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LA RUE

(CHARLES DE), né à Paris en 1643, et mort dans la même ville en 1725.

La Vengeance.

Grands du siècle, grands du siècle, encore un coup; et sous ce titre prenez garde, mes frères, que je n'entends pas seulement les grands du monde, les rois, les princes, les souverains, mais un père et une mère dans sa famille, un magistrat dans son barreau, un juge dans sa ville, un seigneur dans sa terre, quelque petite qu'en soit l'étendue, quelques personnes que ce soient d'un rang supérieur aux autres, jusque dans les conditions les moins relevées; maîtres du siècle, si jaloux de votre autorité, et si ardents à la défendre; si sensibles aux moindres outrages, et si durs aux plaintes qu'on vous fait; si prompts à la vengeance, et si lents à pardonner; ce sont vos propres sentiments que je consulte, c'est à vous-mêmes que j'en appelle! A quoi vous porte tous les jours dans le monde une légère insulte reçue, un défaut de respect, un outrage de rien? De là quelles inimitiés, quels emportements, quels éclats de colère? On se ruine en procès, on se déchire par des calomnies, l'enfant lève la main sur son père, le mari abandonne sa femme, et le frère même va plonger le poignard jusque dans le sein de son frère. Vous êtes maître, dites-vous, vous voulez être obéi et respecté : je souscris à votre raison; mais au fond, dans les choses dont vous êtes le plus touché, dans ce qui vous pique le plus vivement, quel sujet avez-vous de vouloir ainsi vous venger? De quoi s'agit-il? D'un droit souvent douteux, et purement arbitraire, fondé tout au plus sur la naissance ou la fortune, et rarement sur le mérite ; d'un frivole point d'honneur; d'une légère contestation; enfin quand on vient à l'examiner, on trouve qu'il y a peu de différence entre l'agresseur et l'offensé.

Vers de terre que nous sommes ! cendre et poussière ! viles créatures! il nous sied bien d'être si sensibles aux moindres injures, et de nous soulever pour un regard, pour une parole; tandis qu'on ne compte pour rien d'insulter au maître souverain de l'univers, qui a tout pouvoir et qui ne s'en venge pas; d'attenter à ses droits si sacrés et si légitimes, si justes et si incontestables, si nécessaires et si essentiels.

La Rue entra chez les jésuites, et y professa avec distinction les humanités et la rhétorique. Il montra de grands talents pour la poésie,

et écrivait aussi bien en latin qu'en français. P. Corneille a traduit en vers français son poème latin sur les conquêtes de Louis XIV. Pour l'éloquence de la chaire, le P. La Rue occupe un rang distingué parmi les prédicateurs de son temps: ses Panégyriques, ses Oraisons funèbres et ses Sermons brillent de tout ce que peuvent donner l'heureuse distribution des parties, la vérité des tableaux, la véhémence du style et les grâces de la facilité. Outre un grand nombre de poésies latines, il a laissé quelques pièces en vers français. Son édition des œuvres de Virgile, avec des notes en latin, ad usum Delphini, est connue de toutes les nations.-Le recueil de ses œuvres est en 8 volumes in-octavo.

LA BRUYÈRE

(JEAN DE), né 1644, dans un village près de Dourdan, et mort à Versailles en 1696.

Ménippe, ou les plumes du Paon.

Ménippe est l'oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui; il ne parle pas, il répète des sentiments et des discours, se sert même si naturellement de l'esprit des autres, qu'il y est le premier trompé, et qu'il croit souvent dire son goût, ou expliquer sa pensée, lorsqu'il n'est que l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est un homme qui est de mise un quart d'heure de suite, qui le moment d'après baisse, dégénère, perd le peu de lustre qu'un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde: lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l'héroïque; et, incapable de savoir jusqu'où l'on peut avoir de l'esprit, il croit naïvement que ce qu'il en a, est tout ce que les hommes en sauraient avoir: aussi a-t-il l'air et le maintien de celui qui n'a rien à désirer sur ce chapitre, et qui ne porte envie à personne. Il se parle souvent à soi-même, et il ne s'en cache pas ceux qui passent le voient, et il semble prendre un parti, ou décider qu'une telle chose est sans réplique. Si vous le saluez quelquefois, c'est le jeter dans l'embarras de savoir s'il doit rendre le salut ou non; et, pendant qu'il délibère, vous êtes déjà hors de portée. Sa vanité l'a fait honnête homme, l'a mis au-dessus de luimême, l'a fait devenir ce qu'il n'était pas. L'on juge, en le voyant, qu'il n'est occupé que de sa personne, qu'il sait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie, qu'il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relaient pour le contempler.

