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Celui-ci était fils de Jean Racine, sujet de la page 44. Il se trouva, comme son père, orphelin dès le berceau. Dans le cours de ses études, il jouit souvent de la compagnie de Boileau, qui lui conseilla beaucoup de ne pas s'appliquer à la poésie; mais le penchant pour les muses l'entraîna. Il débuta par son poème de la Grâce, ouvrage médiocre, mais qui cependant contribua à le faire connaître. Le cardinal Fleury lui ayant procuré une place lucrative au ministère des finances, Racine y trouva l'aisance et le bonheur, et continua de suivre son goût pour les lettres. Son meilleur ouvrage est le poème de la Religion: on y trouve des traits vraiment poétiques, de belles descriptions, et un style noble et correct; mais il y règne une sorte de monotonie fatigante qu'on attribue à la nature du sujet. Ses autres ouvrages sont des Odes, des Mémoires et des Remarques sur la vie et les ouvrages de son père, une traduction du Paradis perdu de Milton, un Traité de la poésie dramatique, etc.— 6 vol. in-8vo, Paris 1808.

VOLTAIRE

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(FRANÇOIS-MARIE AROUET DE), né à Chatenay (1 lieue et de Paris) en 1694, et mort à Paris en 1778.

Existence de Dieu.

Consulte Zoroastre, et Minos et Solon,
Et le sage Socrate, et le grand Cicéron;

Ils ont adoré tous un maître, un juge, un père:
Ce système sublime à l'homme est nécessaire;
C'est le sacré lien de la société,

Le premier fondement de la sainte équité,
Le frein du scélérat, l'espérance du juste.

Si les cieux, dépouillés de leur empreinte auguste,
Pouvaient cesser jamais de la manifester;

Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.

Que le sage l'annonce, et que les grands le craignent.
Rois, si vous m'opprimez, si vos grandeurs dédaignent
Les pleurs de l'innocent que vous faites couler,

Mon

vengeur est au ciel apprenez à trembler.
(Poésies diverses.)

L'Art de Jouir.

O vous, qui ramenez dans les murs de Paris
Tous les excès honteux des mœurs de Sybaris,
Qui, plongés dans le luxe, énervés de mollesse,
Nourrissez dans votre âme une éternelle ivresse,

Apprenez, insensés qui cherchez le plaisir,
Et l'art de le connaître, et celui d'en jouir.

Les plaisirs sont les fleurs que notre divin Maître
Dans les ronces du monde autour de nous fait naître.
Chacun a sa saison, et par des soins prudents
On peut en conserver dans l'hiver de nos ans.
Mais s'il faut les cueillir, c'est d'une main légère;
On flétrit aisément leur beauté passagère.
N'offrez pas à vos sens, de mollesse accablés,
Tous les parfums de Flore à la fois exhalés;
Il ne faut point tout voir, tout sentir, tout entendre:
Quittons les voluptés pour savoir les reprendre.
Le travail est souvent le père du plaisir.

Je plains l'homme accablé du poids de son loisir.
Le bonheur est un bien que nous vend la nature :
Il n'est point ici-bas de moissons sans culture;
Tout veut des soins, sans doute, et tout est acheté.....
(Discours sur la Modération.)

La Raison.

La raison est de l'homme et le guide et l'appui ;
Il l'apporte en naissant, elle croit avec lui;
C'est elle qui, des traits de sa divine flamme,
Purifiant son cœur, illuminant son âme,
Montre à ce malheureux, par le vice abattu,
Que la félicité n'est que dans la vertu ;

Qu'elle donne aux humains couverts de son égide
La volupté tranquille, innocente et solide,
La joie et la santé qu'entretient dans sa fleur
Le
repos de l'esprit et le calme du cœur ;

Que par elle un mortel aussi ferme que libre,
Au milieu des revers garde un juste équilibre ;
Rit de ses ennemis, et, résistant au sort,

Affronte l'indigence, et les fers et la mort;
Comme un rocher, que frappe une mer mugissante,
Brave des flots émus la fureur impuissante.....

L'Amitié.

