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Hymne au Soleil.

Dieu, que les airs sont doux ! que la lumière est pure!
Tu règnes en vainqueur sur toute la nature,

O soleil et des cieux, où ton char est porté,
Tu lui verses la vie et la fécondité!

Le jour où, séparant la nuit de la lumière,
L'Eternel te lança dans ta vaste carrière,
L'univers tout entier te reconnut pour roi ;
Et l'homme, en t'adorant, s'inclina devant toi.
Dès ce jour, poursuivant ta carrière enflammée,
Tu décris sans repos ta route accoutumée;
L'éclat de tes rayons ne s'est point affaibli;
Et sous la main des temps ton front n'a point pâli !
Quand la voix du matin vient réveiller l'aurore,
L'Indien prosterné te bénit et t'adore!

Et moi, quand le midi de ses feux bienfaisants
Ranime par degrés mes membres languissants,
Il me semble qu'un dieu, dans tes rayons de flamme,
En échauffant mon sein, pénètre dans mon âme !
Et je sens de ses fers mon esprit détaché,
Comme si du Très-Haut le bras m'avait touché !
Mais ton sublime auteur défend-il de le croire ?
N'es-tu point, ô soleil, un rayon de sa gloire ?
Quand tu vas mesurant l'immensité des cieux,
O soleil! n'es-tu point un regard de ses yeux?

(Méditations poétiques.)

Hymne de l'Enfant à son réveil.

O père qu'adore mon père !
Toi qu'on ne nomme qu'à genoux,
Toi dont le nom terrible et doux
Fait courber le front de ma mère;

On dit que ce brillant soleil
N'est qu'un jouet de ta puissance,
Que sous tes pieds il se balance
Comme une lampe de vermeil.

On dit que c'est toi qui fais naître
Les petits oiseaux dans les champs,
Et qui donne aux petits enfants
Une âme aussi pour te connaître.

On dit que c'est toi qui produis
Les fleurs dont le jardin se pare;
Et que sans toi, toujours avare,
Le verger n'aurait point de fruits.

Aux dons que ta bonté mesure
Tout l'univers est convié ;
Nul insecte n'est oublié
A ce festin de la nature.

L'agneau broute le serpolet;
La chèvre s'attache au cytise;
La mouche, au bord du vase, puise
Les blanches gouttes de mon lait;

L'alouette a la graine amère
Que laisse envoler le glaneur,
Le passereau suit le vanneur,
Et l'enfant s'attache à sa mère.

Et pour obtenir chaque don
Que chaque jour tu fais éclore,
A midi, le soir, à l'aurore,
Que faut-il ? prononcer ton nom.

O Dieu ! ma bouche balbutie
Ce nom des anges redouté.
Un enfant même est écouté,
Dans le chœur qui te glorifie!

Ah! puisqu'il entend de si loin
Les vœux que notre bouche adresse,
Je veux lui demander sans cesse
Ce dont les autres ont besoin.

Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,
Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosée aux plaines.

Donne aux malades la santé,
Au mendiant le pain qu'il pleure,
A l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberté.

Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur,
Donne à moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mère soit heureuse !

(Harmonies poétiques.)

Le Papillon.

Naître avec le printemps, mourir comme les roses,
Sur l'aile du Zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancer sur le sein des fleurs à peine écloses,
S'enivrer de parfums, de lumière et d'azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S'envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté :

Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et, sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté.

Ses

Ce fut en 1820 que M. de Lamartine publia ses Méditations poétiques. On y reconnait un talent poétique du premier ordre, et le succès en fut si prodigieux que le nom de l'auteur retentit dans toute l'Europe. Harmonies poétiques ne sont pas moins dignes de lui. Les autres productions de M. Lamartine sont loin d'avoir contribué à sa gloire: le poème de la Mort de Socrate, les Nouvelles Méditations poétiques, le Dernier chant du pèlerinage de Childe-Harold, le poème de Jocelyn, celui de la Chute d'un ange, et le Chant du sacre, ou la Veille des armes, sont des ouvrages médiocres. On a du même auteur un ouvrage en prose sous le titre de Voyage en Orient, 2 vol. in-8vo.-Euvres poétiques, vol. in-8vo.

M. de Lamartine est membre de l'Académie française et de la Chambre des députés.

DELAVIGNE

(JEAN-FRANÇOIS-CASIMIR), né au Havre en 1793, mort en 1844.

Le Médecin d'un Roi.

