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lui dit-il.—" Je l'attendrai, sire, avec le bon plaisir de Votre Majesté. Au bout d'un instant le roi étendit les mains; l'exécuteur frappa, la tête tomba au premier coup: "Voilà la tête d'un traître !" dit-il en la montrant au peuple. Un long et sourd gémissement s'éleva autour de White-Hall. Beaucoup de gens se précipitaient au pied de l'échafaud pour tremper leur mouchoir dans le sang du roi. Deux corps de cavalerie, s'avançant dans deux directions différentes, dispersèrent lentement la foule.. L'échafaud demeuré solitaire, on enleva le corps il était déjà enfermé dans le cercueil; Cromwel voulut le voir, le considéra attentivement, et soulevant de ses mains la tête, comme pour s'assurer qu'elle était bien séparée du tronc: "C'était là un corps bien constitué, dit-il, et qui promettait une longue vie."

(Histoire de la révolution d'Angleterre.)

Des Grands Hommes.

Il y a dans l'activité d'un grand homme deux parts; il joue deux rôles on peut marquer deux époques dans sa carrière. Il comprend mieux que tout autre les besoins de son temps, les besoins réels, actuels, ce qu'il faut à la société contemporaine pour vivre et se développer régulièrement; il sait aussi mieux que tout autre s'emparer de toutes les forces sociales pour les diriger vers ce but. De là son pouvoir et sa gloire: c'est là ce qui fait qu'il est, dès qu'il paraît, compris, accepté, suivi, que tous se prêtent et concourent à l'action qu'il exerce au profit de tous.

Il ne s'en tient pas là: les besoins réels et généraux de son temps à peu près satisfaits, la pensée et la volonté du grand homme vont plus loin. Il s'élance hors des faits actuels; il se livre à des vues qui lui sont personnelles; il se complaît à des combinaisons plus ou moins vastes, plus ou moins spécieuses, mais qui ne se fondent point, comme ses premiers travaux, sur l'état positif, les instincts communs, les vœux déterminés de la société, en combinaisons lointaines et arbitraires; il veut, en un mot, étendre infiniment son action, posséder l'avenir comme il possède le présent.

Ici commence l'égoïsme et le rêve: pendant quelque temps, et sur la foi de ce qu'il a déjà fait, on suit le grand homme dans cette nouvelle carrière; on croit en lui, on lui obéit; on se prête pour ainsi dire à ses fantaisies, que ses flatteurs et ses dupes admirent même, et vantent comme ses plus sublimes conceptions. Cependant le public, qui ne saurait long-temps

demeurer hors du vrai, s'aperçoit bientôt qu'on l'entraîne où il n'a nulle envie d'aller, qu'on l'abuse et qu'on abuse de lui Tout-à-l'heure le grand homme avait mis sa haute intelligence, sa puissante volonté au service de la pensée générale, du vœu commun; maintenant il veut employer la force publique au service de sa propre pensée, de son propre désir; lui seul sait et veut ce qu'il fait. On s'en inquiète d'abord, bientôt on s'en lasse: on le suit quelque temps mollement, à contre-cœur ; puis on se récrie, on se plaint, puis enfin on se sépare; le grand homme reste seul, et il tombe, et tout ce qu'il avait pensé et voulu seul, toute la partie purement personnelle et arbitraire de ses œuvres tombe avec lui.

Je ne me refuserai point à emprunter à notre temps le flambeau qu'il nous offre en cette occasion, pour en éclairer un temps éloigné et obscur. La destinée et le nom de Napoléon sont maintenant de l'histoire, je ne ressens pas le moindre embarras à en parler, et à en parler avec liberté.

Personne n'ignore qu'au moment où il s'est saisi du pouvoir en France, le besoin dominant, impérieux de notre patrie, était la sécurité, au-dehors de l'indépendance nationale, au-dedans de la vie civile. Dans la tourmente révolutionnaire, la destinée extérieure et intérieure, l'État et la société, avaient été également compromis. Replacer la France nouvelle dans la confédération européenne, la faire avouer, accueillir des autres États, et la constituer au-dedans d'une manière paisible, régulière; la mettre en un mot en possession de l'indépendance et de l'ordre, seuls gages d'un long avenir, c'était là le vœu, la pensée générale du pays. Napoléon le comprit et l'accomplit; le gouvernement consulaire fut dévoué à cette tâche.