.....Pour les cœurs corrompus l'amitié n'est point faite. O divine amitié, félicité parfaite,

Seul mouvement de l'âme où l'excès soit permis,

Change en bien tous les maux où le ciel m'a soumis !
Compagne de mes pas, dans toutes mes demeures,
Dans toutes les saisons, et dans toutes les heures,
Sans toi, tout homme est seul; il peut, par ton appui,
Multiplier son être, et vivre dans autrui.

Idole d'un cœur juste, et passion du sage,
Amitié! que ton nom couronne cet ouvrage;
Qu'il préside à mes vers comme il règne en mon cœur :
Tu m'appris à connaître, à chanter le bonheur.

(Mélanges de Poésies.)

La Liberté.

Que le chantre flatteur du tyran des Romains,
L'auteur harmonieux des douces Géorgiques,
Ne vante plus ces lacs et leurs bords magnifiques,
Ces lacs que la nature a creusés de ses mains
Dans les campagnes italiques :

Mon lac est le premier; c'est sur ses bords heureux
Qu'habite des humains la déesse éternelle,

L'âme des grands travaux, l'objet des nobles vœux,
Que tout mortel embrasse, ou désire, ou rappelle,
Qui vit dans tous les cœurs, et dont le nom sacré
Dans les cours des tyrans est tout bas adoré :
La Liberté. J'ai vu cette déesse altière,
Avec égalité répandant tous les biens,
Descendre de Morat en habit de guerrière,
Les mains teintes du sang des fiers Autrichiens
Et de Charles-le-Téméraire.

Devant elle on portait ces piques et ces dards,
On traînait ces canons, ces échelles fatales
Qu'elle-même brisa, quand ses mains triomphales
De Genève en danger défendaient les remparts.
Un peuple entier la suit: sa naïve allégresse
Fait à tout l'Apennin répéter ses clameurs,
Leurs fronts sont couronnés de ces fleurs que la Grèce
Aux champs de Marathon prodiguait aux vainqueurs.
C'est là leur diadème; ils en font plus de compte
Que d'un cercle à fleurons de marquis et de comte,
Et des larges mortiers à grands bords abattus,
Et de ces mitres d'or aux deux sommets pointus.
On ne voit point ici la grandeur insultante,
Portant de l'épaule au côté,

Un ruban que la vanité

A tissu de sa main brillante;
Ni la fortune insolente
Repoussant avec fierté

La prière humble et tremblante
De la triste pauvreté.

On ne méprise point les travaux nécessaires :
Les états sont égaux, et les hommes sont frères.

(Poésies diverses.)

L'Athéisme.

Otez aux hommes l'opinion d'un Dieu rémunérateur et vengeur, Sylla et Marius se baignent alors avec délices dans le sang de leurs concitoyens: Auguste, Antoine et Lépide surpassent les fureurs de Sylla; Néron ordonne de sang-froid le meurtre de sa mère : il est certain que la doctrine d'un Dieu vengeur était éteinte chez les Romains. L'athée, fourbe, ingrat, calomniateur, brigand, sanguinaire, raisonne et agit conséquemment, s'il est sûr de l'impunité de la part des hommes; car s'il n'y a pas de Dieu, ce monstre est son dieu à lui-même ; il s'immole tout ce qu'il désire, ou tout ce qui lui fait obstacle; les prières les plus tendres, les meilleurs raisonnements ne peuvent pas plus sur lui que sur un loup affamé.

Un société particulière d'athées qui ne se disputent rien, et qui perdent doucement leurs jours dans les amusements de la volupté, peut durer quelque temps sans trouble; mais, si le monde était gouverné par des athées, il vaudrait autant être sous le joug immédiat de ces êtres informes qu'on nous peint acharnés contre leurs victimes.

De la chimère du souverain bien.

L'antiquité a beaucoup disputé sur le souverain bien; autant aurait-il valu demander ce que c'est que le souverain bleu, ou le souverain ragoût, le souverain marcher, le souverain lire, &c.

Chacun met son bien où il peut, et en a autant qu'il peut à sa façon.

