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Son Histoire de

Un recueil de ses œuvres se trouve en 13 vol. in-18.
Grégoire VII doit bientôt paraître, si elle n'a pas déjà paru.
M. Villemain est membre et secrétaire perpétuel de l'Académie fran-
çaise, pair de France et ministre d'Etat.

COUSIN

(VICTOR), né à Paris en 1792.

Principes philosophiques du Christianisme.

Le christianisme, la dernière religion qui ait paru sur la terre, est aussi de beaucoup la plus parfaite. Le christianisme est le complément de toutes les religions antérieures, le dernier résultat des mouvements religieux du monde; il en est la fin, et avec le christianisme toute religion est consommée. En effet, le christianisme, si peu étudié, si peu compris, n'est pas moins que le résumé des deux grands systèmes religieux qui ont régné tour à tour dans l'Orient et dans la Grèce. Il réunit en lui tout ce qu'il y a de vrai, de saint, de sage dans le théisme de l'Orient, dans l'héroïsme et dans le naturalisme mythologique de la Grèce et de Rome. La religion d'un Dieu fait homme est une religion qui, d'une part, élève l'âme vers le ciel, vers son principe absolu, vers un autre monde, et qui en même temps lui enseigne que son œuvre et ses devoirs sont en ce monde et sur cette terre. La religion de l'Homme-Dieu donne un prix infini à l'humanité. L'humanité est donc quelque chose de très-grand, puisqu'elle a été ainsi choisie pour être le réceptacle et l'image d'un Dieu. De là, dans le christianisme, la dignité de l'humanité confondue avec la sainteté de la religion et partout répandue avec elle. Aussi le christianisme est-il une religion éminemment humaine, éminemment sociale: en voulez-vous la preuve ? Qu'est-il sorti du christianisme et de la société chrétienne ? la liberté moderne, les gouvernements représentatifs. Tournez les yeux en dehors et au-delà du christianisme qu'ont produit depuis vingt siècles les autres religions? La religion brahmique, la religion musulmane et toutes les autres religions qui règnent encore aujourd'hui sur la terre, que produisent-elles? Ici une dégradation profonde, là une tyrannie sans bornes. Au contraire, l'Europe chrétienne est le berceau de la liberté; et si c'était ici le lieu et le temps, je vous démontrerais que le christianisme, qui, de fait, a produit les

gouvernements représentatifs, pouvait seul apporter cette forme admirable de gouvernement qui identifie l'ordre et la liberté. C'est aussi le christianisme qui, après avoir conservé le dépôt des sciences, des arts, des lettres, leur a donné une impulsion puissante. Le christianisme est la racine de la philosophie moderne. En effet, toute une époque est une; il y a un rapport naturel entre la philosophie d'un temps et la religion de ce temps. Ainsi, la philosophie Sankhya, tout en se séparant des Vedas, s'y rattache encore; la philosophie grecque, la philosophie d'Aristote et celle de Platon, est au fond une philosophie païenne, et la philosophie moderne est essentiellement la fille d'une société chrétienne. Je fais donc profession de croire que les grandes vérités qu'à déjà développées et que pourra développer encore la philosophie moderne sous les formes qui lui sont propres, sont si loin d'être opposées aux vérités que contient le christianisme, qu'au contraire, selon moi, toute vraie philosophie est en germe dans les mystères chrétiens. (Cours de Philosophie.)

Philosophie de l'Histoire.

Le premier devoir de l'historien philosophe est de demander aux faits ce qu'ils signifient, l'idée qu'ils expriment, le rapport qu'ils soutiennent avec l'esprit de l'époque du monde au sein de laquelle ils font leur apparition. Rappeler tout fait, même le plus particulier, à sa loi générale, à la loi qui seule le fait être, examiner son rapport avec les autres faits élevés aussi à leur loi, et de rapports en rapports arriver jusqu'à saisir celui de la particularité la plus fugitive, à l'idée la plus générale d'une époque, c'est là la règle éminente de l'histoire. Cette règle se divise en autant de règles particulières que l'esprit général d'une époque peut avoir de grandes manifestations. Or, à quelles conditions se manifeste l'esprit d'une époque? à trois conditions. D'abord, il faut que l'esprit d'une époque, pour être visible, prenne possession de l'espace, s'y établisse, et occupe une portion quelconque plus ou moins considérable de ce monde; il faut qu'il ait son lieu, son théâtre