Čelle-là terminée, ou à peu près, Napoléon s'en proposa mille autres. Puissant en combinaisons, et d'une imagination ardente, égoïste et rêveur, machinateur et poète, il épancha pour ainsi dire son activité en projets arbitraires, gigantesques enfants de sa seule pensée, étrangers aux besoins réels de notre temps et de notre France: elle l'a suivi quelque temps et à grands frais dans cette voie, qu'elle n'avait point choisie; un jour est venu où elle n'a pas voulu l'y suivre plus loin; l'empereur s'est trouvé seul, et l'empire a disparu; et toutes choses sont retournées à leur propre état, à leur tendance naturelle. (Cours d'histoire.)

Après avoir fait d'excellentes études, M. Guizot se rendit à Paris, embrassa la carrière des lettres et se fit rapidement une réputation aussi brillante que solide. Nommé en 1812 professeur d'histoire moderne à la faculté des lettres de Paris, il a rempli ces fonctions pendant beaucoup d'années avec la plus grande distinction. Mais le champ de la littérature

ne suffisait pas à M. Guizot: doué d'un esprit vigoureux, porté aux plus graves méditations, toujours actif et toujours infatigable, d'une fermeté de caractère inébranlable, et enfin d'un talent admirable dans l'art de la parole, c'était sur le théâtre plus vaste de la politique qu'il lui était réservé d'acquérir une célébrité beaucoup plus rare. Dès l'époque de la restauration, il fut secrétaire-général du ministère de l'intérieur, d'où il passa à celui de la justice, et devint conseiller-d'état. Ses fonctions ayant cessé en 1821, il s'occupa de son cours d'histoire et de la composition de ses ouvrages. Elu député en 1830, il fut bientôt après chargé du ministère de l'instruction publique, et puis envoyé ambassadeur en Angleterre. A son retour, il est rentré au ministère. M. Guizot est au rang des premiers orateurs français. Il a publié: Nouveau dictionnaire des synonymes de la langue française; De l'état des beaux-arts en France; Annales de l'éducation; Vie des poètes français; Traduction de Gibbon, 13 vol. in8vo; Euvres de Shakspeare, traduction de Le Tourneur, revue et corrigée, 13 vol. in-8vo; Collection de mémoires sur l'histoire de France, 30 vol. in-8vo; Collection de mémoires relatifs à la révolution d'Angleterre, 27 vol. in-8vo; Histoire de la civilisation, 2 vol. in-8vo; Essai sur l'histoire de France, pour servir de complément à l'ouvrage de l'abbé Mably; De la peine de mort en matière politique; 12 ou 15 brochures ou pamphlets; Vie de Washington; etc. Il a de plus travaillé aux Archives de la littérature et des arts, au Moniteur, au Musée français, à la Revue encyclopédique, au Publiciste, et donné quelques traductions de l'Allemand, etc. M. Guizot est membre de l'Académie française.

Madame Guizor (Elizabeth-Charlotte-Pauline), épouse du précédent, née en 1773 et morte en 1827. Son père, qui mourut en 1790, occupait une place importante dans les finances, mais toute sa fortune disparut avec lui, par suite des affaires de la révolution. Alors elle fut obligée d'avoir recours à sa plume pour supporter sa mère, sa sœur et toute sa famille. Elle écrivait pour les journaux, et particulièrement pour le Publiciste. Au mois de mars 1807, l'altération de sa santé, suite de chagrins domestiques, l'ayant forcée de suspendre son travail, sa famille se voyait au moment d'être privée des seules ressources qui lui restaient, lorsqu'un jour elle reçoit une lettre anonyme par laquelle on lui offre d'écrire pour elle dans le Publiciste, aussi longtemps qu'elle le voudra. Cette généreuse proposition ne fut pas accueillie. On insiste; elle consent enfin, et dès lors elle reçoit chaque jour, sous le voile du mystère, des articles dans le genre de ceux qu'elle avait l'habitude d'écrire pour ce journal. Après mille conjectures et bien des démarches inutiles, elle se hasarde, au bout de 15 jours, à écrire à son inconnu, et le conjure de se faire connaître. Il obéit, il se montre. C'était M. Guizot, le grand homme dont nous avons parlé, jeune homme alors de 20 ans. Ils furent mariés en 1812, et jamais union ne fut plus heureuse. Madame était Catholique et M. Guizot est protestant. Voici les titres des ouvrages de cette dame aimable: La Chapelle d'Ayton, roman imité de l'anglais de Miss Hays, 4 vol. in-12; Les Enfants, contes à l'usage de la jeunesse, 2 vol.; L'Ecolier, ou Raoul et Victor, 4 vol. in-12; Nouveaux contes, 2 vol. in-12; Lettres de famille sur l'éducation, 2 vol. in-12; Une famille, ouvrage continué par Mme. Tastu,* 2 vol. in-18; Conseils de morale, etc. Toutes ces compositions ont eu un grand nombre d'éditions.

