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Les Journalistes.

Moi, j'irais caresser jusqu'en son tribunal
Quelque arbitre du goût dont la feuille éphémère
Distille les poisons d'une censure amère;
Au bon sens, au bon droit donne un plat démenti,
Pour juger un auteur consulte son parti;
Aigrit nos passions et dénonce à la France.
L'écrit qu'il n'a pas lu, mais qu'il flétrit d'avance!
Voilà donc les faux dieux que je dois encenser!
Ah! croyez-moi, leurs traits ne peuvent m'offenser.
Qu'ils soient mes ennemis, que leur courroux m'accable,
Qu'ils me déchirent, soit leur haine est honorable.
Il est, n'en doutez pas, il est d'autres censeurs,
Du talent méconnu courageux défenseurs,
Qui lui prêtent leur voix avant qu'il la réclame,
Qui ne trafiquent point de l'éloge ou du blâme,
Et gardant pour le vice une juste fureur,
Des travers de l'esprit se moquent sans aigreur.
Je rends trop de justice à ces rares mérites
Pour les importuner de mes lâches visites.
Si je cueille un laurier par la gloire avoué,
Je ne connaîtrai point celui qui m'a loué.
Au moins je pourrai dire: Il écrit ce qu'il pense.
Est-il quelques chagrins que ce mot ne compense,
Qu'il ne fasse oublier, qu'il ne change en plaisirs?
Tel est le but constant qu'embrassent mes désirs :
Inestimable bien, honneur digne d'envie,
Que je paîrai trop peu du repos de ma vie.

(Les Comédiens, act. 11, sc. 1.)

Le Célibataire.

Je ne suis pas de ceux qui font leur volupté
Des embarras charmants de la paternité,
Pauvres dans l'opulence, et dont la vertu brille
A se gêner quinze ans pour doter leur famille.....
Jamais le bon plaisir de madame Bonnard,
Pour danser jusqu'au jour ne me fait coucher tard,
Ne gonfle mon budget par des frais de toilette;
Et jamais ma dépense, excédant ma recette,
Ne me force à bâtir un espoir mal fondé
Sur le terrain mouvant du tiers consolidé.

Aussi, sans trouble aucun, couché près de ma caisse,
Je m'éveille à la hausse ou m'endors à la baisse.
A deux heures je dîne: on en digère mieux.
Je fais quatre repas comme nos bons aïeux,
Et n'attends pas à jeun, quand la faim me talonne,
Que ma fille soit prête, ou que ma femme ordonne.
Dans mon gouvernement, despotisme complet:
Je rentre quand je veux, je sors quand il me plaît ;
Je dispose de moi, je m'appartiens, je m'aime,
Et sans rivalité je jouis de moi-même.

Célibat! célibat! le lien conjugal

A ton indépendance offre-t-il rien d'égal?

Je me tiens trop heureux, et j'estime qu'en somme
Il n'est pas de bourgeois, récemment gentilhomme,
De général vainqueur, de poète applaudi,
De gros capitaliste à la bourse arrondi,

Plus libre, plus content, plus heureux sur la terre,
Pas même d'empereur, s'il n'est célibataire.

(L'Ecole des vieillards, act. 1, sc. 1.)

La Retraite.

Retraite d'Argental, vallon tranquille et sombre,
Qu'habitent le travail, la paix et le bonheur,
Que j'aime à respirer ce resté de fraîcheur,
A l'ardeur des étés échappé sous ton ombre !
Le zéphire se plait dans tes longs peupliers;
Ces monts, où deux forêts balancent leur verdure,
Environnent ton sein d'une double ceinture.
Courbez-vous sur mon front, rameaux hospitaliers;
Source fraîche où ma main recueille une onde pure,
Reviens par cent détours aux bords que tu chéris ;
Poursuis, que ton murmure, en charmant mes oreilles,
Se mêle au bruit léger de cet essaim d'abeilles
Qui vole en bourdonnant sur les buissons fleuris.
Des chênes ébranlés mutilant les racines,
Puissent les noirs torrents, dont le cours inégal,
Dans un lit de gravier gronde au pied des collines,
Ne jamais obscurcir ton paisible cristal!

Puissent le dieu des champs et ses nymphes divines
Écarter loin de toi le chasseur inhumain,

Quand, l'oreille aux aguets, sortant du bois voisin,
La biche au pied léger, ou le chevreuil timide,
Vient se désaltérer à ta source limpide.

Ah! si jamais le ciel, soigneux de mes plaisirs,
Fixe ma vie errante au milieu de ces plaines,
Je veux que leur enceinte enferme mes désirs,
Que mon travail soit libre ainsi que mes loisirs :
J'y veux couler en paix des jours exempts de peines.
Quand l'ardent Sirius blanchit l'azur des cieux,
Quel bonheur de fouler des herbes verdoyantes;
Ou dans les nuits d'hiver, quand un vent pluvieux
Vient battre à coups pressés les vitres frémissantes,
De rêver à ce bruit qui vous ferme les yeux !
Si je meurs entouré de riantes images,

Je ne veux pour tombeau que ces gazons épais.
Les passants fatigués de quelques longs voyages
Pourront s'y reposer sous des peupliers frais;
Mon ombre écartera de leur couche tranquille
L'insecte malfaisant, le reptile odieux :

Un regret, un soupir, en quittant ces beaux lieux,
Me paîront au-delà mes soins et mon asile.
Voilà mes seuls désirs : puissent-ils plaire aux dieux!
O vallon fortuné! paisibles promenades!
Tout ce faste imposant que Paris va m'offrir,
Ces palais, ces jardins et leurs tristes naïades,
Du besoin de vous voir ne me sauraient guérir ;
Entre vos monts altiers, au bruit de vos cascades,
Que ne m'est-il donné de vivre et de mourir !