Le plus grand bien est celui qui vous délecte avec tant de force, qu'il vous met dans l'impuissance totale de sentir autre chose; comme le plus grand mal est celui qui va jusqu'à vous priver de tout sentiment. Voilà les deux extrêmes de la nature humaine, et ces deux momens sont courts.

Il n'y a ni extrêmes délices, ni extrêmes tourmens qui puissent durer toute la vie : le souverain bien et le souverain mal sont des chimères.

Nous avons la belle fable de Crantor; il fait comparaître aux Jeux Olympiques la richesse, la volupté, la santé, la vertu ; chacune demande la pomme: la richesse dit, c'est moi qui suis le souverain bien, car avec moi on achète tous les biens: la volupté dit, la pomme m'appartient, car on ne demande la richesse que pour m'avoir: la santé assure que sans elle il n'y a point de volupté, et que la richesse est inutile; enfin la vertu représente qu'elle est au-dessus des trois autres, parce qu'avec de l'or, des plaisirs, et de la santé, on peut se rendre trèsmisérable, si on se conduit mal. La vertu eut la poinme.

Voltaire fit ses études au collège Louis-le-Grand, sous le père Porée, et elles furent brillantes. On a conservé de lui des morceaux écrits à l'âge de 12 à 14 ans, qui ne se sentent point de l'enfance. Admis presque au sortir du collége dans la société de Chaulieu, de La Fare, du grandprieur de Vendôme, du maréchal Villars et autres, Voltaire y puisa ce goût naturel et cette plaisanterie fine qui distinguaient la cour de Louis XIV. Cette société ne le corrigea pourtant pas de son penchant à la satire qui lui causa par la suite bien des désagréments, des disgrâces et des chagrins. On l'accusa d'être l'auteur des Philippiques, et il fut enfermé à la Bastille pendant près d'un an. Il avait déja donné Edipe: le régent fut si content de cette tragédie qu'il lui rendit la liberté. Ce fut vers l'an 1720 qu'il fit un voyage Bruxelles; il y vit J. B. Rousseau et se brouilla avec lui. De retour à Paris, il donna deux tragédies qui tombèrent. Ces mortifications, jointes à celles que lui occasionnaient son génie indépendant, sa façon de penser, et son caractère vif et emporté, l'obligèrent de passer en Angleterre où il publia sa Henriade, qui fut l'origine de sa fortune et de sa gloire. Il retourna à Paris, qu'il fut bientôt forcé de quitter: ses Lettres philosophiques furent brûlées par la main du bourreau, et lui-même décrété de prise de corps. Il se retira pendant plusieurs années à Cirey, chez la marquise du Chatelet, dont il a si souvent célébré les talents, les grâces et la beauté. C'est du fond de cette retraite que Voltaire fit connaître à la France la Philosophie de Newton. Il donna en même temps Alzire, un de ses chefs-d'œuvre tragiques, qui fut bientôt suivi de Mahomet, et deux ans après, de Mérope. Après cette pièce le poète obtint les faveurs de la cour et fut comblé de grâces. Il pouvait vivre heureux, dit un biographe, mais l'inquiétude de son esprit lui fit perdre tous ces avantages. A la sollicitation de Frédéric, Voltaire se retira à la cour de ce roi philosophe, qui lui accorda une pension considérable, la clé de chambellan et la croix de son ordre. Mais son caractère n'était point fait pour vivre au milieu d'une cour: il se brouilla avec Maupertius, st ensuite avec le roi. Il quitta Berlin, et après avoir passé quelque temps à Colmar, il acheta une terre près de Genève, à laquelle il donna le nom de Délices. Il y vivait tranquille, mais ayant été soupçonné d'exciter la fureur des deux partis qui divisaient cette république, il se vit encore privé de cet asile. Il se fixa, enfin, dans une terre, à Ferney, près de la Suisse, à une lieue de Genève. C'était un désert presque sauvage; il le peupla, le fertilisa et l'enrichit. C'est là qu'il vécut pendant vingt années; et, durant tout ce temps, il répandit l'abondance, Ja joie et le bonheur autour de lui, sans en jouir lui-même. Enfin, ayant

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