Pensées.

La modestie est au mérite, ce que les ombres sont aux figures dans un tableau: elle lui donne de la force et du relief.

Celui-là est bon qui fait du bien aux autres: s'il souffre pour le bien qu'il fait, il est très-bon : s'il souffre de ceux à qui il a fait ce bien, il a une si grande bonté, qu'elle ne peut être augmentée que dans le cas où ses souffrances viendraient à croître et s'il en meurt, sa vertu ne saurait aller plus loin; elle est héroïque, elle est parfaite.

Quelques jeunes personnes ne connaissent pas assez les avantages d'une heureuse nature, et combien il leur serait utile de s'y abandonner. Elles affaiblissent ces dons du ciel, si rares et si fragiles, par des manières affectées et par une mauvaise imitation. Leur son de voix et leur démerche sont empruntés: elles se composent, elles se recherchent, regardent dans un miroir si elles s'éloignent assez du naturel: ce n'est pas sans peine qu'elles plaisent moins.

Une belle femme qui a les qualités d'un honnête homme, est ce qu'il y a au monde d'un commerce plus délicieux: on trouve en elle tout le mérite des deux sexes.

Les femmes sont extrèmes; elles sont meilleures ou pires que les hommes.

Un homme est plus fidèle au secret d'autrui qu'au sien propre; une femme, au contraire, garde mieux son secret que celui d'autrui.

Il arrive souvent qu'une femme cache à un homme toute la passion qu'elle sent pour lui, pendant que de son côté il feint pour elle toute celle qu'il ne sent pas.

La libéralité consiste moins à donner beaucoup, qu'à donner à propos.

Il vaut mieux s'exposer à l'ingratitude, que de manquer aux misérables.

Bossuet ayant remarqué que La Bruyère était un homme de mérite, le fit placer auprès du Dauphin pour lui enseigner l'histoire; mais il ne se produisit que fort rarement à la cour, préférant l'étude et la retraite au tumulte du monde. Son premier essai littéraire fut une traduction en français des Caractères de Théophraste. L'ouvrage qu'il publia ensuite lui-même dans le même genre, sous le titre de Caractères et mœurs de ce siècle, fut accueilli avec enthousiasme, porta le nom de l'auteur dans toute l'Europe, et lui ouvrit les portes de l'Académie française. Pensées neuves, profondes, justes et solides, choix d'expressions; style concis, élégant, rapide, original, pur et varié, tel est le mérite de cet ouvrage souvent ironique, mais toujours plein de bon sens, de raison et de philosophie. Euvres complètes, Paris 1820, 1 vol. in 8-vo.

D'ORLÉANS

(PIERRE-JOSEPH), né à Bourges en 1644, et mort en 1698.

Discours d'Elisabeth, reine d'Angleterre, à l'ambassadeur de Marie Stuart, qui demandait qu'elle la fit déclarer, dans son parlement, héritière présomptive de sa couronne.

La reine votre maîtresse et les grands du royaume d'Ecosse me font remontrer, par votre bouche, que cette princesse est née du sang des rois d'Angleterre, nos communs ancêtres, et qu'elle a droit de me succéder. Toute l'Europe sait que jamais je ne l'ai attaquée là-dessus, non pas même lorsqu'on l'a vue entreprendre sur ma succession, se l'attribuer, prendre les armes et les titres de mes royaumes. J'ai voulu croire que ce procédé venait moins d'elle que de ceux au pouvoir de qui elle était; et cette insulte ne m'a point portée ni à tenter, pendant son absence, la fidélité de ses sujets, ni à troubler le repos de son État, ni à m'opposer à son retour.

