans les mémoires de l'Académie, qui font honneur à ses talents et à ses lumières: mais son principal ouvrage est l'Histoire du Bas-empire, en 22 vol. in-12. La critique en est judicieuse, la narration bien faite, quoique peut-être trop pleine de détails, et le style élégant et harmonieux, mais ce n'est pas toujours celui de l'histoire; le rhéteur s'y montre souvent. Ce professeur fut adoré de ses élèves et mérita d'avoir des amis par la douceur de ses mœurs. Sa politesse et sa complaisance étaient extrèmes: au moment où il allait être élu à l'Académie, ayant appris que Bougainville* avait un grand désir de l'être, et qu'il fesait des démarches à cet effet, Le Beau se retira aussitôt, et employa toute son influence pour favoriser la nomination de son concurrent, disant qu'on ne doit pas craindre de faire un sacrifice pour obliger un homme de mérite. Il fut reçu avec un transport unanime à la première place vacante.-Le Beau a aussi composé quelques ouvrages en latin, publiés en 3 vol. in-12.

*Jean-Pierre de BOUGAINVILLE naquit à Paris en 1712, et mourut au chateau de Loches (Indre-et-Loire) en 1763. Il a laissé une traduction du poême latin du cardinal de Polignac, 2 vol. in-octavo; un Parallèle d'Alexandre et de T. Kouli-Khan; des mémoires sur les antiquités, etc. Il se livra à l'étude avec tant d'ardeur qu'il mourut d'épuisement. Il était de l'Académie française et de celle des Inscriptions; sa santé étant très-faible, il avait toujours peur de mourir sans cet honneur.

Louis-Antoine comte de BOUGAINVILLE, frère du précédent, né à Paris en 1729, fut successivement avocat, secrétaire d'ambassade en Angleterre, colonel d'un régiment, puis aide de camp du général Montcalme en Canada (1758) où il fit des prodiges de bravoure, ensuite commandant d'un régiment de cavalerie dans la guerre d'Allemgne (1761); après la paix, officier dans la marine; en 1766, commandant d'une expédition autour du monde, voyage de 3 ans, dont le résultat fut un grand nombre de découvertes importantes qui ont enrichi la géographie et augmenté la gloire de la nation; à son retour, chef d'une escadre qu'il commanda avec honneur pendant la guerre d'Amérique (1779). L'année suivante il rentra dans l'armée de terre avec le grade de maréchal de camp. En 1796, il fut élu membre du sénat ; et dans la suite, pour se délasser de ses divers travaux, il se livra avec un grand succès à l'étude des sciences, et publia plusieurs ouvrages sur les mathématiques qui le firent élire membre de Î'Institut de France et de la Société royale de Londres. Enfin il mourut à Paris en 1811, à l'âge de 82 ans, accablé de fatigue, couvert d'honneurs et de gloire, mais sans avoir éprouvé d'autres infirmités qu'une maladie violente qui ne dura que dix jours. Son Voyage au tour du monde, publié en 1771, en 1 vol. in-quarto, et en 2 vol. in-8vo, eut un succès prodigieux, et fut aussitôt traduit en anglais et allemand. Son Traité du calcul intégral, etc., 2 vol. in-quarto.

DUCLOS

(CRARLES PINEAU), né à Dinan (Côtes-du-Nord) en 1704, mort à Paris

en 1772.

Différence de la Probité et de la Vertu.

Plus on a de lumières, plus on a de devoirs à remplir; si l'esprit n'en inspire pas les sentimens, il suggère les procédés et démontre l'obligation d'y satisfaire.

Il y a un autre principe d'intelligence sur ce sujet, supérieur à l'esprit même ; c'est la sensibilité d'âme qui donne une sorte de sagacité sur les choses honnêtes, et va plus loin que la pénétration de l'esprit seul. On pourrait dire que le cœur a des idées qui lui sont propres. On remarque entre deux hommes dont l'esprit est également étendu, profond et pénétrant sur des matières purement intellectuelles, quelle supériorité gagne celui dont l'âme est sensible, sur les sujets qui sont de cette classe-là. Qu'il y a d'idées inaccessibles à ceux qui ont le sentiment froid! Les âmes sensibles peuvent par vivacité et chaleur tomber dans des fautes que les hommes à procédés ne commettraient pas; mais elles l'emportent de beaucoup par la quantité de biens qu'elles produisent.

Les âmes sensibles ont plus d'existence que les autres ; les biens et les maux se multiplient à leur égard. Elles ont encore un avantage pour la société, c'est d'être persuadées des vérités dont l'esprit n'est que convaincu. La conviction n'est souvent que passive; la persuasion est active, et il n'y a de ressort que ce qui fait agir. L'esprit seul peut et doit faire l'homme de probité; la sensibilité fait l'homme vertueux. m'expliquer.