c'est là la condition même du drame de l'histoire. Mais sur ce théâtre, il faut que quelqu'un paraisse pour jouer la pièce; ce quelqu'un, c'est l'humanité, c'est-à-dire les masses. Les masses sont le fond de l'humanité; c'est avec elles, en elles, et pour elles que tout se fait; elles remplissent la scène de l'histoire, mais elles y figurent seulement; elles n'y ont qu'un rôle muet, et laissent pour ainsi dire le soin des gestes

et des paroles à quelques individus éminents qui les représentent. En effet, les peuples ne paraissent pas dans l'histoire, leurs chefs seuls y paraissent. Et par chefs, je n'entends pas ceux qui commandent en apparence, j'entends ceux qui commandent en réalité, ceux que les peuples suivent en tout genre, parce qu'ils ont foi en eux, et qu'ils les considèrent comme leurs interprètes et leurs organes, et parce qu'ils le sont en effet. Les lieux, les peuples, les grands hommes, voilà les trois choses par lesquelles l'esprit d'une époque se manifeste nécessairement, et sans lesquelles il ne pourrait pas se manifester; ce sont donc là les trois points importants aux. quels l'histoire doit s'attacher. Si tout exprime quelque idée, comme nous l'avons démontré, lieux, peuples, individus, tout cela n'est qu'une manifestation quelconque d'idées cachées que la philosophie de l'histoire doit dégager et mettre en lumière. (Ibid.)

La Gloire et la Réputation.

Qu'est-ce que la gloire? Le jugement de l'humanité sur un de ses membres; or l'humanité a toujours raison. En fait, citez-moi une gloire imméritée; de plus à priori c'est impossible, car on n'a de gloire qu'à la condition d'avoir beaucoup fait, d'avoir laissé de grands résultats. Les grands résultats, messieurs, les grands résultats, tout le reste n'est rien. Distinguez bien la gloire de la réputation. Pour la réputation, qui en veut en a. Voulez-vous de la réputation; priez tel ou tel de vos amis de vous en faire; associez-vous à tel ou tel parti; donnez-vous à une coterie; servez-la, elle vous louera. Enfin, il y a cent manières d'acquérir de la réputation : c'est une entreprise tout comme une autre; elle ne suppose pas même une grande ambition. Ce qui distingue la réputation de la gloire, c'est que la réputation est le jugement de quelques-uns, et que la gloire est le jugement du plus grand nombre, de la majorité dans l'espèce humaine. Or, pour plaire au petit nombre, il suffit de petites choses; pour plaire aux masses, il en faut de grandes. Auprès des masses, les faits sont tout, le reste n'est rien. Les intentions, la bonne volonté, la moralité, les plus beaux desseins, qu'on n'aurait certainement pas manqué de conduire à bien, n'eût été ceci ou cela, tout ce qui ne se résout pas en fait est compté pour rien par l'humanité; elle veut de grands résultats; car il n'y a que les grands résultats qui viennent jusqu'à elle; or, en fait de grands résultats, il n'y a pas de tricherie possible. Les mensonges des partis et

des coteries, les illusions de l'amitié n'y peuvent rien; il n'y a pas même lieu à discussion. Les grands résultats ne se contestent pas : la gloire, qui en est l'expression, ne se conteste pas non plus. Fille de faits grands et évidents, elle est elle-même un fait manifeste aussi clair que le jour. La gloire est le jugement de l'humanité, et un jugement en dernier ressort; on peut en appeler des coteries et des partis à l'humanité; mais de l'humanité, à qui en appeler en ce monde ? Elle est infaillible. Pas une gloire n'a été infirmée et ne peut l'être. De plus, sur quels faits l'humanité estime-t-elle et décerne-telle la gloire? Sur les faits utiles, c'est-à-dire utiles à elle. Sa mesure est sa propre utilité; et elle ne peut en avoir d'autre, à moins de s'abdiquer elle-même, et de cesser d'emprunter à sa nature les principes de ses jugements. La gloire est le cri de la sympathie et de la reconnaissance; c'est la dette de l'humanité envers le génie ; c'est le prix des services qu'elle reconnaît en avoir reçus, et qu'elle lui paie avec ce qu'elle a de plus précieux, son estime.

