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"Aux auteurs de leurs jours prodiguant leur tendresse,
Sous le fardeau des ans s'ils viennent à fléchir,
Elles seront l'appui de leur faible vieillesse,
Et moi, je vais mourir !

"Toi qui des cieux entends une vierge plaintive,
Vois les pleurs de mon père, et daigne les tarir;
Donne-lui tous les jours dont ta rigueur me prive,
Et je saurai mourir."

(Chants sacrés, liv. 11.)

Élève du célèbre helléniste Villoison, Mollevaut entra de bonne heure dans la carrière de l'enseignement et fut nommé professeur de langues anciennes au lycée de Nancy. Ses premiers essais littéraires furent les traductions en prose de la Vie d'Agricola, de Salluste et de l'Enéide de Virgile. Cette dernière, par sa précision et son élégance, mérita les suffrages de tous les professeurs de l'université. Son début comme poète fut la traduction en vers des Amours d'Héro et Léandre, poème grec de Musée-le-Grammairien. Enfin il compléta sa réputation de poète par sa traduction en vers d'un choix des quatre principaux élégiaques de l'ancienne Rome, Ovide, Tibulle, Catulle et Properce. Dans cette traduction, aussi fidèle qu'élégante, Mollevaut a su reproduire les beautés de ces modèles. Il a traduit aussi en vers l'Enéide de Virgile, mais non avec le même le succès. On lui doit encore: les Fleurs, poème en 4 chants où brille la grâce de l'expression; un recueil de poésies diverses; 100 Fables de quatre vers chacune; Anacréon, traduction en vers; Chants sacrés; odes, élégies, etc. Presque toutes ses traductions ont été publiées avec le texte en regard. M. Mollevaut est membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et de celle de Gottingue.

SÉGUR

(PAUL-PHILIPPE, comte de), né à Paris en 1780.

Passage de la Bérésina.

Tout alors se dirigea vers l'autre pont. Une multitude de gros caissons, de lourdes voitures et de pièces d'artillerie y affluèrent de toutes parts. Dirigées par leurs conducteurs et rapidement emportées sur une pente raide et inégale, au milieu de cet amas d'hommes, elles broyèrent les malheureux qui se trouvèrent surpris entre elles; puis s'entre-choquant, la plupart, violemment renversées, assommèrent dans leur chute ceux qui les entouraient. Alors des rangs entiers d'hommes éperdus poussés sur ces obstacles s'y embarrassent, culbutent et sont

écrasés par des masses d'autres infortunés qui se succèdent sans interruption.

Ces flots de misérables roulaient ainsi les uns sur les autres; on n'entendait que des cris de douleur et de rage. Dans cette affreuse mêlée, les hommes foulés et étouffés se débattaient sous les pieds de leurs compagnons, auxquels ils s'attachaient avec leurs ongles et leurs dents. Ceux-ci les repoussaient sans pitié, comme des ennemis.

Parmi eux, des femmes, des mères, appelèrent en vain d'une voix déchirante leurs maris, leurs enfants, dont un instant les avait séparées sans retour: elles leur tendirent les bras, elles supplièrent qu'on s'écartât pour qu'elles pussent s'en rapprocher; mais emportées çà et là par la foule, battues par ces flots d'hommes, elles succombèrent sans avoir été seulement remarquées. Dans cet épouvantable fracas d'un ouragan furieux, de coups de canon, du sifflement de la tempête, de celui des boulets, des explosions des obus, de vociférations, de gémissements, de jurements effroyables, cette foule désordonnée n'entendait pas les plaintes des victimes qu'elle engloutissait.

Les plus heureux gagnèrent le pont, mais en surmontant des monceaux de blessés, de femmes, d'enfants renversés, à demi étouffés, et que dans leurs efforts ils piétinaient encore. Arrivés enfin sur l'étroit défilé, ils se crurent sauvés; mais à chaque moment, un cheval abattu, une planche brisée ou déplacée arrêtait tout.