Je vais

Tout ce que les lois exigent, ce que les mœurs recommandent, ce que la conscience inspire, se trouve renfermé dans cet axiome si connu et si peu développé; ne faites pas à autrui, ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait. L'observation exacte et précise de cette maxime fait la probité. Faites à autrui ce que vous voudriez qui vous fût fait; voilà la vertu.

Il semble au premier coup d'œil que les législateurs fussent des hommes bornés, ou intéressés, qui n'ayant pas besoin des autres, voulaient empêcher qu'on ne leur fit du mal, et se dispenser de faire du bien. Cette idée paraît d'autant plus vraisemblable, que les premiers législateurs ont été des princes, des chefs de peuples; ceux, en un mot, qui avaient le plus à perdre et le moins à gagner. Aussi les lois se bornent-elles

à défendre en y faisant réflexion, nous avons vu que c'est par sagesse, qu'elles en ont usé ainsi. Les mœurs sont allées plus loin que les lois; mais c'est en partant du même principe. La conscience même se borne à inspirer la répugnance pour le mal. La vertu, supérieure à la probité, exige qu'on fasse le bien, et en inspire le désir.

La probité défend, et la vertu commande: on estime la probité, on respecte la vertu. La probité consiste presque dans l'inaction, la vertu agit. On doit de la reconnaissance à la vertu, on pourrait s'en dispenser à l'egard de la probité; parce qu'un homme éclairé, n'eût-il que son intérêt pour objet, n'a pas, pour y parvenir, de moyen plus sûr que la probité. La vertu est dans le cœur, c'est un sentiment, une inclination au bien, un amour pour l'humanité; elle est aux actions honnêtes ce que le vice est au crime; c'est le rapport de la cause à l'effet. (Considérations sur les mœurs.)

Duclos reçut à Paris une excellente éducation dont il profita. Son goût pour les lettres, bien loin de s'affaiblir avec l'age, ne fit que s'accroître, et lui ouvrit les portes des plus célèbres Académies de toute la France et des pays étrangers.

Admis à l'Academie française en 1747, il en fut nommé secrétaire perpétuel en 1755, et la cour lui conféra le titre d'historiographe de France. Sa conversation instructive, agréable et toujours gaie, fit pendant longtemps les délices des meilleures sociétés de Paris. Ses principaux ouvrages sont les Confessions du comte de ***, la Baronne de Luz, 2 romans piquants et ingénieux; des Mémoires secrets des règnes de Louis XIV et de Louis XV; l'Histoire de Louis X1, dont la narration est vive et rapide, mais un peu sèche; les Considérations sur les mœurs, ouvrage plein de maximes vrais, de pensées neuves, profondes et justes, dont le style est concis et énergique, et qu'on regarde comme sa meilleure production; etc. -Euvres complètes, Paris 1806, 10 vol. in-8vo.

BUFFON

(GEORGE-LOUIS LE CLER, COMTE DE), né à Montbar (Côte-d'Or) en 1707, mort à Paris en 1788.

Les Déserts de l'Arabie-Pétrée.

Qu'on se figure un pays sans verdure et sans eau, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides sur lesquelles l'œil s'étend et le regard se perd, sans pouvoir s'arrêter sur aucun objet vivant ; une terre morte et pour ainsi dire écorchée par les vents,

laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés, un désert entièrement découvert où le voyageur n'a jamais respiré sous l'ombrage, où rien ne l'accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante; solitude absolue, mille fois plus effrayante que celle des forêts; car les arbres sont encore des êtres pour l'homme qui se voit seul plus isolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes: il voit partout l'espace comme son tombeau; la lumière du jour, plus triste que l'ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l'horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l'abîme de l'immensité qui le sépare de la terre habitée, immensité qu'il tenterait en vain de parcourir: car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restent entre le désespoir et la mort.

Le Cheval.

La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite, est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche, et s'anime de la même ardeur. Il partage aussi ses plaisirs à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle. Mais, docile autant que courageux, il ne se laisse pas emporter à son feu; il sait réprimer ses mouvements: non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs; et, obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire. C'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre ; qui sait même la prévenir; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède, et même meurt pour mieux obéir.

Le Cygne.

Dans toute société, soit des animaux, soit des hommes, la violence fait les tyrans, la douce autorité fait les rois. Le lion et le tigre sur la terre, l'aigle et le vautour dans les airs, ne règnent que par la guerre, ne dominent que par l'abus de la

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