Il faut donc aimer la gloire, parce que c'est aimer les grandes choses, les longs travaux, les services effectifs rendus à la patrie et à l'humanité en tout genre; et il faut dédaigner la réputation, les succès d'un jour et les petits moyens qui y conduisent; il faut songer à faire, à beaucoup faire, à bien faire, messieurs, et non à paraître; car, règle infaillible, tout ce qui paraît sans être, bientôt disparaît; mais tout ce qui est, par la vertu de sa nature, paraît tôt ou tard. La gloire est presque toujours contemporaine; mais il n'y a jamais un grand intervalle entre le tombeau d'un grand homme et la gloire.

(Cours de philosophie.)

M. Cousin est aujourd'hui regardé comme un des plus profonds métaphysiciens de l'Europe. Ses études étant finies au collége Charlemagne, à Paris, où il étonna ses professeurs et ses condisciples par la rapidité de ses progrès, il fut admis à l'Ecole Normale, et ne tarda pas à y être nommé professeur de littérature grecque et puis de philosophie. Enfin son mérite le fit bientôt appeler à la chaire de philosophie dans la faculté des lettres. Ses leçons attirèrent une foule d'auditeurs, mais son enseignement un peu républicain alarma le gouvernement français de cette époque, et son cours fut suspendu pour quelques années. Voyageant en Allemagne en 1824, M. Cousin fut arrêté à Dresde par le gouvernement prussien, conduit à Berlin et jeté dans un cachot, accusé d'avoir contribué à propager dans ce pays les idées républicaines. Il fut jugé et acquitté après 6 mois de détention, et rentra dans sa patrie. Il reprit son cours de philosophie en 1828.

M. Cousin a donné une traduction complète des Euvres de Platon, avec des notes. Voici les titres de ses autres ouvrages: Histoire de la philosophie, 4 vol. in-18; Cours de philosophie, 1 vol.; Histoire de la philosophie morale, au 18e. siècle, 2 vol.; Fragments philosophiques, 3 vol.; Nouveaux fragments philosophiques, 1 vol.; De la métaphysique

d'Aristote, 1 vol.; De l'instruction publique en Allemagne, 2 vol.; De l'instruction publique en Hollande, 2 vol.; De l'instruction en Prusse, 1 vol.; Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral de l'homme, 1 vol.; Fragments littéraires, 2 vol.; etc. Il a donné une

édition des Euvres de Descartes et autres. Il a aussi traduit de l'allemand l'Histoire de la philosophie, de Tenneman.

M. Cousin est membre de l'Académie française, pair de France, ministre, et directeur de l'Ecole-Normale.

LAMARTINE

(ALPHONSE de), né à Mâcon (Saône-et-Loire) en 1792.

Dieu et son Essence.

Cet astre universel, sans déclin, sans aurore,
C'est Dieu, c'est ce grand tout, qui soi-même s'adore!
Il est; tout est en lui: l'immensité, les temps
De son être infini sont les purs éléments;
L'espace est son séjour, l'éternité son âge;
Le jour est son regard, le monde est son image;
Tout l'univers subsiste à l'ombre de sa main ;
L'être à flots éternels découlant de son sein,
Comme un fleuve nourri par cette source immense,
S'en échappe, et revient finir où tout commence.
Sans bornes comme lui, ses ouvrages parfaits
Bénissent en naissant la main qui les a faits!
Il peuple l'infini chaque fois qu'il respire;
Pour lui, vouloir c'est faire, exister c'est produire !
Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi,
Sa volonté suprême est sa suprême loi!
Mais cette volonté, sans ombre et sans faiblesse,
Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse.
Sur tout ce qui peut être, il l'exerce à son gré;
Le néant jusqu'à lui s'élève par degré :
Intelligence, amour, force, beauté, jeunesse,
Sans s'épuiser jamais, il peut donner sans cesse,
Et, comblant le néant de ses dons précieux,
Des derniers rangs de l'être il peut tirer des dieux!
Mais ces dieux de sa main, ces fils de sa puissance,
Mesurent d'eux à lui l'éternelle distance,

Tendant par leur nature à l'être qui les fit;
Il est leur fin à tous, et lui seul se suffit!

(Méditations poétiques.)

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