*Madame Sabine-Casimire-Amable TASTU naquit à Metz en 1798. Dès l'âge de 15 ans, elle avait déjà acquis de la célébrité par des poésies pleines de grâce et de sentiment. Mariée à 18 ans, elle n'a point cessé de suivre son goût pour les lettres. De 1820 à 1823, madame Tastu remporta 4 prix de poésie à l'académie de Toulouse. Un recueil de ses poésies a été publié en 1 volume, et celui de ses œuvres en prose, 2 vol.

SOUMET

(ALEXANDRE), né en 1788, à Castelnaudary (Aude).

La Pensée.

Mortels, n'assignez point un terme à la pensée;
Hors du cercle des temps l'Éternel l'a placée :
Tantôt le ciel la voit, sur des ailes de feu,
Égarer son essor jusqu'au trône de Dieu;
Tantôt elle parcourt, avide de connaître,
Et les siècles passés, et les siècles à naître.
C'est le rapide éclair dont le sillon ardent
Joint les portes du jour aux rives d'occident;
C'est Élie emporté dans un char de lumière,
Et des mondes mortels franchissant la barrière.
Rien ne peut arrêter son vol ambitieux :

A travers les soleils, peuple brillant des cieux,
Elle s'élance, atteint l'indocile comète;
Épié, poursuivi dans sa marche secrète,

Cet astre déserteur lui révèle ses lois;

Elle triomphe, vole, et plongeant à la fois

Dans les airs, dans les eaux, dans les flancs de la terre,

Rend de sa royauté l'univers tributaire ;

Et l'incrédule obscur, sans honte, sans remord,

Ose la détrôner pour conquérir la mort,

Ou n'accorde à son rang qu'un éclat éphémère.
Tous les siècles courbés sous la gloire d'Homère,
Passent en saluant le monument fameux
Que ce mâle génie édifia pour eux.

Jusqu'au terme des temps, devenus leur conquête,
Voleront, respectés, les accords du prophète :
L'œuvre de la pensée a partout des autels.
La tige qui produit tant de fruits immortels,
Du souffle de la mort ne sera point flétrie.

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J'ai fui ce pénible sommeil

Qu'aucun songe heureux n'accompagne;
J'ai devancé sur la montagne

Les premiers rayons du soleil.

S'éveillant avec la nature,

Le jeune oiseau chantait sur l'aubépine en fleurs,
Sa mère lui portait la douce nourriture,

Mes yeux se sont mouillés de pleurs.

Oh! pourquoi n'ai-je pas de mère ?
Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau,
Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau ?
Rien ne m'appartient sur la terre,
Je n'eus pas même de berceau,
Et je suis un enfant trouvé sur une pierre,
Devant l'église du hameau.

Loin de mes parents exilée,
De leurs embrassements j'ignore la douceur,
Et les enfants de la vallée

Ne m'appellent jamais leur sœur!
Je ne partage pas les jeux de la veillée ;
Jamais sous son toit de feuillée

Le joyeux laboureur ne m'invite à m'asseoir,
Et de loin je vois sa famille,

Autour du sarment qui pétille,
Chercher sur ses genoux les caresses du soir.

Vers la chapelle hospitalière
En pleurant j'adresse mes pas,
La seule demeure ici-bas

Où je ne sois point étrangère,

La seule devant moi qui ne se ferme pas !

Souvent je contemple la pierre

Où commencèrent mes douleurs ;
J'y cherche la place des pleurs
Qu'en m'y laissant, peut-être, y répandit ma mère.

Souvent aussi mes pas errants
Parcourent des tombeaux l'asile solitaire ;
Mais pour moi les tombeaux sont tous indifférents.
La pauvre fille est sans parents

Au milieu des cercueils ainsi qui sur la terre!

J'ai pleuré quatorze printemps
Loin des bras qui m'ont repoussée ;
Reviens, ma mère, je t'attends
Sur la pierre où tu m'as laissée !

(Poésies diverses.)

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