(Poésies diverses.)

Trois jours de Christophe Colomb.

"En Europe! en Europe!-Espérez !-Plus d'espoir !"
-Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne un monde !
Et son doigt le montrait, et son œil, pour le voir,
Perçait de l'horizon l'immensité profonde.

Il marche, et des trois jours le premier jour a lui;
Il marche, et l'horizon recule devant lui ;

Il marche, et le jour baisse. Avec l'azur de l'onde
L'azur d'un ciel sans borne à ses yeux se confond.
Il marche, il marche encore, et toujours; et la sonde
Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond.

Le pilote en silence, appuyé tristement
Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres,
Écoute du roulis le sourd mugissement,

Et des mâts fatigués les craquements funèbres.

Les astres de l'Europe ont disparu des cieux;
L'ardente croix du sud épouvante ses yeux.
Enfin l'aube attendue, et trop lente à paraître,
Blanchit le pavillon de sa douce clarté :

"Colomb, voici le jour! le jour vient de renaître !
-Le jour ! et que vois-tu ?-Je vois l'immensité.”

Qu'importe! il est tranquille... Ah! l'avez-vous pensé ?
Une main sur son cœur, si sa gloire vous tente,
Comptez les battements de ce cœur oppressé,
Qui s'élève et retombe, et languit dans l'attente;
Ce cœur qui, tour à tour brûlant ou sans chaleur,
Se gonfle de plaisir, se brise de douleur.
Vous comprendrez alors que durant ces journées
Il vivait, pour souffrir, des siècles par moments.
Vous direz ces trois jours dévorent des années,
Et sa gloire est trop chère au prix de ses tourments.

Le second jour a fui. Que fait Colomb? il dort;
La fatigue l'accable, et dans l'ombre on conspire.
"Périra-t-il? Aux voix : La mort la mort! la mort !
Qu'il triomphe demain, ou, parjure, il expire."
Les ingrats! quoi! demain il aura pour tombeau
Les mers où son audace ouvre un chemin nouveau!
Et peut-être demain leurs flots impitoyables,

Le poussant vers ces bords que cherchait son regard,
Les lui feront toucher, en roulant sur les sables
L'aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard!

Il rêve comme un voile étendu sur les mers,
L'horizon qui les borne à ses yeux se déchire,
Et ce monde nouveau qui manque à l'univers,
De ses regards ardents il l'embrasse, il l'admire.
Qu'il est beau, qu'il est frais ce monde vierge encor!
L'or brille sur ses fruits, ses eaux roulent de l'or!
Déjà, plein d'une ivresse inconnue et profonde,
Tu t'écrias, Colomb: "Cette terre est mon bien !...."
Mais une voix s'élève, elle a nommé ce monde,
O douleur ! et d'un nom qui n'était pas le tien...

(Messéniennes.)

Rempli d'ardeur pour l'étude, cet écrivain annonça de bonne heure les talents qui l'ont placé au rang des premiers poètes français. Il débuta par un Dithyrambe sur la naissance du roi de Rome, 1811. Les Messéniennes, un de ses plus beaux titres de gloire, commencèrent à paraître en 1815, et furent accueillies avec enthousiasme. Ce sont de petits poèmes dans lesquels il décrit d'une manière à la fois énergique, sublime

et touchante, les malheurs qui affligèrent la France à cette époque. Les Vèpres siciliennes, tragédie qu'il donna en 1821, obtinrent un succès non moins éclatant; le public ne pouvait se lasser d'applaudir cette pièce qui fesait revivre le langage de Corneille, de Racine et de Voltaire. Cinq autres tragédies et cinq ou six comédies, toutes dignes de lui, composent son théâtre qu'on a publié en 3 vol. Poésies diverses, 4 vol. in-18. Casimir Delavigne était de l'Académie française.

BONJOUR

(CASIMIR), né à Clermont-en-Argonne (Meuse) en 1795.

L'Education des Filles.

Ce sont les arts qui font le charme de la vie,
Et par eux une femme est toujours embellie.
Votre sexe avec nous peut bien les partager,
Rien d'aimable ne doit lui rester étranger.
Il est doux de trouver dans une épouse chère
Des arts consolateurs qui sachent nous distraire,
De pouvoir, sans quitter son modeste séjour,
Se reposer le soir des fatigues du jour.
Ayez donc des talents! Mais il est nécessaire
Qu'on en fasse un plaisir, et non pas une affaire.
Chacun veut aujourd'hui briller, voilâ le mal!
Ce vice est parmi nous devenu général;

Il est dans tous les rangs. Le marchand le plus mince
Élève ses enfants comme des fils de prince;

Sa fille, qu'en tous lieux il se plaît à vanter,
N'entend rien au ménage, et ne sait pas compter;
En revanche elle fait des vers, de la musique,

Et l'on trouve un piano...dans l'arrière-boutique.

(L'Education, ou les Deux Cousines, act. III, 8c. x.)

L'Agioteur.

Sa vie est un roman; il n'est point de carrière,
De spéculation qui lui soit étrangère :

On l'a vu médecin, comédien, soldat;
Dans les vivres ensuite il a volé l'État.
Possesseur aujourd'hui d'une fortune énorme,
Il s'est, à ce qu'il dit, jeté dans la réforme ;
Il s'est fait bienfaisant, et, par humanité,
Dégage les effets du mont-de-piété.

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