Il y avait aussi, à l'issue du pont, sur l'autre rive, un marais où beaucoup de chevaux et de voitures s'étaient enfoncés, ce qui embarrassait encore et retardait l'écoulement. Alors dans cette colonne de désespérés, qui s'entassaient sur cette unique planche de salut, il s'élevait une lutte infernale où les plus faibles et les plus mal placés furent précipités dans le fleuve par les plus forts. Ceux-ci, sans détourner la tête, emportés par l'instinct de la conservation, poussaient vers leur but avec fureur, indifférents aux imprécations de rage et de désespoir de leurs compagnons ou de leurs chefs, qu'ils s'étaient sacrifiés. Mais d'un autre côté, que de nobles dévouements! et pourquoi la place et le temps manquent-ils pour les décrire? C'est là qu'on vit des soldats, des officiers même, s'atteler à des traîneaux, pour arracher à cette rive funeste leurs compagnons malades ou blessés.

Plus loin, hors de la foule, quelques soldats sont immobiles, ils veillent sur les corps mourants de leurs officiers, qui se sont confiés à leurs soins ; ceux-ci les conjurent en vain de ne plus songer qu'à leur propre salut; ils s'y refusent, et, plutôt que d'abandonner leurs chefs, ils attendent la mort ou l'esclavage.

La nuit du 28 au 29 vint augmenter toutes ces calamités. Son obscurité ne déroba pas aux canons des Russes leurs victimes. Sur cette neige qui couvrait tout le cours du fleuve, cette masse toute noire d'hommes, de chevaux, de voitures, et les clameurs qui en sortaient, servirent aux artilleurs ennemis à diriger leurs coups.

Le désastre était arrivé à son dernier terme. Une multitude de voitures, trois canons, plusieurs milliers d'hommes, des femmes et quelques enfants furent abandonnés sur la rive ennemie. On les vit errer par troupes isolées sur les bords du fleuve. Les uns s'y jetèrent à la nage, d'autres se risquèrent sur les pièces de glace qu'il charriait; il y en eut qui s'élancèrent tête baissée au milieu des flammes du pont, qui croula sous eux; brûlés et gelés tout à la fois, ils périrent par deux supplices contraires. Bientôt on aperçut les corps des uns et des autres s'amonceler et battre avec les glaçons contre les chevalets; le reste attendit les Russes.

(Napoléon et la grande armée.)

Entré au service à l'âge de 19 ans, le comte P. P. de Ségur s'est distingué dans plus de 20 combats ou batailles mémorables. En 1812, il fit la campagne de Russie, avec le grade de général de brigade. Fils de l'un des écrivains qui font le plus d'honneur à la France, M. de Ségur marche avec distinction sur les traces de son illustre père.* Son Histoire de la campagne de Russie en 1812, 2 vol. in-8vo, Paris, 1824, a obtenu un succès immense. On a encore de lui plusieurs autres ouvrages, tels que: Campagne du général Macdonal dans les Grisons, in-8vo; Histoire de Russie et de Pierre-le-Grand, 2 vol. in-8vo; Histoire universelle, 12 vol. in-8vo; etc.

* Le comte Louis-Philippe de SÉGUR, père du précédent, naquit à Paris en 1753. Nommé sous-lieutenant à l'âge de 16 ans, six ans après il était colonel d'un régiment de cavalerie. Dès le commencement de la guerre de l'indépendance américaine, il sollicita la faveur de venir combattre dans les rangs des patriotes de 1776, avec Lafayette et Noailles: cette grâce ne lui fut accordée qu'en 1782. Il arriva après une traversée longue et pénible, le vaisseau ayant été forcé de faire naufrage pour échapper aux Anglais. N'ayant trouvé aucune occasion de se distinguer dans cette campagne, il retourna en France l'année suivante, et fut nommé ambassadeur à la cour de Russie. La révolution lui ayant enlevé toute sa fortune, il trouva dans les lettres un moyen de procurer à sa famille une existence honorable. Peu d'hommes ont éprouvé autant de vicissitudes: "Le hasard, dit-il lui-même, a voulu que je fusse successivement colonel, officier-général, voyageur, navigateur, courtisan, fils de ministre, ambassadeur, négociateur, prisonnier, cultivateur, soldat, électeur, poète, auteur dramatique, collaborateur de journaux, publiciste, historien, député, conseiller-d'état, sénateur, académicien et pair de France." Au nombre de ses ouvrages on trouve: Histoire des principaux événements du règne de Frédéric-Guillaume, etc., 3 vol. in-8vo; Politique de tous les cabinets de l'Europe pendant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, 3 vol. in-8vo; Histoire de l'Europe moderne; Galerie morale et politique, 3 vol. in 8vo; Recueil de famille, 1 vol. in-8vo. Plusieurs pièces de théâtre: comédies, opéras, vaudeville; fables, contes, mé

