Page images
PDF
EPUB

ment allumée! A Dieu ne plaise que je porte mes souhaits plus loin! les jugements de Dieu sont impénétrables: mais vous vivez, et je plains en cette chaire un sage et vertueux capitaine, dont les intentions étaient pures, et dont la vertu semblait mériter une vie plus longue et plus étendue.

Retenons nos plaintes, messieurs; il est temps de commencer son éloge, et de vous faire voir comment cet homme puissant triompha des ennemis de l'État par sa valeur, des passions de l'âme par sa sagesse, des erreurs et des vanités du siècle par sa piété. Si j'interromps cet ordre de mon discours, pardonnez un peu de confusion dans un sujet qui nous a causé tant de trouble. Je confondrai quelquefois peut-être le général d'armée, le sage, le chrétien. Je louerai tantôt les victoires, tantôt les vertus qui les ont obtenues. Sije ne puis raconter tant d'actions, je les découvrirai dans leurs principes; j'adorerai le Dieu des armées, j'invoquerai le Dieu de la paix, je bénirai le Dieu des miséricordes, et j'attirerai partout votre attention, non pas par la force de l'éloquence, mais par la vérité et par la grandeur des vertus dont je suis engagé de vous parler.

Fléchier fut élevé dans le sein des lettres et de la vertu, par Hercule Audiffret, son oncle, général des Pères de la doctrine chrétienne. Après la mort de cet oncle, il quitta cette congrégation et se rendit à Paris, où il se fit d'abord connaître par des poésies latines pleines de grâces et d'élćgance; mais ses prédications le placèrent bientôt au rang des premiers orateurs du royaume. Ses Oraisons funèbres mirent le comble à sa gloire, et lui attirèrent les faveurs de la cour. En 1685, il fut élevé à l'épiscopat, et ce fut en cette occasion que Louis XIV lui dit: "Ne soyez pas surpris si j'ai récompensé si tard votre mérite; j'appréhendais d'être privé de vous entendre.” Arrivé dans son diocèse de Nîme, où il trouva autant de protestants que de catholiques, son premier soin fut d'appaiser les animosités qui existaient entre les deux sectes; il les traita tous avec une égale bonté et une même charité, et cet esprit de paix et de douceur fut la règle invariable de sa conduite pendant tout le temps de son épiscopat. Dans la disette de 1709, la misère étant extrème dans son diocèse, il fit des charités immenses, auxquelles les catholiques et les protestants eurent une part égale, uniquement réglée sur ce qu'ils souffraient, et non sur ce qu'ils croyaient. Aussi, à sa mort, arrivée l'année suivante, fut-il également pleuré des uns et des autres.

Les travaux de l'épiscopat n'empêchèrent pas Fléchier de cultiver les lettres outre ses Oraisons funèbres, qui sont des modèles d'éloquence, on a encore de lui des Panégyriques, des Sermons, les Vies de l'empereur Théodose, du cardinal Ximenès, du cardinal Commandon, et des Lettres. "Notre langue, dit La Harpe, a des obligations à Fléchier, qu'on peut appeler l'Isocrate français: il s'est appliqué à donner aux formes du langage de la netteté, de la régularité, de la douceur, du nombre; il est en cela supérieur à Bossuet; mais pour le génie de la composition, Bossuet est infiniment supérieur à Fléchier. Fléchier est plus élégant, Bossuet est plus élevé. Ils sont tous les deux de bons modéles à suivre." Il était membre de l'Académie française.-Euvres choisies, 10 vol. in-12.

BOURDALOUE

(Louis), né à Bourges en 1632, mort à Paris en 1704.

L'Ambition.

L'ambition montre à celui qu'elle aveugle, pour terme de ses poursuites, un état florissant où il n'aura plus rien à désirer, parce que ses vœux seront accomplis, où il goûtera le plaisir le plus doux pour lui, et dont il est le plus sensiblement touché; savoir: de dominer, d'ordonner, d'être l'arbitre des affaires et le dispensateur des grâces, de briller dans un ministère, dans une dignité éclatante; d'y recevoir l'encens du public et ses soumissions; de s'y faire craindre, honorer, respecter.

