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RACINE

(JEAN), né à La Ferté-Milon (Aisne) le 21 décembre 1639, et mort à Paris en 1699.

Mort d'Hippolyte.

A peine nous sortions des portes de Trézène ;
Il était sur son char; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés.
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes;
Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes.
Ses superbes coursiers, qu'on voyait autrefois,
Pleins d'une ardeur si noble, obéir à sa voix,
L'œil morne maintenant, et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.

Un effroyable cri, sorti du sein des flots,
Des airs, en ce moment, a troublé le repos,
Et du sein de la terre une voix formidable
Répond, en gémissant, à ce cri redoutable.
Jusqu'au fond de nos cœurs notre sang s'est glacé ;
Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé.
Cependant, sur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide.
L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d'écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes;
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes.
Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa croupe se recourbe en replis tortueux;
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s'en émeut, l'air en est infecté,

Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Tout fuit, et, sans s'armer d'un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros,

Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,

Pousse au monstre; et, d'un dard lancé d'une main sûre,

Il lui fait dans le flanc une large blessure.

De rage et de douleur le monstre bondissant

Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,

Se roule, et leur présente une gueule enflammée

Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.

La frayeur les emporte; et, sourds à cette fois,
Ils ne connaissent plus ni le frein, ni la voix.
En efforts impuissants leur maître se consume.
Ils rougissent le mors d'une sanglante écume.
On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,
Un dieu qui d'aiguillons pressait leurs flancs poudreux.
A travers les rochers la peur les précipite.
L'essieu crie et se rompt. L'intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé.
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J'ai vu, seigneur, j'ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie.

Ils courent. Tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit.

Leur fougue impétueuse enfin se ralentit.

Ils s'arrêtent, non loin de ces tombeaux antiques
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.
Je cours en soupirant, et sa garde me suit;
De son généreux sang la trace nous conduit;
Les rochers en sont teints; les ronces dégouttantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
J'arrive, je l'appelle, et, me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant qu'il referme soudain.
“Le ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie :
Prends soin, après ma mort, de la triste Aricie....
Cher ami, si mon père un jour désabusé
Plaint le malheur d'un fils faussement accusé,
Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis-lui qu'avec douceur il traite sa captive,
Qu'il lui rende....." A ce mot, ce héros expiré
N'a laissé dans mes bras qu'un corps défiguré,
Triste objet où des dieux triomphe la colère,
Et
que méconnaîtrait l'œil même de son père.
Phèdre, acte v.

Orphelin à l'âge de quatre ans, Racine fut élevé par son grand-père maternel qui l'envoya d'abord au collége de Beauvais, et en suite à PortRoyal où il resta 3 ans qu'il marqua par de brillants succès dans ses études. Quoique fort jeune, il se fit remarquer par son application et par son goût pour la poésie. Passionné pour les auteurs grecs, son plus grand plaisir était de s'enfoncer dans les bois de Port-Royal avec Sophocle et Euripide qu'il savait presque par cœur. Il se plaisait aussi à faire des remarques sur Platon, Homère, Aristote et autres. Sa mémoire était si heureuse qu'il sut par cœur à la troisième lecture le roman grec

des amours de Théagène et Chariclès. En quittant Port-Royal, il entra au collège d'Harcourt, où il fit son cours de philosophie, et débuta dans le monde littéraire par une pièce de vers qu'il composa à l'occasion du mariage du roi (1660.) Cette pièce, intitulée La Nymphe de la Seine, et adressée à la reine, valut à Racine une gratification de cent louis et une pension de six cents livres sur la cassette du roi. On voulut lui faire étudier la jurisprudence, mais il ne voulait point entendre parler d'occupations contraires au génie des muses. La nécessité l'ayant obligé de se rendre auprès de l'abbé Sconin, son oncle, à Uzès (Gard), il y étudia la théologie par complaisance pour cet oncle, mais en lisant les pères de l'Eglise, il lisait aussi les poètes grecs, latins et Italiens. De retour à Paris, il fit connaissance avec Molière et Boileau, et publia sa Renommée aux muses (1664), ode qui lui procura encore une gratification de six cents livres de la part du jeune monarque, et le fit admettre à la cour. Cette même année il donna sa première tragédie, la Thébaïde, pièce assez faible. L'année suivante vit paraître Alexandre, qui fit concevoir du jeune poète de plus grandes espérances, qu'il réalisa dans Andromaque (1667). A cette pièce succédèrent Britannicus, Bajazet, Mithridate, Iphigénie, et Phèdre, chefs-d'œuvre qui font et feront à jamais l'admiration des hommes de goût.

Depuis Andromaque, l'envie n'avait pas cessé de s'acharner contre Racine, mais elle fut portée à un tel point après Phèdre, elle employa tant de manœuvres, que ce grand homme, dégoûte du théâtre, abandonna le champ à ses ennemis, et se retira. Ce fut alors qu'il se maria, à l'âge de 38 ans (1677). Il ne songeait plus au théâtre, lorsque, 10 ou 12 ans après, Mme. de Maintenon lui demanda des pièces pour la maison de SaintCyr: il fit Esther et Athalie, deux de ses plus belles compositions. Racine eut encore la douleur de voir tomber ce dernier chef-d'œuvre, et ne vécut pas assez pour voir la justice tardive qu'on lui rendit. Il était de l'Académie française.-Euvres complètes, 7 volumes in-octavo, 1825.

BRUEYS

(DAVID-AUGUSTIN), né à Aix en 1640, et mort à Montpellier en 1723.

Scène du Grondeur.

GRICHARD, vieux médecin ; L'OLIVE, ARISTE.

