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ROUSSEAU

(JEAN-BAPTISTE), né à Paris en 1670, et mort à Bruxelles en 1741.

Ode.

Les cieux instruisent la terre
A révérer leur auteur:

Tout ce que leur globe enserre
Célèbre un Dieu créateur.
Quel plus sublime cantique
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps ?
Quelle grandeur infinie!
Quelle divine harmonie
Résulte de leurs accords!

De sa puissance immortelle
Tout parle, tout nous instruit;
Le jour au jour la révèle,
La nuit l'annonce à la nuit.
Ce grand et superbe ouvrage
N'est point pour l'homme un langage
Obscur et mystérieux.

Son admirable structure

Est la voix de la nature,

Qui se fait entendre aux yeux.

Dans une éclatante voûte
Il a placé de ses mains
Çe soleil qui, dans sa route,
Éclaire tous les humains.
Environné de lumière,
Cet astre ouvre sa carrière
Comme un époux glorieux,
Qui, dès l'aube matinale,
De sa couche nuptiale
Sort brillant et radieux.

L'univers, à sa présence,
Semble sortir du néant.
Il prend sa course, il s'avance
Comme un superbe géant.
Bientôt sa marche féconde
Embrasse le tour du monde

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Cependant votre âme attendrie
Par un douloureux souvenir,
Des malheurs d'une sœur chérie
Semble toujours s'entretenir.

Hélas! que mes tristes pensées
M'offrent des maux bien plus cuisants!
Vous pleurez des peines passées,
Je pleure des ennuis présents!

Et, quand la nature attentive
Cherche à calmer vos déplaisirs,
Il faut même que je me prive

De la douceur de mes soupirs.

Fils d'un cordonnier, Rousseau reçut une excellente éducation dans les meilleurs colléges de Paris, et ne tarda pas à se faire un nom par de petites pièces de poésie, pleines d'esprit et d'imagination. Il avait à peine 20 ans, qu'il était déjà recherché par les personnes du plus haut rang et du goût le plus délicat. Il était déjà parvenu au comble de la gloire, lorsqu'il fut assailli par une foule de plumes médiocres et jalouses qui le plongèrent dans des malheurs qui le suivirent jusqu'au tombeau. On poussa la calomnie jusqu'à mettre sur son compte et à faire circuler des couplets dont on savait bien qu'il n'était point l'auteur: Rousseau eut l'imprudence de les attribuer à Saurin, qui porta l'affaire devant les tribunaux, et Rousseau n'ayant pu prouver son accusation, fut condamné comme calomniateur à un bañissement perpétuel. Il se retira en Suisse, où il publia la première édition de ses œuvres. De là il alla à Vienne, et trois ans après il passa à Bruxelles. Il fit un voyage à Londres et y publia une édition de ses ouvrages, en 2 vol. in-quarto. Cette édition lui rapporta dix mille écus qu'il plaça dans les fonds de la compagnie d'Ostende; mais cette compagnie ayant failli, il les perdit et retourna à Bruxelles dans une misère complète dont il ne put jamais se relever. Piron a fait cette épitaphe si connue :

Ci-gît l'illustre et malheureux Rousseau.

Le Brabant fut sa tombe et Paris son berceau.
Voici l'abrégé de sa vie,

Qui fut trop longue de moitié :
Il fut trente ans digne d'envie,
Et trente ans digne de pitié.

"Rien ne surpasse dans notre langue la richesse et l'éclat des belles Odes de Rousseau; la grâce et l'élégance harmonieuse de ses Cantates, genre nouveau, dont la création lui appartient, et dans lequel il est resté sans rival, quoiqu'il ait eu des imitateurs." (M. AMAR.) Rousseau occupe un rang très-distingué parmi nos plus illustres poètes lyriques, et s'il a aujourd'hui des rivaux, il n'en a pas eu de son temps, et n'a eu d'autre modèle que Malherbe.-Euvres complètes, Paris, 1820, 5 vol. in-octavo.

LA MOTTE

(ANTOINE HOUDARD DE), naquit en 1672 et mourut en 1731, à Paris.

Le Portrait. (Fable.)

De se faire tirer certain homme eut envie.
Chacun veut être peint une fois en sa vie.
L'amour-propre de son métier

Est ami des portraits : cet art qui nous copie
Semble aussi nous multiplier.