Tout cela rassemblé dans un point de vue lui trace l'idée la plus agréable, et peint à son imagination l'objet le plus conforme aux vœux de son cœur; mais dans le fond ce n'est qu'une idée, et voici ce qu'il y a de plus réel: c'est que, pour atteindre jusque là, il y a une route à tenir, pleine d'épines et de difficultés mais de quelles épines et de quelles difficultés ! C'est que, pour parvenir à cet état où l'ambition se figure tant d'agréments, il faut prendre mille mesures toutes également gênantes, et toutes contraires à ses inclinations; qu'il faut se miner de réflexions et d'étude; rouler pensées sur pensées, desseins sur desseins, compter toutes ses paroles, composer toutes ses démarches; avoir une attention perpétuelle et sans relâche, soit sur soi-même, soit sur les autres. C'est que, pour contenter une seule passion, qui est de s'élever à cet état, il faut s'exposer à devenir la proie de toutes les passions; car y en a-t-il une en nous que l'ambition ne suscite contre nous ?

Et n'est-ce pas elle qui, selon les différentes conjonctures et les divers sentiments dont elle est émue, tantôt nous aigrit des dépits les plus amers, tantôt nous envenime des plus mortelles inimitiés, tantôt nous enflamme des plus violentes colères, tantôt nous accable des plus profondes tristesses, tantôt nous dessèche des mélancolies les plus noires, tantôt nous dévore des plus cruelles jalousies; qui fait souffrir à une âme comme une espèce d'enfer, et qui la déchire par mille bourreaux intérieurs et domestiques? C'est que, pour se pousser à cet état, et pour se faire jour au travers de tous les obstacles qui nous en ferment les avenues, il faut entrer en guerre avec des compétiteurs qui y prétendent aussi bien que nous, qui nous éclair

ent dans nos intrigues, qui nous dérangent dans nos projets, qui nous arrêtent dans nos voies; qu'il faut opposer crédit à crédit, patron à patron, et pour cela s'assujettir aux plus ennuyeuses assiduités, essuyer mille rebuts, digérer mille dégoûts, se donner mille mouvements, n'être plus à soi, et vivre dans le tumulte et la confusion. C'est que, dans l'attente de cet état, où l'on n'arrive pas tout d'un coup, il faut supporter des retardements capables non seulement d'exercer, mais d'épuiser toute la patience; que, durant de longues années, il faut languir dans l'incertitude du succès, toujours flottant entre l'espérance et la crainte, et souvent, après des délais presque infinis, ayant encore l'affreux déboire de voir toutes ses prétentions échouer, et ne remportant, pour récompense de tant de pas malheureusement perdus, que la rage dans le cœur et la honte devant les hommes.

Je dis plus c'est que cet état, si l'on est enfin assez heureux pour s'y ingérer, bien loin de mettre des bornes à l'ambition et d'en éteindre le feu, ne sert, au contraire, qu'à la piquer davantage et qu'à l'allumer: que d'un degré on tend bientôt à un autre, tellement qu'il n'y a rien où l'on ne se porte, ni rien où l'on se fixe; rien que l'on ne veuille avoir, ni rien dont on jouisse; que ce n'est qu'une perpétuelle succession de vues, de désirs, d'entreprises, et, par une suite nécessaire, qu'un perpétuel tourment. C'est que, pour troubler toute la douceur de cet état, il ne faut souvent que la moindre circonstance et le sujet le plus léger, qu'un esprit ambitieux grossit, et dont il se fait un monstre.

Bourdaloue entra chez les jésuites de sa province, où il enseigna la rhétorique, la philosophie et la théologie. Ses grands talents pour la chaire le firent envoyer à Paris, où ses sermons attirèrent une foule d'auditeurs. Louis XIV fut si touché de son éloquence et de sa morale, qu'il le fit appeler à Versailles dix ans de suite pour y prêcher l'Avent ou le Carème: "j'aime mieux ses redites, disait ce monarque, que les choses nouvelles des autres." Bourdaloue, dit Voltaire, fut le premier qui eut toujours dans la chaire l'éloquence de la raison. Ce qui distingue principalement ses sermons, c'est la force des raisonnements, la solidité des preuves, la pureté de la morale.

"Je ne doute point que Bossuet ne fût né avec beaucoup plus de génie que Bourdaloue; cependant les sermons de celui-ci sont mieux faits, plus finis, plus méthodiques; et je n'en suis pas surpris, puisqu'ils ont été l'unique objet de ses travaux littéraires. Si l'on compare pièce à pièce, Bourdaloue aura l'avantage; mais si l'on opposait trait à trait, il ne résisterait pas à ce parallèle." (Le card. Maury.)-Ses Sermons forment 16 volumes in-octavo.