Grichard. Bourreau, me feras-tu toujours frapper deux heures à la porte ?

L'Olive. Monsieur, je travaillais au jardin. Au premier coup de marteau j'ai couru si vite, que je suis tombé en chemin.

Grichard. Je voudrais que tu te fusses rompu le cou, double chien; que ne laisses-tu la porte ouverte ?

L'Olive. Eh! monsieur, vous me grondâtes hier, à cause qu'elle l'était quand elle est ouverte, vous vous fâchez;

quand elle est fermée, vous vous fâchez aussi ; je ne sais plus comment faire.

Gr. Comment faire ?

Ariste. Mon frère, voulez-vous bien.

Gr. Oh! donnez-vous patience. Comment faire, coquin! Ariste. Eh! mon frère, laissez là ce valet, et souffrez que je vous parle de.

Gr. Monsier mon frère, quand vous grondez vos valets, on vous les laisse gronder en repos.

Ariste. Il faut lui laisser passer sa fougue.

Gr. Comment faire, infâme!

L'Olive. Oh! ça, monsieur, quand vous serez sorti, voulezvous que je laisse la porte ouverte ?

Gr. Non.

L'O. Voulez-vous que je la tienne fermée ?
Gri. Non.

L'O. Si faut-il, monsieur..

Gr. Encore! Tu raisonneras, ivrogne!

Ariste. Il me semble, après tout, mon frère, qu'il ne raisonne pas mal; et l'on doit être bien aise d'avoir un valet raisonnable.

Gr. Il me semble à moi, monsieur mon frère, que vous raisonnez fort mal. Oui, l'on doit être bien aise d'avoir un valet raisonnable, mais non pas un valet raisonneur.

L'O. Morbleu! j'enrage d'avoir raison.

Gr. Te tairas-tu ?

L'O. Monsieur, je me ferais hacher: il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée : choisissez, comment la voulez-vous ? Gr. Je te l'ai dit mille fois, coquin. Je la veux. . . . je la. Mais voyez ce maraud-là; est-ce à un valet à venir me faire des questions. Si je te prends, traitre, je te montrerai comment je la veux. Vous riez, je pense, monsieur

le jurisconsulte?

Ariste. Moi? Point. Je sais que les valets ne font jamais les choses comme on leur dit.

Gr. Vous m'avez pourtant donné ce coquin-là.
Ariste. Je croyais bien faire.

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Gr. Oh! je croyais! . . . Sachez, monsieur le rieur, que je croyais n'est pas le langage d'un homme bien sensé. Ariste. Et laissons cela, mon frère, et permettez que je vous parle d'une affaire plus importante, dont je serais bien aise.

Gr. Non, je veux auparavant vous faire voir à vous-même comment je suis servi par ce pendard-là, afin que vous ne

veniez pas après me dire que je me fâche sans sujet. Vous allez voir, vous allez voir. As-tu balayé l'escalier?

L'Olive. Oui, monsieur, depuis le haut jusqu'en bas.

Gr. Et la cour?

L'O. Si vous y trouvez une ordure comme cela, je veux perdre mes gages.

Gr. Tu n'as pas fait boire la mule ?

L'O. Ah! monsieur! demandez-le aux voisins qui m'ont vu passer.

Gr. Lui as-tu donné l'avoine ?

L'O. Oui, monsieur, Guillaume y était présent.

Gr. Mais tu n'as pas porté mes bouteilles de quinquina où je t'ai dit?

L'O. Pardonnez-moi, monsieur, et j'ai rapporté les vides. Gr. Et mes lettres, les as-tu portées à la poste ?

L'O. Peste! monsieur, je n'ai eu garde d'y manquer! Gr. Je t'ai défendu cent fois du racler ton maudit violon, cependant j'ai entendu ce matin.

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L'O. Ce matin! Ne vous souvient-il pas que vous me le mîtes hier en mille pièces ?

Gr. Je gagerais que ces deux voies de bois sont encore

L'O. Elles sont logées, monsieur. Vraiment, depuis cela, j'ai aidé à Guillaume à mettre dans le grenier une charretée de foin; j'ai arrosé tous les arbres du jardin, j'ai nettoyé les allées, j'ai bêché trois planches, et j'achevais l'autre quand vous avez frappé.

Gr. Oh! il faut que je chasse ce coquin-là: jamais valet ne m'a fait enrager comme celui-ci. Il me ferait mourir de chagrin. Hors d'ici !

L'O. Que diable a-t-il mangé ?

Ariste. (le plaignant). Retire-toi.

Brueys était ministre protestant, mais il se fit catholique. Ses premiers essais dans l'art d'écrire, furent des ouvrages de controverse. Ce début n'annonçait pas qu'il serait un jour un de nos plus agréables auteurs comiques. S'étant associé avec Palaprat, ils travaillèrent de concert et fournirent au théâtre différentes pièces qui ont eu du succès. Palaprat y eut cependant la moindre part. De toutes leurs pièces, recueillies en 5 volumes in-12, trois seulement sont restées au répertoire du théâtre: le Muet, l'Avocat Patelin, pièces remplies de traits naifs et plaisants, qu'on a retenus et dont plusieurs ont passé en proverbe; et le Grondeur, qui est d'un comique fini. On peut encore citer l'Important de cour, l'Opiniâtre, le Quiproquo, et le Port de mer.

La

JEAN PALAPRAT naquit à Toulouse en 1650, et mourut en 1721. seule pièce qu'il a composée, sans l'assistance de son ami, est le Ballet extravagant. Sa composition respire la gaîté et la légèreté d'un esprit vif et fécond, mais on y désirerait plus de justesse et de précision.

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