Du médecin d'un roi sait-on quelle est la vie?
Cet esclave absolu qui parle en souverain

Ment lorsqu'il se dit libre, et porte un joug d'airain.
Je ne m'appartiens pas; un autre me possède :
Absent, il me maudit, et présent, il m'obsède ;
Il me laisse à regret la santé qu'il n'a pas ;
S'il reste, il faut rester; s'il part, suivre ses pas,
Sous un plus dur fardeau baissant ma tête altière
Que les obscurs varlets courbés sous sa litière.
Confiné près de lui dans ce triste séjour,
Quand je vois sa raison décroître avec le jour,
Quand de ce triple pont, qui le rassure à peine,
J'entends crier la herse et retomber la chaîne,
C'est moi qu'il fait asseoir au pied du lit royal
Où l'insomnie ardente irrite encor son mal;
Moi, que d'un faux aveu sa voix flatteuse abuse
S'il craint qu'en sommeillant un rêve ne l'accuse;
Moi, que dans ses fureurs il chasse avec dédain;
Moi, que dans ses tourments il rappelle soudain ;
Toujours moi, dont le nom s'échappe de sa bouche,
Lorsqu'un remords vengeur vient secouer sa couche.
Mais s'il charge mes jours du poids de ses ennuis,
Du cri de ses douleurs s'il fatigue mes nuits,
Quand ce spectre imposteur, maître de sa souffrance,
De la vie en mourant affecte l'apparence,
Je raille sans pitié ses efforts superflus
Pour jouer à mes yeux la force qu'il n'a plus.
Misérable par lui, je le fais misérable :

Je lui rends en terreur l'ennui dont il m'accable;
Et pour souffrir tous deux nous vivrons réunis,
L'un de l'autre tyrans, l'un par l'autre punis,
Toujours prêts à briser le nœud qui nous rassemble,
Et toujours condamnés au malheur d'être ensemble,
Jesqu'à ce que la mort, qui rompra nos liens,
Lui reprenant mes jours dont il a fait les siens,
Se lève entre nous deux, nous désunisse, et vienne
S'emparer de sa vie et me rendre la mienne.

(Louis XI, act. 1, sc. 4.)

La Cassette.

(LE CID à Elvire, sa fille.)

C'est une vieille histoire

Que je veux vous conter; mais bien bas, pour ma gloire. "A nous, Compéador! m'avait écrit le roi,

Voici les Sarrazins." Pas un réal chez moi

Pour équiper ma bande et la conduire en plaine !

Alors de mon manoir la douce châtelaine,

Qui voyait mon souci, te mit sur mes genoux;

Me quitta; puis revint en m'offrant ses bijoux.

Je crois l'entendre encor: "Tiens, mon Čid, va les vendre,
Le Sarrazin, dit-elle, est là pour me les rendre.”
A quoi je répondis: "Chimène, mes amours,
Il te rendra ton bien avant qu'il soit dix jours."
J'emportai les brillants; mais est-il femme ou fille
Qui se puisse tenir d'admirer ce qui brille ?
Non les vouloir, les prendre, et ne plus les lâcher,
C'est ce que fit Elvire; et j'eus beau me fâcher;
Dans son courroux d'enfant qui la rendait plus belle,
Tenant toujours sa proie, elle osa, la rebelle,
Lever pour se défendre, en lionne qu'elle est,
Ses deux petits poings nus contre mon gantelet.
-Vous l'avez ôté, Cid ?-Oui, mais je fis en sorte,
Elvire, que ta main ne fût pas la plus forte.
Tu te pris à pleurer, et, tout gonflés, tes yeux
Faisaient à ce trésor de si tristes adieux,
Que je sentis mon cœur s'amollir de tendresse,
La pitié l'emporta. Jamais, c'est ma faiblesse,
Aux larmes d'un enfant je n'ai su résister;
Et je dis à Chimène: Il faut la contenter.
Qui sourit? ce fut toi : j'avais mis bas les armes ;
Sourire plus charmant, lorsqu'il fit sous tes larmes
Rayonner de plaisir ton visage vermeil,
Qu'à travers une pluie un éclair de soleil !
Et folle et radieuse, ivre de ta victoire,

Tu vins du bout des doigts tirer ma barbe noire,
Toi qui tremblais alors, peureuse, en la baisant ;
Mais tu n'en as plus peur: elle est blanche à présent.

(La Fille du Cid, act. 1, sc. 4.)

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