QUINAULT

(PHILIPPE), naquit en 1635, et mourut en 1688, à Paris.

Madrigal.

Vous juriez autrefois que cette onde rebelle
Se ferait vers sa source une route nouvelle,
Plutôt qu'on ne verrait votre cœur dégagé.
Voyez couler ces flots dans cette vaste plaine:
C'est le même penchant qui toujours les entraine;
Leur cours ne change point, et vous avez changé.

A l'âge de 20 ans, ce poète s'était déjà fait un nom par des comédies qui eurent un succès extraordinaire; il en donna seize en très-peu de temps. Mais de toutes ces pièces il n'en est qu'une qu'on lise aujourd'hui avec plaisir, c'est la Mère coquette. Cette pièce renferme des détails agréables et ingénieux, et de bonnes plaisanteries; elle est d'ailleurs bien conduite, et les caractères ainsi que là versification sont d'une touche naturelle.

Mais c'est d'après ses Opéras qu'il faut juger ce poète aimable. Que d'invention, que de naturel, que de sentiment, que d'élévation, que de beautés d'ensemble et de détail, que de grâce! Alceste, Thésée, Atys, Phaeton, Amadis, Proserpine, Isis, Roland, et Armide dureront autant que la langue française. "On ne peut trop aimer la douceur, la mollesse, la facilité, et l'harmonie tendre et touchante de la poésie de Quinault. Ni la grâce ni la noblesse n'ont manqué à l'auteur de ces poèmes singuliers."-(VAUVENARGUES).

Quinault est regardé comme l'inventeur des pièces dites opéras. Voltaire l'a appelé le poète des grâces. Il ne faut pourtant pas oublier que la plupart de ses meilleurs ouvrages ne sont pas exempts de défauts, et les critiques n'ont pas manqué de les signaler; mais les nombreuses beautés que le poète a créées demandent grâce en faveur de ses défauts. Quinault a été de l'Académie française.-Euvres complètes, 5 vol.

in-12.

(33)

ΜΑΙΝΤΕΝΟΝ

(FRANÇOISE D'AUBIGNÉ, MARQUISE DE), née à Niort en 1635, et morte à Saint-Cyr en 1719.

Lettre à M. d'Aubigné, son Frère.

On n'est malheureux que par sa faute. Ce cera toujours mon texte et ma réponse à vos lamentations. Songez, mon cher frère, au voyage d'Amérique, aux malheurs de notre père, aux malheurs de notre enfance, à ceux de notre jeunesse, et vous bénirez la providence, au lieu de murmurer contre la fortune. Il y a dix ans que nous étions bien éloignés l'un et l'autre du point où nous sommes aujourd'hui. Nos espérances étaient si peu de chose, que nous bornions nos vues à trois mille livres de rente. Nous en avons à présent quatre fois plus, et nos souhaits ne seraient pas encore remplis ! Nous jouissons de cette heureuse médiocrité que vous vantiez si fort. Soyons contens. Si les biens nous viennent, recevonsles de la main de Dieu; mais n'ayons pas de vues trop vastes. Nous avons le nécessaire et le commode; tout le reste n'est que cupidité. Tous ces désirs de grandeur partent du vide d'un cœur inquiet. Toutes vos dettes sont payées; vous pouvez vivre délicieusement sans en faire de nouvelles. Que désirez-vous de plus? Faut-il que des projets de richesse et d'ambition vous coûtent la perte de votre repos et de votre santé ? Lisez la vie de Saint Louis, vous verrez combien les grandeurs de ce monde sont au-dessous des désirs du cœur de l'homme. Il n'y a que Dieu qui puisse le rassasier. Je vous le répète, vous n'êtes malheureux que par votre faute. Vos inquiétudes détruisent votre santé, que vous devriez conserver, quand ce ne serait que parce que je vous aime. Travaillez sur votre humeur; si vous pouvez ia rendre moins bilieuse et moins sombre, ce sera un grand point de gagné. Ce n'est point l'ouvrage des réflexions seules; il y faut de l'exercice, de la dissipation, une vie unie et réglée. Vous ne penserez pas bien, tant que vous vous porterez mal; dès que le corps est dans l'abattement, l'âme est sans vigueur. Adieu. Ecrivez-moi plus souvent, et sur un ton moins lugubre.

A Madame de St. Géran.

Vous voulez savoir, madame, ce qui m'a attiré un si beau présent. La chose du monde la plus simple. On croit dans

« PreviousContinue »