J'ai mis un ordre à mes affaires, qui me donne lieu de croire, sans trop de présomption, que je mourrai reine d'Angleterre. Savoir qui me succèdera, c'est au Seigneur à y pourvoir; savoir qui a droit de me succéder, c'est ce que je n'ai pas encore eu la curiosité d'examiner. Il y a sur cela des lois sur lesquelles je m'en repose, et dont je n'ai pas intention de rompre le cours. Si elles sont favorables à la reine d'Ecosse, je m'en réjouis par avance avec elle, et je ne crois pas que personne ose lui contester une couronne qu'une succession légitime lui fera échoir. Vous connaissez ceux qui le pourraient faire, et vous jugez, par le peu de moyens que leur en fournit la fortune, du peu qu'on aurait à craindre, si les lois leur étaient contraires. Je ne pourrais savoir mauvais gré aux grands et à la noblesse d'Ecosse, du zèle qu'ils font paraître pour une reine qui le mérite, de veiller à la conservation de ses droits, et de chercher tous les moyens d'établir entre elle et moi une amitié indissoluble.

J'ai répondu à l'article des droits; à celui de l'amitié, je réponds que c'est une erreur de s'imaginer que si la reine votre maîtresse était déclarée mon héritière, nous en vécussions plus en paix; ce serait, au contraire, une source de toutes sortes de démêlés: elle deviendrait le refuge de tous les mécontents de mon royaume, et peut-être se laisserait-elle aller à être l'appui des inquiets. Je ne crois pas lui faire injure de cette défiance; je l'ai de moi-même : je ne voudrais

pas bien répondre que j'aimasse mon héritier. Nous avons de si grands exemples, et chez nous et chez nos voisins, de cette bizarrerie de l'esprit humain, que je n'oserais me flatter d'en être exempte. Il me semble que se pourvoir d'un héritier et d'un tombeau, est à peu près la même chose; et je ne me sens pas d'humeur à faire faire mes funérailles par avance. Révolutions d'Angleterre.

Entré chez les jésuites, D'Orléans professa d'abord les belles-lettres, puis il se livra à la prédication et employa une partie de son temps à Î'étude de l'histoire. Ses principaux ouvrages sont une Histoire des révolutions d'Angleterre, en 3 volumes in quarto; les Révolutions d'Espagne, 5 volumes in-12; l'Histoire des deux conquérants tartares, Chunchi et Camhi, qui ont subjugué la Chine; l'Histoire de Constance, ministre du roi de Siam; les Vies du P. Cotton, du P. Spinola, du P. Ricci, de Marie de Savoie et de sa fille l'Infante Isabelle, de Stanislas Kotska, et de Louis de Gonzague; deux ou trois volumes de Sermons et Instructions chrétiennes sur divers sujets. Toutes ces productions, ainsi que l'a dit Voltaire, sont remarquables par la force de l'éloquence et les traits d'imagination qu'on y trouve; mais la recherche du style, d'ailleurs souvent inégal et incorrect, s'y fait trop sentir. Du reste, on n'a jamais contesté le mérite de cet historien; mais on lui reproche de s'être trop attaché aux formes classiques des anciens, et d'avoir quelquefois manqué de justesse dans ses jugements.

Le

Ses Révolutions d'Angleterre, bien qu'il y ait souvent parlé des Protestants d'une manière tout-à-fait hors du sujets, furent accueillies avec transport dans toute l'Europe, ainsi que ses Révolutions d'Espagne. P. D'Orléans était fort agréable dans la société, et il emporta, en mourant, les regrets de tous ceux qui l'avaient connu.

HAMILTON

(ANTOINE, COMTE D'), né en Irlande en 1646, et mort à Paris en 1720.

Extrait des Mémoires de Grammont.

Le fidèle Brinon, qui me fut donné pour valet de chambre, devait encore faire la charge de gouverneur et d'écuyer, parce que c'est peut-être le gascon unique qu'on verra sérieux et rébarbatif au point où il l'est. Il répondit de ma conduite sur la bienséance et la morale, et promit à ma mère qu'il rendrait bon compte de ma personne dans les dangers de la guerre. J'espère qu'il tiendra mieux sa parole à l'égard de ce dernier article, qu'il n'a fait sur les autres.

Dès la seconde poste nous prîmes querelle. On lui avait mis quatre cents louis entre les mains pour ma campagne. Je

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