moires, romances, pensées, souvenirs, anecdotes, maximes, etc.-Œuvres complètes, 36 vol. in-8vo, Paris, 1829.

SEGUR (Joseph-Alexandre, vicomte de), frère du précédent, né en 1756 et mort en 1805, a laissé plusieurs ouvrages, et entre autres, Les Femmes, leur condition et leur influence dans l'ordre social chez les différents peuples, 3 vol. in-18, Paris, 1825; etc.

STASSART

(GOSWIN-JOSEPH-AUGUSTIN, baron de), né à Malines (Belgique) en 1780.

Le Trône de Neige.

Qui n'aime à voir folâtrer des enfants ?
On se croit de leur âge. O douce jouissance
De pouvoir quelquefois se rappeler ce temps
Si regretté, bien qu'il ait ses tourments!
Un rien suffit pour amuser l'enfance;

Mais dans ses jeux, plus qu'on ne pense,
S'introduisent déjà les passions des grands.
Un jour, échappés du collége,

Dit

Des écoliers d'onze à douze ans
Aperçurent un tas de neige...

Le plus âgé, qu'on avait nommé roi,
que de son pouvoir il en faisait le siége,
Le trône enfin ; et le cortége

Donne à ce vœu force de loi.
Le trône était froid comme glace;
N'importe, avec plaisir s'y place
Cette éphémère majesté.

On s'enivre de la puissance...
Peut-on impunément avoir l'autorité ?
Chez notre prince l'insolence

Surpasse encor la dureté ;

Des malheureux sujets la moindre négligence
Est réprimée avec sévérité.

De Tarquin le Superbe il avait l'arrogance,
Et de Néron, plus tard, selon toute apparence,
Il aurait eu la cruauté.

Pourtant le soleil le dérange :

Le trône, qui se fond d'une manière étrange,
Avant la fin du jour s'abat...

Bientôt l'orgueilleux potentat...
Se voit au milieu de la fange.

Redoutez un destin pareil,
Vous que la fortune protége:
Vous êtes sur un tas de neige....
Gare le rayon du soleil !

(liv. v, fab. 10.)

M. Stassart fit ses études au collége de Namur, ensuite il alla étudier la jurisprudence à l'université de Paris, où il remporta, en 1803, le premier prix d'éloquence, et l'année suivante ceux de plaidoirie et de législation criminelle. Nommé auditeur au conseil-d'état en 1804, il occupa successivement plusieurs postes élevés sous le gouvernement impérial. En 1810, il était préfet du département de Vaucluse. Il était, en 1840, président du sénat Belge, et il l'est probablement encore. Les œuvres littéraires qu'on a publiés de lui jusqu'ici, sont des Discours académiques et autres; Bagatelles sentimentales; Pensées de Circé, chienne célèbre ; 1 volume de Fables, au nombre de 144; Dieu est l'amour le plus pur, traduit de l'allemand; épîtres; chansons; épigrammes; etc.

BÉRANGER

(PIERRE-JEAN), né à Paris en 1780.

La Sainte-Alliance des Peuples.

J'ai vu la Paix descendre sur la terre,
Semant de l'or, des fleurs et des épis.
L'air était calme, et du dieu de la guerre
Elle étouffait les foudres assoupis.
"Ah! disait-elle, égaux par la vaillance,
Français, Anglais, Belge, Russe ou Germain,
Peuples, formez une sainte-alliance,

Et donnez-vous la main.

"Pauvres mortels, tant de haine vous lasse!
Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil,
D'un globe étroit divisez mieux l'espace;
Chacun de vous aura place au soleil.
Tous attelés au char de la puissance,
Du vrai bonheur vous quittez le chemin.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

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