Ce n'est pas là notre unique folie.
Le portrait achevé, notre homme veut avoir
L'avis de ses amis, gens experts en peinture.
Regardez, il s'agit de voir

Si je suis attrapé, si c'est là ma figure.

Bon, dit l'un, on vous a fait noir;
Vous êtes blanc. Cette bouche grimace,
Dit un autre; ce nez n'est pas bien à sa place,
Reprend un tiers: je voudrais bien savoir
Si vous avez les yeux si petits et si sombres ?
Et puis en vérité, que servent là ces ombres ?
Ce n'est point vous enfin; il faut tout retoucher.
Le peintre en vain s'écrie; il a beau se fâcher
Sur cet arrêt; il faut qu'il recommence.
Il travaille, fait mieux, réussit à son choix,
Et gagerait tout son bien cette fois
Pour la parfaite ressemblance.
Les connaisseurs assemblés de nouveau,
Condamnent encor tout l'ouvrage.

On vous allonge le visage ;

On vous creuse la joue; on vous ride la peau :
Vous êtes là laid et sexagénaire;

Et flatterie à part, vous êtes jeune et beau.
Eh bien, leur dit le peintre, il faut encor refaire;
Je m'engage à vous satisfaire,

Ou j'y brûlerai mon pinceau.

Les connaisseurs partis, le peintre dit à l'homme :
Vos amis, de leur nom il faut que je les nomme,
Ne sont que de francs ignorans ;
Et si vous le voulez, demain je les y prends.
D'un semblable tableau je laisserai la tête,
Vous mettrez la vôtre en son lieu :
Qu'ils reviennent demain, l'affaire sera prête.

J'y consens, dit notre homme; à demain donc; adieu.
La troupe des experts le lendemain s'assemble;
Le peintre leur montrant le portrait d'un peu loin,
Cela vous plait-il mieux ? dites, que vous en semble ?
Du moins j'ai retouché la tête avec grand soin.
Pourquoi nous rappeler ? disent-ils. Quel besoin
De nous montrer encore cette ébauche?

S'il faut parler de bonne foi,

Ce n'est point du tout lui, vous l'avez pris à gauche,
Vous vous trompez, messieurs, dit la tête; c'est moi.

La Motte écrivit de bonne heure pour le théâtre, et en embrassa tous les genres; mais peu de ses pièces se sont soutenues. Celle qui a eu le plus de succès est sa tragédie d'Inès de Castro. On lit encore avec plaisir sa comédie du Magnifique, où l'on trouve de l'esprit, des grâces et de la vérité. Ses opéras passent pour ce qu'il a de mieux. Ses Odes sont plus philosophiques que poétiques; elles ont des pensées dignes de Socrate, mais elles manquent de ce beau feu qui enlève dans Pindare, Horace et Rousseau. Parmi ses odes anacreontiques, il y en a de très-jolies. Ses Eglogues n'ont point le caractère du genre: on y trouve des descriptions de mœurs champêtres bien faites, mais ses bergers sont trop ingénieux. Quelques-unes de ses Fables sont estimées; mais en général elles n'ont d'autre mérite qu'un fonds et des dessins bien présentés. En général la poésie de La Motte est dure et sans harmonie. Sa traduction d'Homère, en vers français, le couvrit de ridicule. Sa prose, qu'on préfère à ses vers, est précieuse, épigrammatique et quelquefois forcée; mais on y reconnait toujours le philosophe et l'homme d'esprit. Dans aucun genre La Motte n'est au premier rang; dans tous il occupe une place honorable parmi les écrivains de son temps. Ami intime de Fontenelle, il vécut comme lui en vrai philosophe, et jouit d'une grande considération. Il était fils d'un chapelier, mais il ne rougit jamais de sa naissance. Il était de l'Académie française.-Ses œuvres sont en 10 vol. in

octavo.

CRÉBILLON

(PROSPER JOLYOT DE), né à Dijon en 1674, mort à Paris en 1762.

Description d'une Tempête.

Mais signalant bientôt toute son inconstance,
La mer en un moment se mutine et s'élance;
L'air mugit, le jour fuit, une épaisse vapeur
Couvre d'un voile affreux les vagues en fureur :
La foudre éclairant seule une nuit si profonde,
A sillons redoublés ouvre le ciel et l'onde ;
Et comme un tourbillon, embrassant nos vaisseaux,

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